Blake - La Floraison
Ce matin-là, Blake aperçoit des hommes de la tribu, armés de bâtons, quittant le village en courant dans les quatre directions.
— Ils partent capturer des rattlesnakes, lui explique Humita. Les plus grands possibles.
L’Homme qui Dort sur son Souffle n’a pas le temps de demander plus d’explications, car il se trouble en voyant Selah sortir de la maison. Il la trouve différente. Comme les autres jeunes femmes du village, elle porte une robe en laine asymétrique, serrée à la taille par une ceinture rayée. Son épaule gauche est dénudée. Fine. Joliment dessinée. Blake n’avait jamais vraiment prêté attention à l’épaule gauche de Selah avant, à son grain de peau non plus. C’est une épaule délicate, une épaule de danseuse classique. Une constellation de grain de beauté s’épanouit en son sommet. Un enfant l’interpelle, elle se retourne pour le saluer, offrant à Blake l’esquisse de son omoplate. Ce dernier est captivé par cet arc qui se tend et se détend sous la peau au gré des mouvements de la jeune femme. On dirait des ailes repliées sous la peau.
— Un ange déchu…, pense Blake, à voix haute.
— Un ange déchu ? s’étonne Selah. Qu’est-ce que tu racontes ?
— Rien, je réfléchissais, lui répond-il, tout penaud.
— Fais attention, ton passé d’enfant de chœur te rattrape, le met-elle en garde en riant.
Elle porte des mocassins frangés en daim blanc et des bandes de cuir sont enroulées autour de ses mollets. Perdu dans les merveilleux détails de sa silhouette, dans l’observation minutieuse de son grain de peau, Blake ne remarque pas tout de suite l’exubérante coiffure de la jeune fille, structurée en deux gros macarons noirs qui encadrent son visage. Une vraie sculpture capillaire de princesse Leia. Blake apprendra plus tard que ces coiffures en forme d’ailes de papillon imitent la floraison des courges et sont arborées par les jeunes filles en fleur, les vierges de la tribu au printemps de leur vie. En cet instant, Blake a simplement du mal à reconnaître son amie. Il la trouve belle. Mais il a surtout peur. Il lui semble que les racines qu’elle retrouve creusent des sillons entre elle et lui. Il la voit replonger dans les traditions hopis comme une loutre affamée dans la mer. Lui restera à quai, il le sait bien. Il observera sa silhouette disparaître au large puis ne restera d'elle que des ondes circulaires à la surface. Même les encyclies se transformeront en souvenir. Il n’est pas de son monde, juste un invité de passage. Depuis deux jours seulement, Selah et lui arpentent les terres hopis, mais déjà le jeune homme a l’impression de perdre son amie. C’est lui qui partira pourtant. Il est des menaces à l’amitié plus grandes que le retour à sa vraie nature ; « I-------e » et « A------n » sont leurs noms.
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