Blake - Le Renard
Blake est réveillé par des petits cris aigus, misérables. Des glapissements. Il quitte son couchage et ces sanglots sauvages le mènent hors de la maison. Le soleil inonde la mesa depuis plusieurs heures déjà. Les yeux de Blake, encore plein de sommeil, gardent leurs paupières en visière pour affronter la douloureuse lumière. Les cris sont proches. L’Homme qui Dort sur son Souffle avance sur la terre blanche et trouve, à l’angle de la maison de Humita, un tout petit renard aux oreilles immenses, enfermé dans une cage. Son corps mince se termine par une queue touffue à pointe noire. Un pinceau trempé dans l’encre pense Blake. Des taches sombres, nettes, dessinent des rigoles le long de son museau. Il s’agite, mord les barreaux, se met sur le dos et griffe les murs de sa prison avec une énergie désespérée. Il jappe et trompette sans discontinuer. Triste spectacle. À chaque petit cri de l’animal, une morsure cloue l’estomac de Blake. Il tente de se raisonner. Suffit Blake. Tu passes bien ton temps à manger du lapin et c’est mignon le lapin, hein. C’est rien qu’une stupide bestiole après tout. Tu vas pas rester planté là, à larmoyer comme un faon ! Il poursuit son monologue intérieur un long moment, se tape les cuisses, insulte ses faiblesses, maudit sa sensibilité, fait mine de partir à plusieurs reprises, mais n’arrive pas à s’éloigner du captif. Si bien qu’en rentrant deux heures plus tard, les bras chargés de pommes, grand-mère le trouve assis près de la cage, perdu dans ses pensées. Il en fait une tête ! C’est fou ce que ça peut déprimer un blanc...
— Belle prise n’est-ce pas ? lui lance-t-elle, pleine d’allant, en désignant le renard du menton.
— Vous allez en faire quoi ?
— Tu vois ces jolies nuances ? L’ocre, le gris rouille, les touches de noir... ce renard porte sur lui toutes les couleurs du désert.
— Vous le gardez pour sa fourrure ?
— Pour quoi d’autre ? lui répond-t-elle en riant.
*
Chaque matin, Blake nourrit le renard avec des restes de lapins. Humita lui donne aussi des fruits, des insectes, des serpents et des lézards. « C’est important pour la qualité du pelage », dit-elle. Après quelques jours de captivité, le renard semble résigné. Il ne bouge plus, ne glapit plus. Allongé, la tête posée sur ses pattes avant, il peine à ouvrir les yeux. Son silence fait encore plus mal que ses cris. Blake n’y tient plus et expose sa requête à Humita.
— Libérer le renard ? En voilà une idée ! lui répond-t-elle, surprise par une demande aussi hardie.
Décidément, l’esprit de ce visage pâle est plein de pensées étranges. Elle l’aime bien malgré tout, mais de là à envisager de faire une croix sur un revenu essentiel, il y a un monde. Elle contemple ce grand garçon qui regarde ses pieds, l’air à la fois déçu et embarrassé, et songe qu’il est comme un enfant. Elle éclate alors de rire et enchaîne :
— Pas possible ça ! Huhuhu ! À part si L’Homme qui Dort sur son Souffle me trouve un élixir de jeunesse en monnaie d’échange, le destin du renard est scellé.
Puis, elle poursuit sa route en dodelinant de la tête et en répétant tous les trois pas « Libérer le renard ! ». Elle rit de plus belle à chaque fois.
Blake retourne s’asseoir près de la cage, mais évite de regarder le prisonnier. Il reste là, prostré, durant des heures puis, décide de s’en remettre une nouvelle fois au destin. Si la Lune est pleine cette nuit, il retrouvera sa liberté. Blake ausculte le ciel jusqu’à la tombée du jour, anxieux. Le ciel change d’aspect mille fois, les nuages se sculptent comme de la pâte à modeler, le rose pâle efface l’azur, avant que le rouge-or le chasse à son tour. Revenant du champ, Humita aperçoit une nouvelle fois Blake assis à même le sol, près du canidé et semblant converser avec les nuages. Complètement siphonné ! pense-t-elle. Il ferait mieux de se rendre utile, celui-là. Il est vrai que, depuis son arrivée, Blake se laisse un peu porter. Sa compagnie est agréable, il se montre curieux, pose plein de questions et, surtout, couvre Selah d’attentions, mais, hormis le fait d’échanger des amabilités avec un renard, il ne fait pas grand-chose. Il se lève après tout le monde et ne se montre pas particulièrement doué pour les travaux manuels. Bah, il nous joue de jolis airs au moins, concède Humita. Le soir, après le repas, le clan se réunit sur la place du village et Blake fait naître quelques mélodies sur les fils de sa guitare. Des voix les accompagnent avec des textes traditionnels ou de simples sons, aux fibres ancestrales et aux accents d’éternité. Parfois, il se joint aux autres, avec ses propres mots et sa tessiture de baryton dramatique. Dans ces moments-là, sur la hauteur de la mesa, une atmosphère cotonneuse berce les membres du clan des aigles. Mais ce soir-là, malgré les sollicitations de Selah, Blake ne participe pas au dîner et ne donne pas concert. Le firmament oublie de revêtir son costume noir et se pare de blanc. Le ciel est si couvert que l’astre de la nuit conserve longuement son mystère. Mais, lorsque les nuages finissent par s’écarter, ils laissent place à une Lune ronde et pleine.
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