Plume - Le Danseur
Son corps s’agite au rythme des percussions. Ses bras semblent vouloir arracher les nuages, ses jambes vouloir briser le sol. Tous ses membres répondent aux sons, dans une grâce absolue. Plume ne peut détacher son regard de cet homme. De la douceur et de la force qui s’expriment dans ses mouvements. Il a le regard d’un fou et le sourire d’un enfant le matin de Noël. Il semble possédé. Ses muscles, comme taillés dans la pierre, se métamorphosent à chaque ondulation. Hypnotisée par ce corps qui exulte, Plume commence elle-même à secouer les épaules, à dodeliner de la tête, à marquer le tempo de son pied droit. Puis son bassin commence à ondoyer, ses mains à caresser l’air, son torse à se mouvoir comme un serpent prêt à bondir sur sa proie. Dans sa transe, elle découvre la puissance de son corps de femme. Et que les pieds ancrés dans la terre, l’esprit perdu au loin, on peut découvrir le vrai sens du mot « liberté ». Comme cet homme aux cheveux gris qui danse, malgré les lourdes chaînes qui entravent ses chevilles.
Comme chaque nuit depuis des mois, Plume se réveille en sueur, essoufflée, agitée. La peau du tambour frappée par une mailloche molletonnée continue de résonner sous ses tempes. Son palpitant bat au même rythme et semble vouloir s’échapper de sa poitrine. Toujours ce même rêve. Un pas de deux improvisé au milieu de la nuit qui la laisse haletante et confuse. Qui est cet homme ? Elle ne le connaît pas, mais ses traits lui semblent pourtant familiers... Est-ce un ancien ? Un kachina venant la visiter en rêve ? Ou seulement l’écho de ses angoisses, qui se dessinent dans le creux de la nuit, sous les traits d’un Amérindien captif, d’un homme dans la force de l’âge qui est enchaîné, mais ne semble pas s’en émouvoir ? Est-ce comme cela que réagissaient ses ancêtres ? Acceptaient-ils leur sort le sourire aux lèvres ? Accueillaient-ils les injustices qu’ils subissaient en se trémoussant joyeusement ? Non, c’est peu probable. Nul Hopi n’a jamais accepté la domination, d’où qu’elle vienne, Plume le sait bien. Alors quoi ? Qu’est-ce qui lui prend à cet homme aux muscles en grès et aux pieds d’argile ? Est-il en train d’exécuter une danse tribale pour divertir les blancs ? Non plus. Il semble heureux, viscéralement heureux... jouer le fou du roi ne peut pas en être la raison. Ce doit être autre chose. C’est forcément autre chose. Oui, mais quoi ? La folie pure et simple ? C’est une option. Mais Plume ne l’aime pas beaucoup. Un pied de nez alors ? Mais oui ! Une farce dansante bien sûr ! Le beau diable se moque de ses geôliers en cadence. Il est plus libre que n’importe lequel d’entre eux et veut leur faire savoir. Plume comprend enfin. Le danseur s’invite dans ses rêves pour lui faire un présent : il lui offre des racines et des ailes.
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