Orion

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— Alors Manu, qu'est ce que t'en dis, j'’ai été parfait, non ?

— T'as failli nous tuer, putain ! T'as voulu jouer au bad boy, t'es content ?

— J'ai cru que…

— Me refais plus jamais un coup pareil, j'ai eu la peur de ma vie. Sinon, je te jure, je reprends le volant et fais demi-tour.

Je suis encore sous le coup de l'émotion. Zach bouillonne mais se retient de tout commentaire.

— Maintenant, concentre-toi bien et suis les instructions du GPS. On quitte l'autoroute pour rejoindre la départementale dans 4,5 kilomètres. On prendra ensuite la direction de Mios.

Il s'exécute sans rien dire, puis sans prévenir, s'arrête au milieu de nulle part, sur une petite aire bordée d’arbres. Il serre le frein à main.

— Écoute, Manu, je suis vraiment désolé. J'aurais jamais dû t'embarquer dans cette histoire. Je vais descendre ici avec Anouchka et faire du stop.

Il a l'air sérieux. Je me sens con. La dernière chose que j'ai envie, c'est de me prendre la tête avec lui. Il est hors de question que l'on se quitte maintenant.

— Faire du stop en pleine nuit, au beau milieu de la campagne, t'es motivé. Si tu crois que tu vas te débarrasser de moi aussi vite, tu te trompes, mon gars. Je suis désolé de t'avoir parlé comme ça. J'ai juste eu peur, c'est tout. T'as géré comme un chef. On passe à autre chose ?

— Ça marche, mon p'tit Manu ! dit-il soulagé. J'aurais besoin d'un bon café, mais à cette heure-ci, laisse tomber, dit-il en baillant. Si je me souviens bien, on pourrait s’arrêter dormir à Gastes. C’est loin ?

— Je te dis ça tout de suite… Quarante minutes.

— Si loin, je ne suis pas sûr de tenir le coup. Je suis claqué et j'ai mal partout.

— Laisse-moi le volant, tu as assez joué avec la voiture à papa pour ce soir, dis-je d'un ton taquin.

— Merci, je te laisse la place avec plaisir, me dit-il, avant de sortir de la voiture avec Anouchka.

La nuit est fraîche, le ciel parsemé d'étoiles. On est loin de la tempête de la soirée. On entend seulement le vent s'insinuer dans les branches des arbres. Tout est si calme, ça me fait du bien. Mes yeux s'habituent à l'obscurité. J'aperçois Zach en train de pisser près d'un arbre. Je vais un peu plus loin soulager ma vessie à mon tour.

J'ai du mal à réaliser que tout ce qui vient de se passer en quelques heures. Ça me fait peur autant que ça me fait kiffer. L'impression de vivre une grande aventure. Quelque chose tombe à mes pieds. Une branche. Je me retourne et vois un petit point orangé danser dans la nuit. Zach est en train de se griller une clope, assis sur une table de pique-nique. Il a mis la capuche de son sweat sur la tête. Je vais chercher le mien dans le coffre. Il m'invite à ses côtés.

— On est bien ici, non ?

Je suis presque collé à lui. Je peux sentir sa chaleur corporelle, l'odeur de la cigarette, la sienne. Il me regarde, plissant les yeux, me souriant, en rabattant ma capuche sur la tête. Il passe son bras autour de mes épaules et me montre du doigt le ciel.

— C'est dingue toutes ces étoiles, on les voit vachement mieux qu’en ville. C'est la grande ourse, là ?

— Yes. Et la grande casserole avec ses sept étoiles.

— Attends, j'en compte que six…

— Tu vois le manche à gauche, c'est peut être la troisième étoile que t'as loupé, avant l'espèce de carré qui forme la casserole.

— Ah oui, t'as raison.

Je poursuis en lui montrant la ceinture d'Orion et ne peut m'empêcher de lui raconter son histoire incroyable.

— Les Égyptiens de l'époque ancienne croyaient dur comme fer que tout ce qui est en bas était comme tout ce qui est en haut et inversement. C'est pour cette raison qu'ils auraient aligné les trois pyramides de la plaine de Gizeh, par rapport au Nil, de la même façon que les trois étoiles de la ceinture d'Orion se plaçaient dans la voie lactée. Le pays des Deux Terres était la réplique exacte de la voûte stellaire.

La fatigue semblant l'avoir quittée un instant, Zach m'écoute, fasciné lui aussi.

— T'es hyper calé en astronomie, dis moi.

— Tous les étés, gamin, je passais des heures avec mon père à observer les étoiles. Ça me passionnait. Il m’avait acheté un gros livre d’astronomie que je trimballais partout, dis-je en soupirant. Mais bon, c'était avant qu'il devienne un gros connard.

— C'est pas juste un gros connard, ton père. Il a aussi des qualités.

Je suis surpris de sa réponse, il sait pourtant ô combien je le déteste.

— Elles doivent être bien cachées alors. Cites-moi en une ?

— Il a bon goût pour les bagnoles, dit-il triomphant.

Nous rions tous les deux. La chienne, partie fureter dans les parages nous a rejoint. Elle vient se mettre tranquillement aux pieds de son maître.

Le silence s'installe entre nous. Il n'est pas pesant, au contraire. Il est enveloppant, paisible. Mon cerveau part dans tous les sens. Je suis partagé entre ma curiosité de savoir ce qui s'est passé dans ce fichu appart et l'envie de l'effacer de ma mémoire. C'est presque irréel de me retrouver ici avec lui. Moi qui avais imaginé réaliser mes fantasmes jusque tard dans la nuit… Tout est si différent à présent. La preuve, si proche de lui, j'aurais dû avoir une trique d'enfer, comme d'habitude quand je suis aussi prêt de lui. Et bien là, que dalle. Ce n'est pas dû à la fatigue. C'est autre chose. Un truc logé bien au fond de mon ventre. Mes fameux papillons s'agitent et revisitent notre relation. Elle vient de prendre un virage inattendu, et ce n'est que le début, j’en ai l’intime conviction.

Je dis ça, mais j’en sais rien, en fait. J’ai juste envie de me raconter un film. Je suis surtout submergé par les émotions qui me traversent. Si ma mère me voyait dans cet état, je sais ce qu’elle me dirait : ne lutte pas contre elles, accueille les. Et moi de lui répondre : arrête, t’es pas mon psy ! Il y a un an, je somatisais puissance dix mille, j’avais des migraines d’enfer. Résultat, elle m’a obligé à aller en consulter un. Lors du premier rendez-vous, j’avais décidé de me refermer comme une huître. Mais en cours de route, j’ai revu ma copie, j’ai vite compris que je n’étais pas fou mais simplement ce qu’on appelle une personne hypersensible. Alors que je croyais que tout le monde était comme moi, le psy m’a fait comprendre que chez moi, les ressentis et les perceptions étaient décuplés et plus intenses qu’une personne dite normale. J’ai aussitôt acquiescé en lui avouant que ça m’handicapait souvent dans la vie de tous les jours, le fait de prendre les choses “trop” à coeur par exemple. Au fur et à mesure de la séance, il m’a expliqué que mon côté “hyper” pouvait être une force et non un défaut comme je l’avais toujours cru. Comme écouter mon intuition par exemple, au lieu de tergiverser sans cesse, surtout en ce qui concerne les personnes qui me sont importantes.

Ce soir, il est temps d'appliquer ses conseils. Alors oui, sexuellement, je kiffe ce mec, ça c'est évident. Mais, là, maintenant, la seule chose dont j'ai vraiment envie, c'est de profiter un max des minutes passées avec lui. J’aimerais tant me blottir contre lui, tout simplement. Inévitablement, je songe à notre baiser d’il y a quelques semaines. Et lui, à quoi est-il en train de penser ?

Il retire son bras de mon épaule. Fuck.

— Bon, allez, c'est pas tout ça, mais il ne s'agirait pas de traîner ici, on ne sait jamais, dit-il.

Fuck et refuck. À ce moment-là, les phares d'une voiture percent la nuit dans notre direction. Et si c'était nos poursuivants de tout à l'heure ? Nous n'avons même pas le temps de réagir qu'elle ralentit en passant devant nous. Ouf, elle continue son chemin. Fausse alerte. Nous nous regardons, soulagés. Cette fois-ci, nous réagissons et nous nous levons. La route nous attend.

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