La lueur

9 minutes de lecture

La Terre, An 3190.

Manéa s'installa sur le petit bureau de sa cuisine et regarda par sa fenêtre les enfants qui jouaient dehors. Leur insouciance la fit sourire, heureuse qu'ils n'aient jamais eus à connaître le monde d'avant, celui des peurs et de l'obéissance aveugle. Pourtant, ils ne doivent pas oublier, savoir d'où ils viennent, pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Elle saisit alors son crayon de sa main tremblante et ridée par les années et se met à écrire pour qu'ils sachent, tant qu'elle en a encore le courage, le prix du passé.

"Je m'appelle Manéa. Je suis née il y a fort longtemps sur une terre aride et dangereuse, au milieu d'un peuple de survivants. 

Voici mon histoire.

Voici l'histoire de Fossea. "

Site de FOSSEA, Juin 3120.

Je scrute une fois encore l'horizon à la recherche de la moindre lumière. J'ai tout calculé et je  suis certaine que l'apparition va survenir cette nuit. Le ciel est sombre. Il n'y a presque pas d'étoiles. Soudain, la lune se dévoile furtivement derrière les nuages et illumine  la nuit de toute sa splendeur.  Elle est blanche et étincelante. Puis, elle disparaît à nouveau et, dans l'obscurité , j'aperçois au loin cette lueur rouge qui se manifeste une fois par mois. Cela ne dure jamais longtemps, cinq ou six secondes maximum. On a l'impression que le faisceau de lumière veut toucher le sol mais, la minute d'après, il se volatilise aussitôt sans un bruit. Je mémorise l'heure afin de la noter dès que je serai rentrée. Tout à coup, une voix derrière moi me fait sursauter.

- Manéa, qu'est-ce que tu fous ? Les sentinelles viennent par ici. Si tu te fais repérer, elles se feront un plaisir de t'arrêter ! Les autres ne vont pas tarder à s'en aller. Dépêche-toi si tu veux les voir !

Immédiatement, je reconnais la voix de Loïs. En me retournant, je le découvre, les mains dans les poches, avec cet air autoritaire qu'il essaie de prendre à chaque fois qu'il veut me donner un ordre et qui me fait mourir de rire. Mais je me garde bien de lui montrer le peu d'effet que ses remarques ont sur moi. C'est plus fort que lui, il éprouve toujours ce besoin de me protéger, et pour cause, Loïs est mon petit ami. Nous avons fait connaissance lors de ma deuxième année à Fossea...

Chaque matin, alors que je prenais le tube qui nous emmenait à l'usine pour effectuer notre journée de travail, il se trouvait là, assis en face de moi. Il m'avait tapé tout de suite séduit avec ses yeux noisette, ses cheveux châtain clair aux reflets roux et sa dégaine de mec constamment perdu dans ses pensées ! Parfois, il croisait mon regard et plongeait ses yeux dans les miens. J'étais alors comme paralysée, les joues en feu, incapable d'échanger la moindre parole avec lui. Par chance et comme d'ordinaire,assise à côté de moi, il y avait Tessie, ma meilleure amie depuis mon arrivée sur le site. C'est elle qui a pris les choses en main. C'est devenu une habitude depuis que nous nous sommes rencontrées, il y a cinq ans maintenant. C'était l'automne et je venais d'arriver à Fossea...

Petit retour en arrière...

Octobre 3115.

Après un voyage en train de plus de cents kilomètres sur une banquette loin d'être confortable, me voici parvenue sur mon site de travail pour les dix années à venir. Sur le quai de la gare, il y a une foule de jeunes qui, comme moi, ont quitté leurs familles et leurs villages. Je suis un peu perdue, ne connaissant personne. Soudain, une fille s'approche de moi, l'air détendu et assuré.

- Salut ! Je me présente, je suis Tessie, et toi, tu t'appelles comment ? me demande-t-elle, avec un grand sourire aux lèvres.

Je la regarde, d'abord méfiante, puis je me dis qu'elle a l'air plutôt sympa. Autant se faire des amis tout de suite.

- Moi, c'est Manéa et je t'avoue que je suis un peu paumée, concède-je. T'as une idée où il faut aller maintenant ? 

 Je pense qu'on peut suivre ce groupe là, me fait-elle, en me désignant une file de personnes se dirigeant vers un poste de contrôle situé à la sortie de la gare.

Comme je l'apprendrai au fil du temps, Tessie a souvent de bonnes intuitions.

- Tu as sans doute raison, approuvé-je, soulagée de rencontrer quelqu'un pour m'épauler.

- Dans ce cas, allons-y ! On verra bien ce qui nous attend ! fait-elle gaiement, comme si nous partions dans un camp de vacances.

Et c'est ainsi que notre relation a commencé. Depuis ce jour là, on ne se quitte plus toutes les deux.

Pourtant, Tessie est presque tout mon contraire. Elle parle beaucoup, souvent trop fort et passe une bonne partie de son temps à s'esclaffer pour un oui ou un non. Mais je pense que, finalement, c'est ce qui m'a plu chez elle, son optimisme, son impulsivité, son franc-parler. De mon côté, je suis plus en retenue, plus calme. Ainsi, c'est elle qui a abordé Loïs la première. Et c'est grâce à lui qu'elle a rencontré Ségal qui est devenu par la même occasion sa moitié. Ce dernier travaille avec Loïs au secteur plongée et il est un peu plus vieux que nous. Il est aussi brun, les cheveux très courts que Tessie est blonde avec une longue chevelure qui lui tombe sur les épaules.

Retour en 3120.

Mais pour l'instant, je me laisse glisser le long du monticule de terre sur lequel j'étais montée et me retrouve face à Loïs.

- Salut toi ! Devine ? Je l'ai encore vue, dis je, encore toute excitée par mon observation. Tu vas voir, je vais finir par découvrir ce que cette lumière nous dissimule, ce n'est qu'une question de temps ! Il faudrait juste que je puisse me rapprocher de quelques mètres...

- Tu vas te rendre folle avec ce truc, rétorque Loïs, toujours autant en désaccord avec moi, concernant ce sujet. C'est sûrement juste une illusion d'optique due aux reflets du village. Et puis ça devient dangereux de traîner dans le coin !

- Illusion qui se reproduit chaque mois au même moment ! C'est plutôt bizarre tu ne trouves pas ? insisté-je, sûre de moi.

Loïs ne veut pas me croire mais je ne suis pas folle ! Je suis certaine que quelque chose de majeur se cache derrière cette lumière et qu'il faut que j'aille au bout de mes investigations. Tout à coup, nous entendons le claquement des bottes des sentinelles sur le chemin. Instinctivement, nous nous accroupissons immédiatement et commençons à nous faufiler jusqu'à l'orée du bois. À l'abri, sous le feuillage des vieux chênes, nous nous éclipsons en silence vers le centre du village jusqu'à atteindre ma maison.

- Merde Manéa, on a failli se faire choper ! Tu vas nous faire avoir de sérieux ennuis un de ces jours, me lance Lois, d'un ton accusateur.

 Puis un sourire malicieux apparaît sur ses lèvres.

- Mais pour être franc, c'est ce qui me plaît chez toi ! On ne s'ennuie jamais ! 

Je lui rends son sourire. Loïs, c'est mon âme sœur. On partage tout, les mêmes délires, les mêmes rêves. Et c'est agréable d'avoir quelqu'un sur qui compter à Fossea.

On entre dans ma maison , la 2050. Au village des travailleurs, elles sont toutes conçues de façon identique : deux niveaux avec, au rez- de- chaussée, une petite cuisine et un coin salon et à l'étage une chambre et une minuscule salle de bain. Au moins, nous ne sommes pas dépaysés d'un logement à l'autre !

Le village compte environ trois mille habitations, situées les unes à côté des autres, en forme de sphère. Le premier cercle, le plus grand, longe la forêt puis une rue le sépare du deuxième cercle et ainsi de suite jusqu'au dernier où se trouve une petite place. Ma maison se situe sur le deuxième cercle.

Nous passons le seuil de la porte et retrouvons le reste du groupe. Il y a Tessie et Ségal assis sur le canapé en train de discuter devant une assiette de sauterelles grillées et sur la table de la cuisine, Phébé se prépare un verre de l'amitié, la boisson qui vous met dans un état second, souvent proche du coma. Habituellement, nous avons juste droit à un breuvage nommé "délice", tout à fait inoffensif, mais Phébé a trouvé le moyen d'obtenir, grâce à un copain qui est employé au secteur recherche, une dose d'un additif qui, mélangé au "délice", procure un effet quelque peu euphorisant !  Il m'est arrivée d'en consommer une fois, juste pour voir. Mon esprit s'est mis à planer dans un monde de rêves vraiment très bizarre où j'avais l'impression de voler au milieu d'âmes revenues de l'au-delà, de corps désarticulés, de monstres plus effrayants les uns que les autres. Si bien que lorsque l'effet s'est dissipé, je me suis juré de ne plus jamais réitérer l'expérience !

Mais Phébé, lui, trouve cela terriblement excitant ! Pour le moment, il semble être revenu dans le monde réel...

- Ça va Phébé ? lui demande Loïs. Tu as les yeux un peu explosés ! Tu vas finir par devenir accro si tu fais pas gaffe !

- Tout est ok, t'inquiète, lui répond Phébé, tout en essayant de se lever. 

Le regard dans le vide et le visage aussi pâle qu'un mort-vivant,  il s'y reprend à deux ou trois fois avant de parvenir à se mettre debout. Il boit son verre d'un trait, puis prend sa veste et décide de s'en aller. Deux minutes plus tard, Tessie et Ségal lui emboîtent le pas. Loïs prend le temps de m'embrasser, de me souhaiter bonne nuit et il part à son tour.

Normalement, nous devons être couchés à vingt-deux heures au plus tard. Des sentinelles patrouillent toute la nuit pour repérer d'éventuels réfractaires mais nous réussissons, la plupart du temps, à contourner cet impératif en étant très discrets à chaque fois que l'on se rejoint.

La fatigue se fait sentir. Je n'arrive plus à garder les yeux ouverts et mon corps semble peser au moins une tonne. Je monte à l'étage, me déshabille dans la salle de bain. Je n'ai qu'une envie, me jeter sur mon lit. Mais, avant, je me dirige vers mon armoire au fond de la pièce, la décale de quelques centimètres vers la gauche et m'agenouille sur le sol. Je découvre alors quelques lattes du plancher, enfonce ma main dans le trou ainsi créé et en sors un carnet tout usagé. Je l'ouvre à la dernière page écrite et j'inscris "22 juin 3120, 22h30, lueur rouge, 5-6 secondes", aucun bruit, pleine lune. Puis, je le referme et le replace dans l'orifice en faisant bien attention à ce que rien ne trahisse sa présence. Je me glisse enfin dans mon lit et ferme les yeux en pensant au jour où j'ai trouvé ce carnet...

C'était il y a un an. J'avais décidé de nettoyer de fond en comble ma chambre. Il faisait un temps splendide à l'extérieur et on était dimanche matin. Alors que je frottais le plancher, je remarquai un détail qui passait presque inaperçu mais qui, sous les rayons du soleil traversant la fenêtre, semblait tout à coup se découvrir : une infime différence de hauteur entre deux lattes. Je m'agenouillai et j'essayai de gratter avec mon ongle mais rien ne bougea. J'allai alors chercher un couteau dans la cuisine et j'entrepris de soulever méticuleusement avec la lame une des lattes. Toujours aucun changement. Je dus m'y reprendre trois ou quatre fois avant de réussir. Avec une lampe, je regardai à l'intérieur de l'orifice que je venais de créer. Il me sembla apercevoir quelque chose. 

Précautionneusement, je passai ma main dans la fente et sentis un objet sous mes doigts. Je le remontai en faisant très attention à ne pas le faire tomber et, à ma grande surprise, je m'aperçus qu'il s'agissait d'un carnet enveloppé dans un chiffon poussiéreux. Intriguée je l'ouvris à la première page. Je lus : "Ephisa, septembre 3115". J'imaginais que ce devait être la personne qui occupait la maison avant moi. En tournant les pages, je découvris qu'elle avait méticuleusement noté, jours après jours, toutes les nuits où elle avait vu cette lumière rouge. Des annotations étaient ajoutées aux croquis, représentant ce qu'elle pensait avoir discerné : lumière, bruit, horaires, position de la lune, date... Tout était consigné. Elle paraissait même avoir fait de savants calculs afin d'anticiper le prochain passage. Mais rien ne semblait indiquer qu'elle avait percé le mystère. Je pense qu'elle avait oublié ce carnet quand elle était repartie de Fossea.

 Personne ne connaissait l'existence de cette découverte hormis Loïs à qui je disais toujours tout. Mais il ne semblait pas y accorder plus d'importance que cela.

Au bout de quelques minutes, je m'endors tout en rêvant à des êtres venus de je ne sais où qui essayaient de me capturer pour je ne sais quelle raison. Et je cours, cours, me cache... Puis je me réveille en sueur avant de me rendormir...

**********************************************************************

Déjà, merci aux lecteurs qui ont continué à me suivre dans ce premier chapitre. J'essaie toujours de mettre le meilleur de moi-même dans mes écrits. J'espère que la suite vous plaira.

Dans le prochain chapitre  je vais tenter de vous présenter un peu plus l'univers de Manéa, ses amis, sa vie avant que l'histoire ne s'accélère .

N'hésitez pas à me donner votre avis, à commenter car j'adore échanger.

Merci !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire lonaderis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0