Il est minuit quand j'arrive dans le quartier de Zach. Ça me fait tout drôle de venir ici en voiture et non pas en bus comme d'habitude. Mes repères sont quelque peu différents, surtout de nuit. Ah, ça y est, j'aperçois le coin de sa rue. Je prends le virage quand je tombe nez à nez face à un mec qui déboule de je ne sais où. Il est taré, il veut mourir ou quoi ! Je pile, les pneus crissent. Ouf, je l'ai évité, il en a fallu de peu. A sa tête éberluée, le mec a dû avoir aussi peur que moi. J'hallucine, ou c'est Zach ? Mais oui, c’est bien lui, je reconnais Anouchka derrière lui.

— Manu, c'est bien toi ?

Il n'en revient pas de me voir lui aussi, qui puis est dans la voiture de mon père. Il siffle, en ouvrant la porte arrière pour faire monter la chienne. Il balance son sac de sport dans le coffre et monte devant.

— Et bah, tu t'emmerdes pas, dis-moi. Vas-y, barrons nous d'ici, ces connards vont rappliquer !

J'appuie sur l'accélérateur.

— J'étais loin d'imaginer que t'allais piquer la caisse de ton daron. Oh, punaise, elle est trop classe sa BM. T'as grave assuré, mon p’tit Manu, s'écrit-il, exalté.

— Merci du compliment, dis-je tout fier de moi. On va où maintenant ?

— Hors de la ville, loin d’ici.

— Tu peux être plus précis, parce que là…

— Prend l’embranchement à droite. Oui, voilà, et encore à droite. Tu vois la sortie Bordeaux, direction l'autoroute.

— Ok… dis-je, pas du tout rassuré par cette nouvelle perspective.

Juste avant de passer le péage, je bifurque vers le parking de covoiturage.

— Qu'est-ce que tu fous ?

— À ton avis ? J'ai pas le permis, alors c'est toi qui prends le volant.

— Heu, oui, bien sûr.

Je le vois grincer des dents en s'asseyant côté conducteur.

— Ça va aller ?

— Oui, je pense, mais mon dos a pris cher, ils ne m’ont pas fait de cadeau.

— Comment ça ? C'est qui ces connards qui en ont après toi ?

— Attends qu'on soit sur l'autoroute et je te fais le topo, dit-il mal à l'aise.

*

Cela fait une demi-heure que nous roulons dans la nuit. Zach ne m'a toujours rien expliqué, trop content d'être au volant d'une BMW. On dirait un gosse avec son nouveau jouet. J'aimerais partager sa joie et me dire que nous partons tout un week-end pour nous éclater, mais j'ai la boule au ventre. Je réalise que, passé l'adrénaline de notre fuite, la réalité est que nous sommes en train de faire n'importe quoi. Zach a eu le temps de réfléchir à un plan. Nous allons chez sa grand-mère, qui habite dans les Landes, à Mezange. Je ne sais absolument pas où c'est, je découvre l'itinéraire sur le GPS. Arrivée prévue à 2h56. Il est hors de question de la réveiller au beau milieu de la nuit. Le plus simple sera de trouver une aire sur l'autoroute pour dormir dans la voiture. Les sièges devraient faire l'affaire.

Question fric, il va nous en falloir un minimum pour les prochains jours. Je rassure mon ami que de ce côté-là, je gère. Mes parents ont abondé mon livret A depuis que je suis tout petit, on pourra taper dedans. Zach me remercie, mais ça le gêne. Il a pris avec lui un peu d'argent qu'il mettait de côté régulièrement, mais m'avoue que ça n'ira pas très loin. Je lui propose d'en rediscuter plus tard. Son soulagement est manifeste, mais de courte durée. Il est rivé sur le rétro, les mains agrippées fermement au volant.