À couteaux tirés

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Je vais péter un câble. La conversation au téléphone avec mon père m’a mis hors de moi. Je m’en veux, j’ai été lâche, impossible de lui résister. Après ce qu’il vient de m’apprendre, il ne fait plus aucun doute que cette cavale pour moi s’arrête ici. Elle aura duré à peine deux jours.

Je mesure le poids des réticences de Zach à me livrer des réponses au compte-gouttes. Pourquoi n'a-t-il pas eu confiance en moi au point de me partager tout ce qu’il sait sur ce qui s’est passé dans cet appart. Vendredi soir, c’était l’arbre qui cachait la forêt. Je n’ose me lancer en conjectures de peur de me noyer dans des scénarios les plus improbables les uns que les autres. Je sens poindre de la colère en moi, tellement je me sens impuissant. Comment est-ce possible qu’une personne ait un masque à deux visages aussi parfaits ? Comment me comporter avec lui à présent ? Et voilà qui arrive droit sur moi, je me sens piégé.

— Ça va mon p’tit Manu ?

— Non, pas du tout.

— C’était ton père au téléphone ?

— Arrête tout de suite avec tes ”p’tit Manu”, je ne suis pas ton petit Manu.

— Calmos, tu avais raison tout à l’heure, t’es pas un gosse, j’ai été maladroit.

— Je préfère ça, parce que pour l’instant, le gosse c’est toi. J’ai bien vu que vous parliez dans mon dos avec ta grand-mère et j’ai horreur de ça. Il y a assez de mon connard de père pour ça.

C’est plus fort que moi, c’est sorti tout seul. Zach a du mal à encaisser ce que je viens de lui balancer. Pourquoi suis-je en train de le blesser gratuitement ? Je ne peux me défaire de l’idée qu’il ne le mérite pas vraiment.

— Je te jure que ce n’est pas ce que tu crois.

— Arrête de jurer, je t’en supplie et dis-moi la vérité. J’en ai assez qu’on me mente. D’abord mon père, puis toi.

— Comment ça, ton père ? Tu lui as dit que c’est toi qui a piqué sa BMW, c’est ça ?

— Oui, t’es content ?

— Mais, pourquoi ? je croyais que…

— Tu croyais quoi ? Ça se voit que tu ne connais pas mon père. T’aurais entendu sa voix au téléphone, j’ai pas eu le choix.

— T’aurais pu le baratiner encore un peu, le temps qu’on s’éloigne.

— Tu rigoles, j’espère. Parce que celui qui me baratine depuis hier, je l’ai en face de moi. Pourquoi tu m’as rien dit pour le paquet dans ton sac ?

Cette fois-ci, Zach ne sait plus où se foutre. Merde, j’y suis allé sûrement trop fort. Et après la scène d'hier soir où il s'est effondré, il va croire que je n'ai aucun cœur, que je profite de sa vulnérabilité en ne pensant qu’à ma gueule. Mais il faut que je lui pose la question maintenant, je dois savoir.

— Ecoute mon p’tit…Heu, écoute moi s’il te plaît, et je vais tout t’expliquer.

— Enfin...

— Tout d’abord, pour le paquet, j’aurais dû t'en parler dès que t'es venu me récupérer chez moi avec la voiture de ton père. Je suis vraiment désolé.

— Tu peux. Il y a quoi dans ce paquet ?

— Comment tu sais que je l'ai avec moi ?

— À ton avis ?

— T’as fouillé dans mon sac ?

— J’ai pas eu besoin, cette fois-ci.

— C’est Étienne alors. De toute façon, je savais qu’avec lui…

— T’en prends pas à lui, lui au moins, je peux compter sur lui.

— Tu t’entends parler ? Tu le connais à peine et…

— Et alors ? Y’a des règles pour ça ? Qu’est-ce que t’as contre lui ?

— C'est un putain d'opportuniste.

— S'il l’était, cela ferait longtemps que ta grand-mère l'aurait foutu à la porte. Et puis, le sujet n’est pas Etienne. Le sujet, c’est ce putain de paquet que tu trimballes dans ton sac. Du shit, j’imagine. Tu comptais en faire quoi ? Continuer à te détruire ?

— J’ai pas réfléchi. Pour être honnête, j’en sais rien.

— Génial, Karl est à nos trousses et nous, on passe notre temps à faire trempette dans l’eau et à bouffer des chamallows. Une chose encore que j’aimerais bien éclaircir, et je parle pas du dossier médical que j’ai bien fait de ne pas regarder, j'imagine que j'aurais eu une attaque sinon. Quand je conduisais pour aller à Gastes, tu as parlé dans ton sommeil. Je me souviens d’un mot que tu as prononcé, “Antelax”, et aussi “Méfie toi des Courtois”. Tu m’expliques ?

— Quand tu te seras calmé, parce que là, ça ne sert à rien.

— Ok, je vois. J’ai mis le doigt où ça fait mal. C’est ma faute si je comprends bien. C’est la meilleure !

— Attends, t’as vu comment tu me parles, tu te comportes comme ton père, à tout exiger sur le champ.

— À croire que je lui ressemble.

— Dis pas ça. Tu veux pas me dire ce qui s’est passé au téléphone ? Je t’ai jamais vu dans cet état. Ça ne te ressemble pas.

— Ouais, je sais, je ne correspond pas à tes attentes. C’est bien ça mon éternel problème avec toi en plus d’être un hyper.

— Un quoi ?

— Un hypersensible, demande à mon psy, il t’expliquera.

— Mais arrête, t’es complètement à côté de la plaque. Tu déformes tout.

— Ouais, bien sûr, j’aurais tout entendu.

— Arrête de faire le con, bordel ! On ne va pas se prendre la tête dès le matin, c’est complètement idiot.

— C’est toi qui devrais arrêter tes conneries et cesser de me crier dessus.

— Hé ho ! Qui sait qui a commencé à m’en balancer plein la gueule, j’étais venu pour m’excuser, je te signale. Cette fois, c’est toi qui a dépassé les bornes.

— T’inquiète, je ne vais pas te faire chier plus longtemps et gâcher ta matinée. Je me casse.

— Sérieux ?

— J’ai l’air de plaisanter ? Comme ça, tu auras tout le loisir d’aller pleurer auprès de Jérémie, ton meilleur pote.

— Jérémie, qu’est-ce qu’il vient faire ici ? Je te conseille de laisser où il est, ce que tu dis est ridicule. Tu comptes partir comment, à pied ?

— Non, c’est moi qui vais l’emmener en voiture.

Zach se retourne. Pierre, avec son sourire narquois nous toise.

— Putain, qu’est-ce que tu fous là ? Comment oses-tu revenir ici après ce que tu as fait à Grandma ?

— T’inquiète, j’étais juste venu lui déposer un courrier. Elle est convoquée par le maire demain matin, la plaisanterie a assez duré.

— Tu vas me le payer espèce de…

— Attention, fais gaffe à ce que tu dis, ça pourrait se retourner contre toi.

Zach, qui a levé son poing, le rabaisse aussitôt.

— C’est bien, je vois que tu as compris. Bon, Manu, je te laisse prendre tes affaires, et tu me diras où tu veux que je te dépose.

— Manu, tu ne vas pas partir avec cet enfoiré. C'est de la folie.

— Parce que j’ai besoin de ton autorisation ?

Zach secoue la tête, dépité. Je suis en train de faire une grosse connerie, mais c’est plus fort que moi. Je sais que je vais le regretter, mais il y a un truc qui vient d’exploser en moi. Je suis incapable de me contrôler. Il faut que je parte d’ici au plus vite, sinon ça risque d’être pire. J’ai assez fait de mal comme ça. Je quitte le jardin sur le champ.

Je grimpe l’escalier, fonce dans la chambre et rassemble mes affaires aussi vite que je peux. Lorsque je redescends, Pierrette est en train d’insulter Pierre qui s’est réfugié dans sa voiture à l’avant de la maison. Elle déchire devant lui ce que je devine être la convocation de Beauseigneur. Pendant ce temps, Etienne retient de toutes ses forces Zach qui crie lui aussi. Je passe devant eux sans les regarder, balance mon sac à dos à l’arrière du véhicule et monte devant. Pierrette revient avec son fusil. Elle se place devant nous, en colère et déterminée.

— Pierre, je te conseille d’éteindre le moteur, sinon, je te jure que je défonce ta jolie décapotable.

— Tu n’oseras jamais, espère ce folle.

— Grandma, fais pas ça, je t’en supplie, crie Zach, au bord de l’explosion.

— Manu, descends, tu vois bien que ce mec est en train de t’utiliser pour nous rendre fou ! renchérit Etienne.

Je me retourne une dernière fois vers eux. Mes yeux se plantent dans ceux de Zach. Il a les larmes aux yeux. Ma gorge se serre. C’est un véritable déchirement de le voir ainsi. Je viens de tout foutre en l’air.

— Vas-y Pierre, emmène-moi loin d’eux, j’en peux plus.

Pierre se fait un plaisir de faire rugir sa voiture, klaxonne Pierrette, contrainte de se ranger sur le côté pour nous laisser passer.

Je me retiens de chialer devant le cousin de Zach. Je ne vois pas ses yeux cachés sous ses lunettes de soleil, il doit jubiler de la tournure des évènements. Ce mec est tout ce que je déteste. Et dire que c'est lui qui me sauve la mise, je me maudis d'autant plus. Heureusement, il a la bonne idée de mettre la musique à fond, ça m’évitera de donner la moindre explication à mon départ ou de faire la conversation.

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