Laisse-moi partir

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Camille me fait un dernier signe de la main dans le hall de la gare avant d’aller rejoindre son Tony sur le quai. Je sais qu’elle ne manquera pas d’informer Zach que je suis ici, parfait. La première partie de mon pitoyable plan roule comme sur des roulettes.

Je trouve un banc pour me poser. Ma colère est toujours aussi vive que tout à l'heure. Avec toute cette histoire, je me sens d’une extrême fragilité. La conversation de ce matin avec mon père a eu l'effet d’un électrochoc sur moi. Je reconnais là son talent de persuasion. Je n’ai pas eu le temps d’en placer une, et puis de toute manière, il avait déjà tout décidé. Je ne peux pas me permettre de perdre davantage de temps. Comme toi, j’ai été jeune. Quand j’ai déconné, j’aurais aimé que quelqu’un me remette dans le droit chemin. Faisons comme on a dit, tu m'entends, Emmanuel ?

Est-ce possible qu’il ne soit pas uniquement le gros connard imbus de lui-même que je connaisse ? Ça peut paraître fou, mais c’est la première fois que j’ai envie de lui faire confiance. C’est le moment de le rappeler.

— Allô, c’est bon, tu peux venir me chercher.

— Je suis à la gare dans quinze minutes maximum. J’ai prévenu les parents d’Olivier, tu pourras partir avec eux demain, comme prévu.

— Merci, à tout de suite.

J’envoie un texto à Olivier pour le prévenir de mon retour. Celui-ci répond du tac au tac : “Je sais pas ce que ton père a raconté au mien, mais ça a bardé à la maison. J’imagine que pour toi aussi. Va falloir qu’on se tienne à carreaux“. Qu’est-ce qu’il a voulu dire ? Pour une fois mon père ne s’est pas mis en colère, même quand je lui ai avoué que c’était moi l’auteur du vol de sa voiture. S'il a quelque chose derrière la tête, je ne vais pas tarder à le savoir.

Après Olivier, c’est un texto d’Etienne que je reçois. “Ne t’en veux pas d’être parti, je te comprends. Signé, ton hyper-pote”. Je souris malgré moi. J’espère que lui et Zach réussiront à s’entendre durant mon absence. Enfin, c’est pas comme si j’allais revenir un jour à Mezange de toute façon. J’en ai plus rien à faire d’eux.

Je sors de la gare pour surveiller l’arrivée de mon father. Ainsi s’achève mon brillant week-end. Je repense à Zach, à notre soirée sur la plage. Je me sentais si bien jusqu’à ce qu’il s’effondre. Je soupire. Je me sens littéralement trahi. Cherche-t-il véritablement à me protéger ou uniquement à sauver son cul ? Quelles sont les vraies raisons de sa fuite chez sa grand-mère ? Pourquoi m’a-t-il embarqué dans cette galère ? J’aurais très vite mes réponses, mon père m’a assuré de tout m'expliquer en grand détail. Je le vois se garer.

À peine ai-je mis le pied dans sa voiture, qu’il m’ordonne d’attacher ma ceinture. Sa voix est glaciale. Il paramètre le GPS du tableau de bord. Le trajet s’affiche à l’écran.

— Tu sais que ta mère se fait un sang d’encre pour toi ? Elle t'attend à la maison. Avec tes conneries, il faut que je repasse à la gendarmerie et j’ai encore une tonne de choses à caler avec Patrick. Je te rappelle qu’on part pour Madrid, demain matin.

— Je croyais qu’elle t'avait quitté ?

— Tu es déçu ?

— …

— Réponds-moi !

— J’en ai rien à foutre de vos histoires.

Brutalement, mon père pile à un feu.

— Tu me réponds encore une fois de cette manière, et tu vas voir de quel bois je me chauffe, mon garçon.

Mes doigts se crispent sur le siège. La voiture redémarre.

— Tu as ce que je t’ai demandé ?

— De quoi tu parles ?

— Fais pas le malin, je ne suis vraiment pas d’humeur.

— J’ai pas eu le temps.

— Comment ça, tu n’as pas eu le temps ? C’était pas compliqué de prendre le dossier médical que cette petite frappe m’a piqué.

— C’est pas une petite frappe. Et pour ta gouverne, il s’appelle Zach.

— Ne prends pas ce ton avec moi, dernier avertissement.

— Il y avait quoi dans ce dossier ?

— Tu le sais très bien, tu as déjà oublié de ce que j’ai commencé à t’expliquer au téléphone tout à l’heure ? Les preuves que ton copain et comment il s’appelle déjà… Cédric, sont des dealers. Mon fils traînant avec une bande de dealers, il en est hors de question. Cette fois-ci, c’est terminé le conneries, tu m’entends ? De toute façon, j’imagine que ce dossier, vous l’avez regardé, non ? Alors pourquoi tu me poses la question ?

Je ne sais pas quoi répondre. Pourquoi ne me parle-t-il pas aussi d’Olivier ? Inutile de lui dire que je n’ai pas eu l’occasion d’éplucher ce fichu dossier, il ne me croirait pas. Putain, je suis vénère, en réalité, je viens de me planter une nouvelle fois sur toute la ligne. Je n’ai aucune intuition, je capte que dalle, un vrai bon à rien. Je viens de me faire avoir bêtement et en beauté par mon père. Je réagis encore comme un gosse de dix ans qui cherche désespérément l’amour de son paternel. Il est tant que j’ouvre les yeux. Je pourrais me réconforter avec l’argument suivant. Il a au moins réussi une chose : celle de se mettre définitivement son fils à dos. Voilà ce qu’il a gagné. Il faut qu’il paye. Je ne sais pas encore comment, mais je ne reviendrais plus en arrière. Fini le fils à papa obéissant. Il va en chier, ça je peux l'assurer.

Mon téléphone vibre. Un texto de ma mère. “Ton père va essayer de te convaincre de rentrer à la maison. Le plus important, c'est que tu vives ta vie, mon chéri. Promis ?”. Putain, pourquoi elle m’envoie ça, là, maintenant ? C’est un signe Manu, arrête d’être aveugle et agit pour toi, bordel !

— Et lâche ce portable s’il te plaît. Vous les jeunes, vous ne pouvez pas vous empêcher d’être ventousés dessus du matin au soir. Écoute-moi plutôt. Il va falloir faire demi-tour. Il me faut absolument ce dossier.

— Hors de question.

— Qu’est-ce que tu as dans la cervelle, bon sang ? Je crois que tu ne réalises toujours pas les risques que je prends pour te protéger. C’est ma faute, j’aurais du te mettre sous le nez la photo où je vois mon fils attendre dans la voiture pendant que son idiot de copain fait son petit trafic. Tu aurais alors peut-être compris ce que cela implique dans la vraie vie et pas celle que tu t'imagines dans ta petite tête d’idiot. Si tu as un casier judiciaire, tu as pensé aux conséquences pour ton avenir ? Bien sûr que non. Monsieur préfère faire chier son père et lui piquer sa BMW alors qu’il n’a même pas le permis. Tu te rends compte que tu as enfreint la loi au moins ?

— Parce que toi, tu es blanc comme neige, j’imagine.

La voiture fait une embardée en plein centre ville. Elle vient butter contre un trottoir. Tout se passe à une telle vitesse que j’ai à peine le temps de réaliser que mon père vient de me mettre une gifle. Je porte la main à ma joue.

— Je suis désolé, Emmanuel, je ne voulais pas.

— T’es complètement fou ! Laisse-moi descendre.

Je détache ma ceinture. Mon père verrouille l’habitacle, et me force à me rattacher.

— Qu’est-ce que tu fais, laisse-moi partir !

— Hors de question, mon garçon. Que tu le veuilles ou non, tu rentreras à la maison.

— Lâche-moi, putain ! Je te rappelle que je suis majeur, je fais ce que je veux !

J’hallucine ou je suis bien en train de me battre avec lui ? La voiture se met à tanguer, quand soudain, on frappe à la vitre. Mon père me lâche le bras aussitôt et baisse sa vitre.

— Monsieur, vous ne pouvez pas rester là, vous voyez bien que vous gênez la circulation ! lui lance un vieil homme avec sa canne.

— Mais de quoi je me mêle, allez-vous en !

L’homme ne se laisse pas intimider pour autant.

— C’est pas parce que vous avez une grosse voiture que vous pouvez tout vous permettre. Alors, maintenant, partez ! dit-il d’une voix autoritaire, en tapant l’aile de la voiture.

— Non, mais je rêve, pour qui il se prend ce con !

Mon père bondit hors de la voiture et se met à brailler sur le vieux qui le menace avec sa canne, prêt à se défendre. Inutile de réfléchir davantage. Je saute de la voiture avec mon sac et me mets à courir. J’entends mon père crier mon prénom, mais je ne me retourne pas. Je bifurque à l’angle de la première rue à ma portée, la traverse et débouche sur un boulevard. Je prends une direction au hasard et sprinte. Au loin, j’aperçois un bus à l’arrêt. Je le rattrape et réussit à sauter dedans avant qu’il reprenne sa route. Je m’assois et tente de reprendre ma respiration. Mes mains tremblent. Mon voisin me regarde avec un drôle d’air. Je dois avoir une de ces gueules ! Je n’ai aucune idée de la destination du bus, peu importe, je descendrais au prochain arrêt. J’ai bien fait de ne pas me laisser faire par mon père et de m’enfuir. Faire les choses pour soi, ma mère serait fière de moi. Quant à savoir si c’était le bon choix, c’est une autre histoire. Il faudra que j’assume. J'attrape mon portable et envoie un texto à Fabrice pour savoir si je peux débarquer comme prévu.

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