Chapitre 1 : Noa
Après une longue journée de boulot, je rentrai chez moi, épuisée. En poussant la porte de l'immeuble miteux, une odeur nauséabonde m'assaillit aussitôt, me serrant la gorge et retournant mon estomac. Elle venait du repaire du gardien. Ce vicieux ouvrit la porte de son appartement, et la simple vision de cet enfoiré me donna la nausée. Un frisson de dégoût me traversa. Petit quinquagénaire grassouillet, une calvitie apparente, une barbe dans laquelle plusieurs repas semblaient s'être perdus. Vêtu d'un marcel blanc élimé, d'un slip décoré de petites voitures et d'un peignoir léopard, il me répugnait au plus haut point.
Je l'ignorai et ramassai mon courrier, cherchant à fuir cette sensation poisseuse qui m'envahissait. Malgré la musique sur mes oreilles, il insista pour me parler. Son ton suintait cette familiarité malsaine qui me donnait envie de disparaître. Mon corps se tendit, chaque fibre me hurlant de rester sur mes gardes. Je reculai instinctivement, la méfiance me serrant la poitrine. Ce rat esquissa un sourire qui se voulait séducteur, mais qui n'avait rien d'autre que flippant. Une montée d'adrénaline me fit bouillonner sous la peau.
- J'ai un message pour toi. Des gars sont passés, ils cherchaient ta mère.
- Et ?
Mon souffle se bloqua. Un mauvais pressentiment se glissa sous ma peau.
- Elle n'était pas là. Ils sont entrés chez toi et ont tout retourné.
Le sol sembla vaciller sous mes pieds.
- Quoi ?! criai-je, la panique transperçant ma voix.
Je laissai le gardien en plan et me ruai à travers l'escalier jusqu'à mon appartement. Mon cœur battait à tout rompre tandis que je gravissais les marches, une sourde angoisse me tenaillant la gorge. Arrivée sur le palier, je marquai un temps d'arrêt. Ma porte était fracturée. Un papier y était accroché.
Une carte de visite des Mambas.
Un frisson parcourut mon échine. Tout le monde les craignait en ville, et je ne faisais pas exception. Pourtant, une montée de rage supplantait ma peur. Mes doigts tremblèrent lorsque je poussai la porte, prudemment, prête à faire face à l'inévitable. Ce que je découvris me coupa le souffle. Mon appartement n'était plus qu'un champ de ruines. Les murs éventrés, le canapé lacéré, mon lit en lambeaux. Le chaos absolu.
La colère prit le pas sur le choc. Je me redressai lentement, refoulant les larmes qui menaçaient de tomber. Ils avaient détruit mon espace, mon refuge, sans même me laisser une chance de comprendre.
Un couteau était planté dans le mur de la cuisine. Je m'approchai, fébrile, et arrachai le papier qui y était accroché. Les mots griffonnés confirmèrent ce que je craignais. Ma mère leur devait de l'argent.
Une bouffée d'adrénaline me traversa. Ils attendaient un paiement. Ou pire. Mais je n'allais pas fuir.
Je rassemblai rapidement les quelques affaires encore intactes. Non pas pour partir. Pas cette fois. Je devais les trouver. Leur parler. Et m'assurer que cette dette ne soit pas la fin de mon monde.
Je terminai mes deux sacs et sifflai pour appeler Oreo. Un silence oppressant s'installa avant qu'un léger mouvement sous les meubles de la cuisine ne trahisse sa présence. Il était recroquevillé là, les oreilles basses, ses yeux écarquillés par la peur. La vue de mon chat, terrifié par le chaos qui avait ravagé notre appartement, me serra la gorge.
- Viens là, mon beau, murmurai-je doucement, tentant de ne pas trahir le tremblement dans ma voix.
Oreo hésita, puis avança à pas feutrés. J'ouvris mon sac et l'y glissai avec précaution avant de prendre sa gamelle et son panier. Il se tassa au fond, tremblant, mais ne protesta pas.
Je pris une inspiration profonde et quittai l'appartement dévasté, le poids du sac et de la situation me plombant les épaules. Mes pas résonnèrent dans l'escalier tandis que je descendais, une boule d'adrénaline et de colère nouant mon ventre.
Au pied des marches, le gardien m'attendait. Un sourire étirait ses lèvres. Un sourire qui m'arracha un frisson de dégoût. Le gardien voulut dire quelque chose, mais je ne lui laissai pas le temps. D'un mouvement sec, je le repoussai et m'élançai dans la rue sans un regard en arrière. Mon souffle était court, mes jambes portées par une urgence que je peinais à contenir.
Je courus jusqu'à ma voiture, jetai mes sacs sur le siège passager et claquai la portière avant de démarrer sans attendre. Mes mains tremblaient sur le volant tandis que mes yeux ne quittaient pas la carte de visite des Mambas posée sur le tableau de bord. Un bar était inscrit dessus, un nom qui ne laissait aucune place au doute. Il se trouvait à l'autre bout de la ville.
Je pris la direction du bar, le moteur ronronnant dans le silence pesant de l'habitacle. Mon cœur battait un rythme chaotique contre mes côtes. Je savais ce que j'allais faire. Et je savais à qui j'allais devoir parler.
Une trentaine de minutes plus tard, je me garai devant l'établissement. L'endroit dégageait une ambiance brute, sombre, un territoire marqué d'une empreinte indélébile : celle des Mambas.
Devant l'entrée, un videur montait la garde. Et quel videur. Massif, couvert de tatouages qui racontaient des histoires qu'on ne voulait pas connaître, une arme bien en évidence à sa ceinture. Son regard pesait sur moi avant même que je ne l'atteigne.
Je pris une inspiration et m'approchai, lui tendant la carte.Il baissa les yeux dessus, puis me détailla de la tête aux pieds avec un sourire en coin. Un sourire mauvais. Un rire grave échappa de ses lèvres avant qu'il ne pousse la porte pour me laisser entrer.
- Bon courage, Poupée, lança-t-il avec une moquerie qui me fit frissonner.
Je serrai les mâchoires et passai la porte. Pas question de reculer. Une fois franchis le seuil du bar, je fus immédiatement submergée par l'atmosphère suffocante qui y régnait. L'air était épais, saturé de fumée, d'alcool et de sueur, un mélange brut qui s'accrochait à ma peau. La lumière tamisée projetait des ombres mouvantes sur les murs, donnant à la pièce une impression de territoire interdit.
Chaque regard me lacérait. Les femmes me dévisageaient avec une haine sourde, leurs yeux chargés de défi. Les hommes, eux, sifflaient sur mon passage, leurs sourires gras laissant entendre des intentions qui me faisaient frissonner. Je sentais leur présence peser sur moi comme une menace silencieuse, un avertissement muet : je n'étais clairement pas la bienvenue.
La musique vibrait dans mes entrailles, un vieux rock rugueux, presque animal, qui résonnait avec la brutalité du lieu. Des corps s'entremêlaient sans pudeur dans les coins sombres du bar, des mains avides, des souffles rauques. Aucun tabou. Juste l'abandon.
Je pris une inspiration et balayai la foule du regard. Au fond du club, entouré de ses frères, il était là. Le Président des Mambas.
En pleine discussion, son charisme écrasait ceux qui l'entouraient. Une force brute émanait de lui, une autorité incontestable.
Mon cœur accéléra. C'était lui que je devais voir. Lui qui détenait les réponses.
Dès l'instant où mon regard se posa sur lui, une vague de froid me submergea.
Ice.
Son nom seul suffisait à faire frémir toute la ville, et maintenant, il se tenait là, à quelques mètres de moi. Sa présence imposait le silence, une autorité écrasante qui réduisait presque tous les autres à de simples ombres autour de lui. Son under cut châtain, soigneusement taillé, accentuait la dureté de son visage, et sous la lumière tamisée du bar, quelques mèches plus claires semblaient capter la lueur comme un avertissement.
Mais c'était son regard qui me paralysa. Un gris si pâle qu'il en paraissait irréel. Des yeux vides d'émotion, tranchants, impitoyables. Des yeux qui voyaient tout, analysaient tout, disséquaient chaque personne qui osait se tenir devant lui.
Un frisson glacial me parcourut l'échine. La cicatrice qui lui barrait le visage, partant de sa joue gauche jusqu'à sa tempe droite, renforçait encore son aura de danger. Un souvenir gravé à même la peau, un signe indélébile de la brutalité dont il faisait partie.
Je sentis ma respiration se bloquer quand mon regard dériva vers ses mains.
À son auriculaire gauche, une chevalière frappée d'une tête de serpent—le mamba. Son emblème, son avertissement. Son cuir élimé était couvert de patchs, celui du 1% affiché fièrement, preuve qu'il ne suivait aucune règle, sauf celles qu'il imposait lui-même.
Et il était immense. Deux mètres de muscles, une force brute, une montagne d'homme dont la seule stature semblait m'écraser avant même qu'il ne pose les yeux sur moi.
J'étais minuscule face à lui. Une proie qui venait d'entrer dans la tanière du loup.
Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, chaque battement résonnant contre mes côtes avec une force douloureuse.
Impossible de reculer. Impossible d'ignorer la peur qui me nouait les entrailles. Mais surtout... impossible de montrer la moindre faiblesse.
A ses côtés, trois hommes, comme des ombres épaisses aux côtés d'Ice, et pourtant, leur présence était tout aussi écrasante.
Le premier sur ma droite, Texas, massif, presque aussi grand qu'Ice, portait une barbe brune et des cheveux longs attachés en chignon. Son visage était marqué par la vie et la violence, sa mâchoire carrée accentuée par un sourire en coin qui n'avait rien de rassurant. Sa veste de cuir était déchirée par endroits, son torse moulé dans un t-shirt qui semblait trop petit pour lui et ses bras tatoués laissant deviner une histoire écrite à l'encre et au sang.
Le deuxième, à ma gauche, Jet, plus sec, musclé, nerveux, était un fauve prêt à bondir. Le crâne rasé révélait un entrelacs de cicatrices, souvenirs d'anciens affrontements. Ses yeux, sombres et perçants, semblaient jauger chaque mouvement, calculer chaque respiration. Il jouait distraitement avec un couteau, le faisant tourner entre ses doigts avec une fluidité menaçante.
Et le dernier, assis à la droite d' Ice, Tank, le plus mate de peau, tout aussi grand et viril que les autres, mais tout aussi dangereux. Il arborait un sourire carnassier. Ses cheveux cours étaient caché par une casquette noir dont la visière était placée à l'arrière. Son bras était couvert de tatouages représentant des flammes, et un serpent s'enroulait autour de son poignet, comme si l'animal était prêt à mordre. Son blouson, surchargé de patchs et de symboles, démontrait son appartenance au gang sans ambiguïté.
Tous les trois formaient une barrière infranchissable. Des prédateurs qui ne perdaient jamais de vue leur territoire. Et moi, seule au centre de leur champ de vision, leur proie involontaire.
Je sentis mon cœur cogner contre ma poitrine. Impossible de reculer. J'allais devoir affronter Ice et ces hommes qui semblaient taillés dans le même acier brut que lui.
Je fis un pas en avant, sentant les regards peser sur moi comme des lames invisibles. L'air chargé de fumée et de tension me collait à la peau, et chaque mouvement semblait amplifié par le silence qui s'était installé autour de la table.
Les conversations s'éteignirent à l'instant où je posai le couteau et le mot sur le bois marqué par le temps. Ice leva un sourcil, puis, sans la moindre hésitation, récupéra la lame avant de chiffonner le papier d'une main large et puissante. Comme si ces mots n'avaient aucune importance.
Mon ventre se noua sous le poids de sa nonchalance.
- Pourquoi ? soufflai-je, ma voix plus tremblante que je ne l'aurais voulu. Pourquoi avoir détruit mon appartement ? Je ne vous dois rien.
Un sourire sans joie étira ses lèvres.
- Ce n'est pas ce que ta mère a dit.
Mon souffle se coupa.
- Pardon ?
- Elle nous a assuré que tu te portais garante pour elle.
Le monde autour de moi bascula. Une brûlure glacée parcourut mon dos. Elle avait menti. Elle m'avait vendue. Je reculai légèrement, comme si je pouvais physiquement échapper à cette vérité qui venait de s'abattre sur moi.
- Je... je n'ai pas d'argent. Je suis qu'une putain de coiffeuse...
Ma voix se brisa sous le poids du désespoir. Ice inclina la tête, son regard tranchant s'ancrant au mien avec une intensité qui me fit frissonner.
- Tu sais où elle est ?
Je déglutis, cherchant désespérément une issue, une faille.
- Dans un casino... probablement.
Il poussa un soupir, comme si la réponse le décevait.
- Dommage.
Sa chaise racla le sol alors qu'il se levait, me dominant encore plus qu'avant. Je sentis le sol vaciller sous mes pieds.
- La dette, maintenant, c'est la tienne. Trente-mille dollars.
La somme explosa dans mon esprit comme un coup de tonnerre. Mes poumons se serrèrent, mon souffle devint erratique. J'avais l'impression d'être prise au piège, enfermée dans une situation dont je ne pouvais pas m'extraire.
Ma mère m'avait trahie.
Ice quitta la table et tourna les talons. Puis je vis une femme se redresser et apparaître de dessous la table. Elle s'essuya du revers de la main, la bouche. Tank la saisit par le bras et d'un regard, il lui fit comprendre de retourner sous la table. Celle-ci me lorgna, une larme coulant sur sa joue, disparu sous la table et je vis Tank me sourire.
Je n'eus pas besoin de regarder pour comprendre ce qu'il se passait et ce que ce dernier venait d'ordonner à la fille de lui faire.
- Viens, m'ordonna le président des Mamba, froidement et me ramenant à la réalité avec force.
Je restai figée.
- On va discuter, ajouta-t-il comme pour me rassurer, ce qui ne fonctionna nullement.
Un frisson me traversa. Puis, à contre-cœur, mes jambes obéirent. Je le suivis à l'arrière du bar, remontant un couloir sombre.
Ice poussa une porte et s'écarta pour me laisser entrer. Je hésitai. Mais avais-je vraiment le choix ? Je pénétrai dans la pièce, tendue comme un fil prêt à casser. Derrière moi, la porte se referma avec un clic sourd. Le verrou tourna. Mon estomac se noua. Seule. Face à lui. Il se laissa tomber dans son fauteuil, comme si tout cela n'était qu'une formalité. D'un geste nonchalant, il posa son flingue sur le bureau. Mon regard s'y accrocha un instant, ma gorge s'assécha. Puis il posa un papier devant lui. Un contrat.
- Les choses sont simples, lâcha-t-il d'une voix calme, presque blasée.
Simple. Rien ne l'était. Je déglutis avec peine, mes doigts crispés autour des coutures de mon blouson.
- Soit tu me donnes ta vie pour rembourser la dette de ta vieille...
Chaque mot résonna, s'infiltrant sous ma peau comme une menace insidieuse.
- Soit tu m'appartiens.
Le temps se figea. J'écarquillai les yeux, mon souffle se bloqua dans ma poitrine.
- Quoi ? murmurai-je, incapable de croire ce que je venais d'entendre.
Il poussa le papier vers moi.
- Un contrat d'appartenance. Mes jambes vacillèrent sous moi.
- C'est quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Que tu m'appartiendras. Vois-tu j'ai plein de brebis, mais plus de poupées et ça me manque un peu.
- Une poupée ?
- Oui, tu seras ma poupée, tu vivras chez moi, tu seras à moi, je t'accorde le droit de garder ton job, je prendrais soins de toi, et toi de moi, tu vois ce que je veux dire ?
- Oui, je vois, dis-je en déglutissant. Je serais ta pute...
- Une pute on la paye, toi, je n'ai pas l'intention de te payer...
- Jouer sur les mots te fait kiffer ? répliquai-je ?
- Ceux ne sont que des mots. Noa, ma proposition est à réflexion à durée déterminée, soit une minute , m'avertit-il.
- Je n'ai pas vraiment le choix, dis-je.
- En effet, me dit-il tout en me tendant un stylo. Mais si ta vieille réapparaît et par miracle, elle me rembourse, alors tu seras libre.
Je déglutis, fixant le flingue, une larme roua sur ma joue. Ice ne me quitta point du regard. Il voulait que je signe. Il voulait me lier aux Mambas et cela indéfiniment.
Je pris le stylo et n'eus le choix de signer ce fichus contrat. Ice s'en saisit et se leva avant d'aller le ranger dans un coffre-fort. Ce dernier s'approcha de moi, il se posta dans mon dos et effleura la peau nue de mon épaule. Je me tendis et fermai les yeux m'attendant au pire. Ice se pencha à mon oreille et je sentis son souffle chaud contre ma peau.
- Tes clés de voiture, Poupée ! Un de mes gars va la conduire jusqu'à chez moi, toi à partir de maintenant, tu posera ton cul sur ma moto, derrière moi. On parlera des autres règles plus tard, il est tard.
- J'ai un chat, il est dans la voiture. Je peux le garder ?
- Tu gères ta boule de poils, elle fait des conneries, tu ramasseras, c'est clair ?
- Oui, très, répondis-je dans un souffle.
- Bien, on va y aller. Je pensais pas que cette soirée se terminerait ainsi ! Elle avait mal commencé et elle se termine bien mieux que je l'espérai, dit-il en récupérant lui-même les clés de ma voiture dans la poche de ma veste avant de poser un rapide baiser sur ma tempe, symbole de sa possessivité sur ma personne.
Silencieuse, je n'eus pas le choix que de le suivre. Ice fourra sa main dans ma nuque avant de pousser la porte qui menait jusqu'au bar. Je passais la porte la première et fus accueillit par un spectacle insoutenable, une femme était nue, allongée sur une bâche en plastique étalée à même le sol, le visage tuméfié, blessée et plusieurs mecs étaient en train de lui uriner dessus.
- C'est ce qui arrive aux méchantes filles, susurra Ice à mon oreille.
- Elle a fait quoi ? demandai-je dans un souffle.
- Une grosse bêtise. Elle a dérogé aux règles et son maître a décidé de la punir. Elle ne le sait pas encore, mais c'est sa dernière nuit en vie. C'est ce qui arrive quand on trahi les Mambas. C'est ce qui t'arrivera si tu me trahis, répéta-t-il.
Ma gorge se serra quand je vis un homme lui lancer un seau d'eau dessus, puis il l'attrapa par les cheveux. La fille hurla et se tut aussitôt quand il la gifla. Il la hissa sur une table à plat ventre et la souilla sans aucune once de remord.
Un violent frisson me saisit, je déglutis et tournai la tête quand je vis l'homme qui était en train d'abuser d'elle, la saisir par les cheveux avant de l'égorger quand il arriva au point de sa jouissance. Les mambas se mirent à siffler et à crier un mantra « On ne trahis pas les mambas ! ». Mon regard dévia sur les autres femmes présentes dans le bar. Certaines vinrent cracher sur le corps encore chaud de la pauvre fille, dont le sang coulait sur la bâche en plastique, d'autres semblaient toutes aussi mal que moi.
Ice m'attira contre lui et se laissa choir sur sa chaise. Il commanda un verre au barman et rapidement une fille vint le lui apporter. Il le leva et répéta haut et fort « On ne trahit pas un Mamba ! », puis but une gorgée avant de glisser le verre devant moi.
- Tu devrais boire, Poupée, ça va te faire du bien.
Je pris le verre et le vidai d'une traite avant de sentir le regard des autres sur ma personne.
- J'ai bien entendu ? Tu l'as appelé Poupée, demanda Tank.
- Ouais, tu as bien entendu. Messieurs, je vous présente Noa, Noa voici mes frères, les seuls avec qui je partage tout, dit-il tout en raffermissant sa prise sur ma taille. Voici Tank, Jet et Texas. Ils sont les seuls qui ont les mêmes droits sur toi que moi. Leur parole sont loi en mon absence. Mais pour ce soir et cela jusqu'à demain soir, je vais être un connard égoïste et te garder pour moi tout seul, dit-il en souriant, avant de commander un nouveau verre.
Mon regard évita celui des frères d'Ice, mon corps lui était tendu comme un arc, appréhendant le reste de ma soirée et même de ma vie. Ice siffla pour interpeller un aspirant et lui lança mes clés de voiture.
- Ramène la caisse chez moi et fais gaffe au chat qui se trouve dans la voiture. Tu diras à Corry que demain je veux un accès à sa boutique de fringues, j'ai une poupée à relooker. J'ai saccagé sa barraque et je sais que j'ai fais pas mal de dégâts. Trouves quelqu'un pour vider son appart et réparer la casse.
- Bien Pré's, répondit l'aspirant en hochant la tête avant de s'éclipser.
- Toi et moi, on va rentrer.
- La phrase résonna comme une sentence.
- Je restai figée, incapable de bouger, tandis qu'Ice adressait un regard impassible à ses hommes.
- Messieurs, je vous souhaite une bonne soirée. Buvez, amusez-vous. Nous réglerons le problème que cette traînée a déclenché demain.
- Un silence pesant s'abattit sur la table. Je sentis mon cœur se serrer, ma gorge se nouer, mais je ne laissai rien paraître. Pas ici. Pas devant eux.
- Larks, trouves-moi ce témoin.
- J'ai déjà commencé. J'ai infiltré les ordis de la police, je vois mon contact demain.
Je frémis malgré moi. Ces hommes n'étaient pas seulement dangereux. Ils avaient le pouvoir, les moyens, et surtout, l'absence totale de limites.
- Ice hocha la tête.
- OK. La messe est pour huit heures... Enfin disons neuf.
Il laissa sa phrase traîner, son regard glissant sur moi de la tête aux pieds.
Je déglutis. Son sourire s'étira, froid, calculateur. Je frissonnai, et il le sentit. Mais il ne réagit pas. Comme si ma peur n'était qu'un détail sans importance, une conséquence prévisible.
Il se leva, m'indiquant d'un signe de tête de le suivre. Dehors, l'air nocturne m'arracha une bouffée d'oxygène bienvenue. Mais à peine eus-je le temps de respirer que mon regard tomba sur sa moto.
Une Harley, massive, rutilante, intimidante. Je doutais qu'un simple véhicule puisse paraître aussi menaçant. Ice s'approcha, fit basculer la béquille d'un mouvement fluide, puis m'observa. D'un geste brusque mais assuré, il m'aida à m'installer derrière lui. Ses mains se refermèrent sur mes poignets avant de les poser contre son torse.
- Accroche-toi, murmura-t-il.
Le moteur rugit sous nous, son grondement vibrant jusque dans mon ventre. Puis il démarra, quittant le bar, puis la ville, pour s'enfoncer dans l'obscurité. Le silence autour de nous était oppressant. J'étais seule. Et mon cœur battait à un rythme dangereux.
La route s'étirait sous nous, avalée par le rugissement du moteur. L'air nocturne était chargé d'humidité, et le froid mordait ma peau à travers mon blouson, mais ce n'était rien comparé au poids oppressant qui me paralysait de l'intérieur. Ice ne parlait pas, concentré sur la route, mais je sentais son corps massif sous mes mains, chaque mouvement calculé, chaque vibration de la Harley résonnant jusque dans ma poitrine.
Nous quittâmes la ville sans un regard en arrière. Les lumières urbaines s'effacèrent progressivement, remplacées par le néant, une obscurité troublée seulement par les phares de la moto et la lueur diffuse de la lune. Le silence s'épaissit autour de nous, seulement brisé par le grondement du moteur et le souffle du vent qui me fouettait le visage.
Puis, au loin, des lumières apparurent. Un bâtiment se détachait dans l'ombre de la forêt, imposant, austère, encadré par plusieurs motos et silhouettes statiques, en alerte.
Le QG des Mambas. Là où rien ne m'appartenait. Où tout allait se décider.
Ice ralentit à l'approche du portail, un énorme grillage renforcé derrière lequel plusieurs hommes montaient la garde. Les regards se braquèrent sur nous, silencieux, observateurs.
Il ne s'arrêta pas. D'un simple signe de tête, il fut reconnu, et les portes s'ouvrirent dans un bruit sourd.
Je sentis mon estomac se tordre alors qu'il avançait sans la moindre hésitation.
Son territoire. Son monde. Et moi, désormais, j'y entrais.
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