E tutto è calmo

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Mes parents, en pleine crise conjugale, trouvent le moyen de se débarrasser de moi en me laissant une semaine chez le meilleur ami de ma mère. Ils ne me donnent pas le choix, mais en réalité cela me convient très bien. Fabrice m’a vu grandir et a toujours été sympa avec moi. Il me considère comme un être à part entière et non comme un simple enfant, à qui on demande pour la forme des nouvelles de sa scolarité. Alors qu’il travaille beaucoup, il me laisse les clés de sa maison située à un quart d’heure en vélo de l’océan Atlantique. Je profite de la plage jusqu’en début de soirée. Durant de magnifiques couchers de soleil, je respire à fond, laisse couler mes larmes, comme pour me nettoyer de ce que je ne veux plus dans ma vie. Mes désirs et aspirations ne demandent qu’à éclore. Les vagues et l’air marin me ressourcent et me donnent l’énergie nécessaire pour l’année qui m’attend.

Je retrouve Fabrice pour le dîner. Je suis surpris par cet homme, plus que je ne l’aurais imaginé. Il n’est pas uniquement l’ami fidèle de toute une vie et le célibataire endurci un peu coincé que n’a cessé de répéter mon père, mais un homme cultivé, chaleureux et attentionné. Nos conversations jusqu’à une heure avancée de la nuit me nourrissent. Le dernier soir de mon séjour, j’ose lui avouer ma préférence pour les garçons. Il me remercie de lui avoir fait confiance, cette confession restera entre nous. Son écoute est précieuse. Il m’encourage dans ma démarche de coming-out. Après un long silence, il m’avoue que lui aussi, à mon âge, il avait vécu sa première expérience avec un homme, avant de découvrir les femmes. Cela, mon père l’ignore. Ce nouveau secret scelle définitivement notre amitié. Je m’en fais un allié pour les jours sombres. Nos textos échangés sont légions, preuve que je peux compter sur lui.

Le flot de mes pensées s’atténue. Je m’abandonne aux sensations des vagues, mon corps flotte, se détend. La fraîcheur de l’eau cuivrée, le soleil aveuglant sur mon visage, ma respiration pleine et régulière. La baignade salvatrice d’une fin d’après-midi. Plaisir incomparable de retrouver l’immensité de l'océan.

Il mare è tutto azzurro.

Il mare è tutto calmo.

Nel cuore è quasi un urlo

di gioia. E tutto è calmo. *

Un court poème de Sandro Penna remonte à la surface de mon esprit, tel un mantra. Je ne remercierai jamais assez Fabrice de m’avoir fait découvrir ce poète italien dont la sensitivité me touche. Lui aussi devait être un hypersensible.

Je regagne ma serviette, revigoré. Zach est parti nager plus loin que moi. Il revient à son tour, s’essuie sommairement devant moi et s’assoit à mes côtés. D’un geste bref, il écarte de son front une mèche rebelle, s’allume une clope. Sa mèche retombe. Ses muscles bandés par l’effort, les gouttes d’eau sur sa peau, son sourire m’émoustillent une fois de plus. Manu, contrôle-toi, à ce rythme, tu risques de déraper. T’auras l’air de quoi ?

Se retrouver seuls tous les deux sur cette plage, devant l'imminence d’un coucher de soleil, je n’aurais pas rêver mieux. C’est le méga cliché, mais je m’en fout royal, car il l’est. La magie opère, en quelques minutes le soleil s’éteint à l’horizon. Les couleurs dorées de la mer s’effacent subtilement et laissent place à des tons rose bleutés. Le vent chaud décline, mais il fait encore bon. Zach apprécie autant que moi la plage lumineuse qui se tamise doucement, je le vois.

— Ça va, Manu ?

— Carrément bien.

— Tu penses à quoi ?

— À rien de spécial. Enfin, si. À un ami de ma mère chez qui je suis allé l’été dernier, Fabrice. Tu l'apprécierais, je crois. Mais d’ailleurs, j’y pense… Combien de jours va-t-on rester chez ta grand-mère, à ton avis ?

— Je sais pas. Aussi longtemps que l’on veut. Vaudrait mieux envisager un plan B au cas où ce con de Karl nous retrouverait. On ne va pas pouvoir garder la 2CV de Bruno. C’est déjà inespéré d’avoir pu la prendre pour venir ici.

— Si on a besoin, je suis sûr que Fabrice nous accueillerait sans problème.

— Il habite où ? Ça te dirait d'aller le voir ? Enfin si c'est un pote à ta mère, il ne faudrait pas qu'il vende la mèche.

— C’est son meilleur ami. Aucun souci, j’ai toute confiance en lui.

— Bon ok, je veux bien te croire. Il vit où ?

— Royan.

— Cool, mais c'est pas la porte d’à côté.

— Attends, deux secondes, je regarde mon téléphone. Trois heures de route, t’as raison, et sans voiture, ça risque d’être compliqué. J’appelle tout de suite Fabrice, au moins, on sera fixé.

— Et bien, avec toi, on ne perd pas de temps.

— Bouge pas, je reviens.

Entendre la voix de Fabrice me remplit de joie. La conversation est brève. Je lève le pouce en direction de Zach qui aussitôt applaudit, tout content.

— Trop fort, mon p’tit Manu.

— J’en étais sûr. Fabrice est ravi de te rencontrer. Par contre, il ne pourra pas venir nous chercher, il faut qu’on se débrouille.

— On peut peut-être se faire un covoiturage, qu’en penses-tu ?

— J’avoue, je n’en ai jamais fait.

— Moi non plus, mais c’est pas ça qui va nous arrêter, non ?

— Oui, bien sûr.

— Manu, dis à tes mains d’arrêter de jouer dans le sable. Dès que tu es nerveux tes doigts s'agitent, parfois je me demande s' ils ne parlent pas pour toi.

— Raconte pas de bêtise. Tiens, regarde qui arrive son panier à la main !

— Ah, vous voilà les garçons, vous avez demandé le service restauration, me voilà !

— C’est trop gentil, Camille !

— Une idée de Grandma, elle m'a juste demandé d'assurer la livraison. Je peux me taper l’incrust ?

* traduction

La mer est toute bleue

La mer est toute calme

C’est presque un cri de joie

dans l’âme. Et tout est calme.

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