Brisé

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Zach déconne ou quoi ? Il serait ridicule de le laisser tomber maintenant, surtout dans son état. J’ai tellement de questions à lui poser, mais ce sera pour plus tard, le temps nous est précieux.

— Tu m’avais promis une soirée tranquille sur ton canapé, non ?

Je ne sais même pas comment je réussi à faire de l’humour dans une situation pareille. L’adrénaline, sûrement. Ce qui vient de se passer est juste amazing ! Je me surprends moi-même d’avoir aussi bien conduit, surtout avec ce temps pourri.

Nous arrivons dans son appartement. Sa chienne Anouchka nous fait la fête et commence à lécher la main de son maître. Elle sent bien qu’il s’est passé quelque chose d'inhabituel.

— Désolé Anouch, mais je ne suis pas très en forme pour jouer avec toi.

Elle nous suit jusque dans la salle de bain. Zach s'assoit sur l’angle de la baignoire.

— Tu peux m'attraper la boîte en fer juste sur l'étagère.

Je la pose sur le rebord du lavabo. J’en sors un flacon de désinfectant et un paquet de coton. Je regarde ma tronche dans le miroir. Je me trouve affreux. Derrière moi, Zach. Je crois que je le trouve encore plus beau. Avec sa gueule ensanglantée, il a un côté sauvage assez grisant. Il caresse sa chienne, ça a l’air de l’apaiser. Alors que je me retourne pour le soigner, je fais tomber bêtement la boîte qui explose littéralement par terre, déversant son contenu.

— Mais quel con je suis ! Je suis désolé, Zach.

— Pas grave, t’inquiète.

J’ai trop honte. Je ne sais plus par où commencer, réparer ma connerie ou le réparer lui.

— Commençons par le plus urgent, dis-je d’un sourire en m’asseyant sur un tabouret.

Alors que je verse le liquide désinfectant sur le coton, mes doigts se mettent légèrement à trembler. Ah, non, pas ça, par pitié. Il va me prendre pour qui ? Décidément, ce n’est pas du tout, mais vraiment pas du tout le programme de la soirée que j’avais imaginée pour nous deux. Pourtant, je suis bien là, à le regarder dans les yeux, comme je l’avais voulu, non ? Ça commencerait tout simplement comme ça. Ensuite, mes doigts prendraient le relais, se poseraient sur son visage séduisant. Puis, descendraient le long de son torse puissant, puis un peu plus bas, à la limite de sa ceinture.

— Heu… Manu, t’attends quoi, là ? T’es avec nous ou tu rêves ?

— Bien sûr que non, enfin oui, dis-je bêtement, revenant à la réalité.

— Je commence par le front, il en a bien besoin.

— Aille, ça pique !

— Désolé, mais ils t’ont pas raté.

Pendant quelques minutes, aucun de nous deux ne dit mot. La chienne est tranquillement à nos pieds. Je m’applique du mieux possible en appliquant délicatement le coton sur ses blessures. J’avoue que ça ne me déplaît pas d’avoir ce rôle d’infirmier. Non pas que je sois ravi que mon patient préféré soit amoché bien sûr, mais pouvoir m’occuper de lui me fait plaisir. Je me sens utile, je veux dire. Et puis, soyons honnête, le soigner est l’occasion inattendue pour regarder chaque détail de son visage sur lequel je meurs d’envie de déposer des dizaines de baisers. Je sens son souffle chaud. Je ne sais pas s’il remarque que je frissonne, autant faire diversion.

— Je peux savoir qui c’est, ceux qui t’ont fait ça ?

Il hésite clairement à me répondre. J’aurais peut-être pas dû me montrer curieux.

— Tu sens ?

— Hein ?

— Merde, regarde ce que tu as fait, dit-il, la voix brisée, en me montrant du doigt un petit flacon de parfum en mille morceaux.

Une odeur délicate, douce et entêtante envahit la pièce.

— Ce parfum appartenait à ma mère, lâche-t-il sur le bout des lèvres.

— Je suis vraiment désolé, je suis tellement maladroit…

Comment oublier que sa mère n’est plus de ce monde ? Zach est manifestement troublé. Je crois bien que j’ai fait une grosse connerie. J’aimerais me rattraper, mais je sais que c’est impossible.

— T’inquiète, Manu, c’est comme ça, dit-il, comme soudain apaisé.

La chienne flaire les morceaux parfumés.

— N’approche pas, ma belle, tu risques de te couper les pattes, prévient-il.

Aussitôt, la chienne s’éloigne et je commence à ramasser les bouts de verre.

— Je t’ai dit de laisser tomber, nous avons autre chose de plus urgent. Ah, oui j’oubliai, je n’ai plus mon portable, fait chier. Si tu peux regarder sur le tiens les horaires de train pour Mezange. Il faut qu’on se planque là-bas.

Je préfère ne poser aucune autre question pour ne pas faire de gaffe supplémentaire. Je cherche donc ce qu’il m’a demandé. Je m’aperçois de la longueur du trajet et des tarifs à cette période estivale de l’année, alors que si on prenait la voiture…Je regarde l’heure. Les bus circulent encore, il faut faire vite.

— Je crois que j’ai une meilleure idée, Zach. Vu ton état, je te propose de te reposer un peu. Donne moi une bonne heure et je reviens.

— Attends deux secondes, l’ami, qu’est-ce que tu mijotes ?

Je sais que mon plan est complètement irresponsable (je prie pour ne pas à avoir à regretter ma dose de crétinisme), mais je ne vois pas d’autre alternative si nous voulons nous tirer d’ici dès cette nuit.

— Secret défense.

— Nan, mais sérieux, Manu.

— Secret défense, je t’ai dis. Ça va aller en attendant ?

— Ouais, avec un Efferalgan, ça devrait le faire. Je prépare mon sac de voyage, c’est ça ?

— Tout à fait !

Zach se lève prudemment. J’ai terriblement envie de le prendre dans mes bras. Il a dû lire dans mes pensées, c’est incroyable, car contre toute attente, il répond à mon vœu en m’enserrant dans les siens. C’est la première fois que je sens la chaleur de son corps contre moi. Je l’ai tellement attendu. Ça me fait un bien fou.

— Merci Manu pour tout ce que tu fais pour moi.

Je suis tellement pris au dépourvu qu’aucune parole ne peut sortir de ma bouche. J’aimerais rester là, dans ses bras, oublier ce qui vient de se passer et arrêter le temps. Mon regard se pose sur le sol. J’aperçois un écrin en bois sculpté duquel dépassent tout un tas de petits morceaux de papier pliés en deux. Sur l’un, j’arrive à lire les mots suivants : courage mon fils, tu vas y arriver. J’ai soudain l’impression d’avoir eu accès à quelque chose d’intime.

C’est à ce moment-là que Zach me libère de son étreinte. Mes joues doivent être rouges, tellement je suis à la fois ému et gêné. Son visage est rouge lui aussi. J’ai envie de croire que ce n’est pas dû à ce qu’il vient de subir comme choc, mais à notre accolade.

— Il faut que j’y aille, je n’ai pas envie de rater le dernier bus.

— Tu ne veux vraiment pas me dire où tu vas ?

— Je n’ai surtout pas envie de te donner de faux espoirs.

— Bon… Comme tu veux.

— Promis, je repasse te chercher quoi qu’il arrive.

— T’as plutôt intérêt, me dit-il en me donnant gentiment un petit coup de coude dans les côtes.

Je lui souris et finis par sortir, direction l’arrêt de bus le plus proche.

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