Plume - La Librairie des Quatre Vents

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Il faut la voir la Librairie des quatre vents ! Les gens y viennent sans autre ambition que de dégoter leur prochaine lecture, mais ils mettent un pied dans la librairie et c’est tout un monde qui s’offre à eux. Alice ne devait pas être plus dépaysée au pays des merveilles. Il y a des commodes et des vélos accrochés aux murs, un gigantesque canoë en bois navigue sur le plafond, on passe d’une pièce à une autre en traversant de vieilles armoires et des cactus géants sont disposés à chaque coin, comme des vigiles peu commodes. Au centre de l’espace « Croyances et spiritualité » trône un confessionnal. Plume ne croit pas au pardon divin, aux pêchés que l’on lave juste en les confiant, au sauvetage des brebis égarées. Elle croit en la bienveillance. Pour elle, le seul moyen de se sauver est d’essayer de devenir meilleur. Dans son isoloir en bois, on trouve un corbeau empaillé, une peinture de la Vierge Marie en soutien-gorge au milieu de roses rouge, aussi kitsch qu’une photo de Pierre et Gilles, des mises en scène de rejetons d’Amérindiens et de gens d’église un peu fêlés et un collage représentant un Indien à cheval face à un cow-boy. « Tu m'as menti ! » dit l'Indien. « Faudra t'y habituer ! » répond le cow-boy. Plus loin, un extrait du poème The Art of losing d'Elizabeth Bishop ondule en lettres géantes sur le mur. Dans l'art de perdre, il n'est pas dur de passer maître ; tant de choses semblent si pleines d'envie d'être perdues que leur perte n'est pas un désastre. Plume crée aussi des silhouettes en papier de personnages culte et les place tout en haut des étagères. Hamlet, Lennie et George, Scarlett, Bathsheba, Tom Sawyer, Lisbeth Salander, Tyler Durden ou Croc-Blanc veillent fièrement sur leurs armées de papier. La déco est du fait de Plume. Moi, je me contente d’évoluer dans son univers, comme toujours. On pourrait croire que je m’en plains, mais pas du tout! C’est le pied franchement. Quelques gestes de tendresse en supplément et je serais le roi du monde. Mais pour l’instant, elle les réserve à son matou.

  Au rayon jeunesse, on peut trouver les livres illustrés dont elle est l’auteure. Ceux qui racontent l’histoire de sa famille, de sa tribu. Elle sait que sa culture disparaît peu à peu, emportée par les temps modernes comme l’aigrette du pissenlit par le vent. Il faut vivre avec son époque oui, mais ne pas oublier d’où l’on vient. Je retrouve ses pensées dans les carnets que l’on partage. C’est ainsi que l’on échange, par feuillets interposés. S’y retrouvent pêle-mêle ses consignes, conseils, listes de livres à commander et pensées plus intimes. Je suis son prête-voix après tout. Il faut que je sois capable d’exprimer le fond de sa pensée aussi bien qu’elle le ferait elle-même. Et puis j’aime ces écrits, que l’on échange, comme une discussion qui ne s’arrête jamais vraiment. Même les jours où elle se contente de noter « Rappeler Mme Santiago ». C’est un peu frustrant, mais c’est toujours ça de pris. Ce fil d’encre est un trait-union entre elle et moi. Depuis longtemps, une pensée ressort particulièrement chez Plume, celle que celui qui néglige ses racines est perdu. Elle observe nos frères indiens et constate que ceux qui ont oublié leurs coutumes, leur instinct et le respect dû à leur terre mère se partagent en deux catégories : ceux qui, pas adaptés à la vie en ville, se noient dans l’alcool et ceux qui font fortune dans les salles de jeux. Plume mise sur les autres, ceux qui fréquentent des tribal colleges, apprennent l’américain et le hopi, prennent le meilleur de leurs traditions et l’utilisent pour transmettre, créer et s’épanouir. Alors elle dessine les rites ancestraux, illustre la culture du maïs et fait revivre les mots enterrés. Dès qu’elle le peut, elle plonge dans ses souvenirs d’enfant, questionne ses aînés et dessine le monde hopi dans des albums colorés. L’action de la plupart de ses contes se situe en Arizona, sur les hauts plateaux, entre 1991, année de sa naissance, et aujourd’hui. La quête d’identité est son thème phare. La magie s’invite souvent dans ses croquis qui exhument les mythes cachés dans les profondeurs du quotidien et honore la mémoire de ses aïeux. Par ses fables colorées, elle cherche surtout à s’adresser aux enfants de notre peuple. À ceux qui vivent en chaque adulte aussi. Mais ce sont les touristes qui en sont le plus friands. C’est charmant et folklorique à leurs yeux. C’est bien aussi. Pourvu que notre culture continue de vivre.

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