Toi, ici beau gosse

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Je profite de l'absence de Manu, pour façonner la dernière crêpe. Elle rejoint la pile et je mets le plat dans le four pour les garder au chaud. Grandma vient de me signaler l'arrivée imminente de Mimie. Je la vois soucieuse, elle tord le torchon des mains. Son regard fixe le fond du jardin. J'entoure ses épaules de mes bras et lui demande :

— Grandma tout va bien ?

— Oui et toi ?

— Eh preums, ne détourne pas la question.

— Mon choupinou, j'espère que je ne t'ai pas mis mal à l'aise. Tu sais, je suis tellement contente que tu sois là, je ne voudrais pas t'avoir gêné. Tu vas rester plus longtemps, j'espère.

— Moi aussi ça me fait un bien fou d'être ici, dis-je en prenant une grande inspiration. C'était mon intention au départ, je voulais venir passer des vacances avec Manu chez toi , lui faire découvrir mon monde tranquille, mais c'était sans compter la soirée d'hier.

— Vous pouvez poser vos sacs tant que vous voulez. Tu seras toujours chez toi. Même si vous devez cohabiter avec Étienne.

— Tu es sûr qu'on peut avoir confiance en lui ?

— Oui, il m'a sauvé la mise il y a un mois quand cet abruti de Beauseigneur m'a envoyé une bande d'avocats dans leur tenue de croque-mort. Ils voulaient me faire peur et me montrer des papiers de géomètres. Il faisait son coq entouré de ses poules, une vraie basse-cour, à piailler et chanter victoire. Soi-disant, il était en possession de plans réels des surfaces de ma propriété.

— Qu'est-ce que t'entends par-là ?

— Que la terre où papy a construit notre charmante maisonnette ne serait pas à moi.

— C'est impossible!

— Il a de la chance. Je voulais en faire une poule au pot, heureusement qu'Étienne est arrivé sinon tu m'apporterais des oranges derrière les barreaux. Il m'a empêché de trouer son cul avec ma chevrotine. Puis, il a contacté des amis bien placés au barreau. Comme quoi entre volatiles, ils savent se parler.

— Alors ?

— Monsieur l'empaffé a changé de crémerie et essaye de trouver un autre plan pour me chasser. Je ne m'inquiète pas les salopiauds de son genre ont toujours de sales coups en réserve.

— Pierrette.

— Houla, quand tu m'appelles ainsi je sais que tu es contrarié.

—Tu ne penses pas que c'est de la folie tout ça ? Regarde maman, elle a voulu mettre à jour un trafic de stupéfiants et…

— Ne dis rien de plus. Si, promets

moi que les mecs que tu as doublés n'ont rien avoir avec ça ?

Je détourne le regard, j'ai tellement honte. Je ne veux pas, non je ne peux pas lui mentir. De toute façon, je ne sais plus quoi faire. Omettre la vérité dans certaines situations, j'en suis capable. Je peux me fermer et ne rien laisser transparaître. Mais avec ma grande-mère, c'est différent. Si elle me regarde dans les yeux, elle me lit comme dans un livre ouvert.

— Ok, tu n'as pas enlevé de ta tête de lever le voile sur la véritable raison de sa mort.

— Oui, mais stp garde le pour toi. C'est important, je ne veux pas que tu te retrouves dans une situation inextricable. Enfin quand je vois ce qui se passe dans ce salon, pas sûr que tu fasses mieux que moi.

— C'est pour ça que j'ai accepté la proposition des petits jeunes et de leur boss Etienne. J'avais besoin d'aide.Tu sais c'est un bon bougre quand on le connaît vraiment. Peut-être qu'il pourrait t'apporter son soutien, il a le bras long.

— C'est clair, juste assez pour poser sa main sur l'épaule de mon ami.

— Oui, c'est ce que je vois.

— Si Manu l'a suivi c'est sûrement pour une bonne raison, rajouté-je contrarié.

— Pour le coup je pense que ton ami lui a tapé dans l'œil. Il est devenu tout rouge quand il lui a parlé.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Je ne sais pas, peut-être que je me trompe. Après tout, Étienne est plutôt beau gosse. J'aurais quelques années de moins au compteur, je ne cracherai pas dessus.

— Grandma, tu t'entends.

— Tu crois quoi, mon choupinou, une chaleur dans les draps, c'est réconfortant. Papy me manque.

— Je sais et puis tu as raison, l'amour n'a pas de frontières. Pour le coup, je pense surtout qu'il a d'autres préférences sexuelles.

— Dis donc jeune homme. Mais tu as raison, d'ailleurs j'ai l'impression qu'il va vite oublier son Oscar, regarde comme il est collé serré à ton ami.

— Non, mais je rêve. Il ne perd pas de temps. Il fout quoi avec sa main droite.

— Tu ne serais pas un peu jaloux ?

— Dis pas n'importe quoi.

Je jette le torchon sur le plan de travail, et sort de la cuisine en coup de vent sous le regard amusé de mamie. J'entends à peine la fin de sa phrase "après il sera trop tard". Cet Étienne m'a mis les nerfs en pelote. Les fils de ma vie s'emmêlent, une maille à l'endroit pour les jours de soleil, une maille à l'envers pour ceux de pluie. À cet instant je viens de faire un trou dans le tricot. Ça craint, Grandma a mis le doigt où ça fait mal. Si elle avait raison. Oh j'en ai marre, il me faut prendre l'air. Aller voir ailleurs si j'y suis. Autant éviter de me rendre ridicule en mettant mon poing dans le nez du beau gosse de service. Par contre, il y a un truc qui ne m'a pas laissé indifférent c'est son tatouage. Ça claque depuis le temps que je veux en faire un. J'avance à grands pas en direction de la rivière quand une voix féminine m'interpelle.

— Toi, ici. Dis moi que je rêve ?

— Pas possible Camille…

À peine ai-je prononcé son prénom qu'elle s'accroche à mon cou. Je reconnais avec joie son parfum de vanille. Il est toujours enivrant.

— Je ne m'attendais pas à voir le seul beau gosse du coin réapparaître ainsi de nulle part, me dit-elle en ébouriffant mes cheveux.

— Oui c'est tout moi, toujours là quand on ne m'attend pas.

— T'es pas cool. Tu aurais pu me dire que tu arrivais, ça fait un mois que tu donnes plus de nouvelles.

— Pardonne-moi.

— Sombre idiot, bien-sûr me dit-elle en relâchant son étreinte.

Je l'observe, elle est rayonnante, ses yeux verts pétillent et le rose de ses lèvres s'étire sur sa peau déjà dorée.

— Tu es resplendissante, je vois que Tony doit te combler.

— Oui, c'est un amour.

— Il est arrivé ?

— Non, il bossait. Il débarque après-demain. On pourra se faire un truc tous les trois si ça te dit.

— Pas sûr que je reste aussi longtemps.

— Hé, tu plaisantes, maintenant que t'es là hors de question que tu files. J'ai plein choses à te raconter. Et toi ?

— Tu sais ce que nos grands mères trafiquent ? dis-je pour éluder la question.

Mais elle me connaît trop bien, pose son index sur mon torse et me répond en faisant rouler ses yeux :

— Toi mon coquin, tu ne vas pas t'en tirer aussi facilement. Tu vas tout me dire où c'est guerre de chatouilles jusqu'à ce que tu craques. Au fait, Géraldine est avec toi ? Tu semblais l'avoir dans la peau aux dernières nouvelles.

Mon visage se ferme, elle title aussitôt et ajoute avec douceur :

— Non, ne me dis pas qu'elle a eu la bêtise de te plaquer.

— C'est plutôt moi qui lui ai dit d'aller voir ailleurs. C'est une longue histoire et …

— Laisse faire, tu me raconteras tout ça autour d'une glace. Et Manu ?

— Quoi Manu, répondis-je avec agacement.

— Tout doux Zach, pourquoi tu montes sur tes grands chevaux. Ça te ressemble tellement pas.

— Oh pardon, je crois que j'ai besoin de marcher, ça te dit de te balader. Enfin si tu n'as rien de mieux à faire.

— Que de peindre des banderoles, non ça peut attendre. J'ai plein de choses à te raconter, me dit-elle en attrapant mon bras.

Nous avançons le long du chemin qui mène au village quand je réalise tout à coup ma bêtise. Je n'ai pas prévenu Manu. Après il avait l'air en bonne compagnie, il souriait, le charme d'Étienne à n'en pas douter. Depuis le temps qu'il a cassé avec son ex, ce serait bien qu'il retrouve un mec. Pas certain que monsieur tatoo soit le bon, mais il pourrait faire l'affaire. Après tout, il est libre et il n'a aucun compte à me rendre. J'avance bras dessus bras dessous avec Camille tout en gardant un œil sur les alentours. Il faut que je trouve un moyen de contacter mon père. Même s'il a trouvé mon message, il doit s'inquiéter.

— Tu es toujours avec moi, Zach me demande Camille. Ça fait cinq minutes que tu ne dis plus rien.

— Tu penses que je pourrais t'emprunter ton téléphone ?

— Oui pas de problème. Et le tien tu l'as perdu ?

— Un gros balourd l'a massacré.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Le frère de Géraldine s'est défoulé dessus.

— Pas que, si je considère l'état de ton œil et de ta lèvre bien entaillée. Si tu voulais accentuer ton côté Bad Boy c'est réussi.

— Pas vraiment mais tu n'as pas tout à fait tort, rassure toi il l'a senti passé.

— C'est pour ça que tu es là ? Tu as fui Bordeaux.

— Oui, dis-je l'air bête.

— C'est aussi pour ça que tu ne peux pas rester.

— Ouais, je ne voudrais pas qu'ils débarquent ici.

— Ici ou ailleurs, s'ils ont décidé de le faire, tu penses que ça changera quoi que ce soit. Pourquoi tu ne vas pas voir les flics ?

— Je n'ai pas confiance, ils ont classé l'affaire de maman dans les dossiers fait divers.

— Je comprends mais là c'est ta vie qui est en danger.

— C'est pour ça aussi que j'ai besoin de ton tel, il faut que je prévienne mon père pour le rassurer.

Elle me tend son portable tout en déposant un baiser sur ma joue. Je m'éloigne et attends. Une sonnerie, une autre pour finalement entend ma propre voix en écho. Voilà ce que sait faire le message d'accueil pour faire plaisir à son père. "Joseph est occupé, son secrétaire va prendre votre message après le bip" bippp… je balance "Le loup est peut-être dans le bois, mais il ne trouvera pas le pot au lait". Mon père comprendra très bien ce que je voulais lui dire. J'entends Camille ricaner dans mon dos. Je me retourne et la prends dans mes bras pour la serrer fort. Sa présence me rassure. Mes jambes sont à nouveau en coton. Je ferme les yeux éblouis par le soleil, mon regard devient trouble. Je renifle dans son épaule.

— T'inquiète, il y a forcément une solution me dit-elle en resserrant l'étreinte.

— Tu as raison, il faut que je me ressaisisse.

— Viens, je te raccompagne chez Pierrette. Tu n'as pas croisé Mimie ? Elle devait arriver. Ta grand-mère nous a invités pour manger des crêpes et pour finir les banderoles.

— Non, après je suis passé par derrière alors j'ai pas fais attention.

— Dis plutôt que tu étais perdu dans tes pensées comme avant que je t'interpelle.

— Sûrement, je ne sais pas dans quoi elles ont mis les pieds mais elles assurent à leur façon. D'ailleurs, tu le connais Étienne.

— Ah c'est tout un programme à lui tout seul. Depuis qu'il est arrivé à Mezange, il en a fait tourner des têtes. Le maire l'a dans le collimateur et voudrait l'épingler à son tableau de chasse. Il a du tempérament, des idées franches et un concept de la vie qui te plairait. D'ailleurs il devrait arriver.

— Ouais c'est déjà fait, une vraie onde de choc.

— Oula, je sens comme une pointe d'agacement. Il t'a pris la tête. Non c'est pas à cause de lui que tu erres tout seul dans la forêt.

— Vous vous êtes données le mot avec mamie, il y a des tam-tams qui annoncent mon retour en fanfare. Bonjour la discrétion, dès demain je fais la une des journaux à ragots.

— Mais non pas du tout, toi il te faut un break. Tu as eu raison de ramener ton joli petit cul. Ça te fera du bien. Mais avant tout grandma a besoin de toi.

— Pas sûr, elle a su s'entourer d'une bande de jeunes dynamiques et déterminés pour bouleverser les institutions.

— Oui, mais le seul dont elle a le plus besoin, c'est de toi. Allez arrête de faire ta tête de cochon et suis moi on va les manger tes crêpes. Te connaissant tu y a mis une pointe de rhum et garnis de citron.

— Elles sont au chaud dans le four, s'ils ne les ont pas finies.

— T'inquiète, Pierrette t'en auras mis de côté. Au fait, tu m'as pas dis, Manu il va comment ?

— Il pourra te le dire lui-même.

— Pas possible, il a accepté de venir avec toi. C'est top, je vais enfin voir en chair et en os ton meilleur ami. Je vais pouvoir constater par moi-même s'il est aussi canon que sur les photos que tu m'as envoyées. Enfin, il sera jamais aussi beau que toi, me dit-elle en me bousculant.

Nous rebroussons chemin quand une voiture arrivant trop vite manque de nous accrocher.

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