Blake - L'apprenti Chasseur

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  — Permets-moi de t’appeler Mi Fu, dit Blake au renard en ouvrant la porte de sa cage. Comme lui, tu es tenace et tu as de l’encre de Chine au bout de ton pinceau.

Mais Mi Fu ne semble pas partager l’enthousiasme de l’humain qui parle une langue étrange. Il ne bouge pas, reste tapi au fond de la cage.

  — File ! Qu’est-ce que tu attends ? Allez, un peu de courage, tu es libre !

Face à ces encouragements, le goupil se contente de dresser les oreilles, d’écarquiller les yeux et de pencher sa tête d’un côté, puis de l’autre, comme pour marquer son incompréhension. Après de longues et stériles négociations, Blake décide de pencher la cage pour en déloger le renard. Mais, une fois à l’air libre, ce-dernier semble aussitôt vouloir la regagner. Blake condamne son entrée et redouble d’efforts pour pousser son protégé à fuir. Rien n’y fait, au lieu de courir vers le désert, Mi Fu choisit de se dissimuler derrière les pattes de son bienfaiteur. Puis le suit. Où qu’il aille dans le village ou dans les champs en contrebas, la petite créature rousse reste dans son champ de vision. Elle se cache derrière les murets, à l’angle des maisons ou dans la rare végétation. Blake est peiné. Ainsi, même sans cage, Mi Fu ne retrouvera jamais sa liberté. En quelques semaines, le fléau de la dépendance a enveloppé l’animal, au point qu’il ne sait désormais plus comment vivre hors de la société des humains, comment revenir auprès des siens ; il en a été éloigné trop longtemps. Blake tente de lui faire peur, lui crie dessus, jette du sable sur son pelage, mais la bête se contente de fuir sur quelques mètres, avant de revenir sur ses pas. Alors l’homme abandonne et laisse le renard lunaire devenir son ombre. Une petite part de lui s’en réjouit, sans se l’avouer. Il préférerait le voir reprendre son destin de chasseur nocturne bien sûr, mais l’idée de pouvoir le garder à ses côtés ne lui déplaît pas non plus. Partout où pousse l’amour, Blake le cueille à pleine poignée. Au fond, il a plus besoin du renard que l’inverse. Il ne sait pas encore à quel point il regrettera cet attachement.

*

  — ­Tu devras payer un tribut à ce peuple pour ce que tu lui as pris, prévient Humita, d’une voix blanche.

Elle vient de découvrir la cage du renard vide et sait que Blake en est le responsable. La vieille dame s’exprime sans colère, mais les vagues sur son front semblent encore plus marquées qu’à l’accoutumée. Elle se dit que, décidément, les blancs finissent toujours par prendre ce qui ne leur appartient pas. Une fois sa sentence prononcée, elle repart à son ouvrage et laisse Blake seul, au milieu des épis de maïs. Humita l’a si bien accueilli qu’il se sent honteux d’avoir trahi sa confiance, mais sa réaction le soulage. Se faire pardonner, oui, voilà la solution. Quelques lapins et tout sera oublié, espère-t-il. Son plan est simple : attraper deux ou trois lièvres et les offrir à son hôte pour le repas du soir. Ça vaudra bien le renard, pense-t-il. Et puis, ça ne devrait pas être sorcier d’en trouver. Sauf qu’il oublie un léger détail : il n’a jamais chassé le lapin. Il n’a jamais chassé tout court et se rend vite compte que ce n’est pas à la portée du premier blanc-bec venu. En faisant connaissance avec le pâĉkoho qu’il a emprunté, il se dit même, qu’en comparaison, attraper un aigle avec un filet à papillons serait une vraie partie de plaisir. Quelques jours plus tôt, Selah lui a montré cette arme en forme de boomerang à lame, sensée atteindre l’occiput du gibier, en mimant avec souplesse le mouvement du lancer. Ça lui avait paru assez peu fonctionnel. Avant de partir mater le jeannot, il espérait dégoter un vieux fusil (qu’il n’aurait sans doute pas plus su manipuler) mais doit malheureusement se contenter de cet étrange bâton de jet. Ses mains sont moites et le pâĉkoho manque plusieurs fois d’atterrir sur ses pieds. Son manque de pratique n’est pas son seul souci : le moelleux de son cœur en est un bien plus grand. La seule et unique fois où un levraut se dresse devant lui, immobile et les oreilles aux aguets, il ne tente même pas de lui asséner le coup fatal et le laisse s’échapper. Après une matinée à battre le désert, il revient au village, vaincu. Désormais assuré de son manque d’expertise en matière de chasse au lapin, et de son incapacité à tuer la moindre bestiole, il ne voit plus qu’une solution : demander secours à Selah. Deux heures plus tard, celle-ci étale cinq lapins nains sur le sol, face à lui.

  — Il faut se laisser guider par les faucons, lui dit-elle. Ils savent mieux que nous débusquer les festins.

C’est donc à ça que ressemble une émasculation, pense-t-il. Mais il se contente de la remercier en souriant. Laissant de côté cette petite humiliation, il va trouver Humita, toutes dents dehors, et lui tend fièrement les cinq carcasses. La vieille dame n’est pas dupe, elle sait que ce n’est pas le fruit de sa propre chasse, mais elle se contente d’accepter gentiment son offrande et hoche la tête en timide signe d’approbation. Elle n’a pas le cœur à lui dire que ça ne suffit pas, que le tribut dont il est redevable est tout autre ; que cinq lapins c’est bien, mais qu’il est écrit que, pour la liberté du renard, il lui faudra un jour payer un prix bien plus grand. Terriblement plus grand.

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