Reviens vite

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Je vérifie au travers de la fenêtre du salon que Manu a réussi à attraper le bus. La rue est déserte, seul un chat visite les poubelles du restaurant du coin. Je scrute au loin pour m'assurer que Cédric ne va pas se pointer cherchant un asile. J'espère juste qu'ils ne se seront pas venger sur lui, ni sur l'autre abruti. De toute façon, je n'ai plus aucun moyen de les contacter.

Je me dirige vers la salle de bain pour ramasser les miettes du flacon, l'odeur est toujours présente, je m'attends à voir surgir ma mère derrière moi pour me serrer dans ses bras. Quel maladroit ce Manu, dire que c'est de cette façon que nous nous sommes rencontrés la première fois à ma rentrée en seconde.

Cet été-là s'est passé tant bien que mal. Avec mon père nous étions allés nous réfugier chez ma grand-mère. Nous avions besoin de temps pour encaisser le départ de ma mère. J'étais anéanti, mon père résistait. Il voulait se montrer fort pour les deux. Je me demande encore comment il a fait pour ne pas sombrer. Perdre l'amour de sa vie, l'unique, le seul c'est comme ce flacon brisé en mille morceaux, pas moyen de recoller les miettes. Je n'ai pas envie de tomber amoureux, je ne veux pas souffrir. Je l'ai expliqué à Géraldine, je pense qu'elle n'a rien compris. Elle voulait un mec dans son lit qui la fasse grimper au rideau. Sympa sur l'instant, c'est comme un joint, on l'allume, il se consume, il nous fait monter au septième ciel et à la fin il ne reste que des fumées froides. Putain est-ce qu'elle sait dans quoi son frère trempe ? Mes idées sont plus claires et je me demande si elle ne s'est pas foutu de ma gueule sur toute la ligne.

Je mets les derniers bouts de verre dans la poubelle, ça m'arrache le cœur. Comment pourrais-je lui en vouloir un seul instant, Manu a assuré et heureusement. Il est si touchant quand il s'excuse. Derrière ses sourires, je sais que c'est pas toujours facile de vivre dans son monde. Il a lâché des détails sans vraiment s'étaler. Je me souviendrai toujours de la façon dont nos routes se sont croisées, télescopées plus précisément.

C'était le premier jour de la rentrée, je cherchais mon casier, banal jusque là. Quand j'ai entendu un "attention" venu de nul part. Surpris, je me suis retourné et comme un con, j'ai éclaté de rire. Manu était planté devant moi, avec des cheveux couleur vert pomme. Il faisait fureur, il s'était pris les pieds dans mon sac de sport et avait terminé sa course dans l'échelle où le pot de peinture était posé. En y repensant, j'en souris encore. Une bien mauvaise idée, l'entaille sous ma pommette me rappelle que je n'ai plus le temps de rêvasser.

Je mets deux ou trois vêtements dans mon sac et mon nécessaire de voyage. Je chope au passage une paire de pompes et mes papiers. En attendant le retour de Manu, je m'installe sur le canapé, Anouch s'est allongée sur mes genoux. Je sais qu'elle veille. Elle serait capable de percevoir les emmerdes arrivés à des kilomètres à la ronde. Je ne fume jamais à la maison, il y a longtemps qu'elle m'aurait grillé en fin limier, elle aurait trouvé ma planque d'herbe. Quelle idée d'avoir adopté un chien des stups à la retraite. Quand maman l'a vu la première fois, elle a craqué. Elles attendaient toutes les deux sur le seuil de la porte, faisant leurs yeux de cocker. Le comble ! Mon père n'a pas pu résister plus de 5 secondes. Quand je suis rentré du collège, la première nuit elle a dormi dans ma chambre. Je l'emmènerai bien avec nous mais mon père a plus besoin de sa présence que moi.

Je prends un stylo et commence à griffonner un petit mot. Je ne veux pas qu'il s'inquiète pour rien. Nous faisons ça à chaque fois que nous voulons confier un truc à l'autre mais sans oser le faire droit dans les yeux. Le jeu s'est rapidement transformé en un rituel et la boîte depuis déborde. Si c'est trop important, on a établit un code que nous seuls pouvons comprendre. Aussi, si un des sbires de double tête de mort vient ici pour découvrir où je suis allé me mettre à l'abri, il ne comprendra rien.

Connaissant mon père, il se fera du souci mais ne le montrera pas. En lisant mes mots il comprendra l'essentiel. J'espère qu'ils ne viendront pas le faire chier. De toute façon, à la fin de la semaine, il est en vacances d'été. Il nous rejoindra chez Mamie, on pourra réfléchir ensemble à la suite à donner à mes conneries. Je plis le papier en 8 ça aussi c'est un code, si c'est la merde, comme maintenant, le papier est minuscule, si c'est juste pour lui dire je t'aime sans l'écrire ni le prononcer je plie en triangle. En rangeant le message, je découvre que ces derniers temps les triangles débordent de part et d'autres de l'écrin. Je le replace dans la boîte en fer et la pose juste à sa place à côté du rasoir de mon père. Toujours la même place, pour le maladroit qui se coupe souvent.

Je retourne m'installer devant la fenêtre, mes écouteurs sur les oreilles , Anouch est couchée à mes pieds et j'attends son retour, Manu me l'a promis. Nous avons scellé notre accord d'une franche accolade. J'avais surtout besoin de sentir deux bras bienveillants m'envelopper.

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