Tu n'es pas seul

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Encore une nouvelle journée à errer dans le brouillard. Depuis l'aube, tout le monde est au petit soin pour Grandma et moi. Nous avons même eu le droit à des croissants au lit. Nos gardes malades nous ont concocté un vrai gueuleton. J'espère que Grandma a pu faire honneur à cette délicate attention parce que pour ma part je n'ai pas très faim. Max, le père de Bruno, notre médecin de famille à la retraite, a été clair : "ils ne doivent faire aucun effort inconsidéré. Mes deux patients ont besoin d'une pause et de se changer les idées".

Pierrette en femme independante s'est révoltée. Depuis toujours, elle revendique sa liberté de penser. Elle a du caractère et ne s'en laisse pas compter. C'est une boule d'énergie avec un tempérament de feu, elle ne lâche jamais l'affaire et fonce bille en tête. Seul Grandpa avait le pouvoir de la tempérer. Je me rappelle du dernier Noël partagé chez mes grands-parents. Ce rituel perdurait d'année en année, cette fête était sacrée et Pierrette tenait à avoir ses enfants et petits enfants à ses côtés. Grandma acceptait nos absences mais depuis quelque temps, elle ressentait le besoin d'avoir sa famille à ses côtés. J'avais eu le droit de prendre le train tout seul, une belle marque de confiance pour moi le futur lycéen. Mes parents devaient nous rejoindre pour le repas de midi, ma mère avait accepté de remplacer une collègue qui venait d'accoucher. Alors que nous préparions le festin, mon très cher oncle Robert a déposé sur la table un homard hors de prix avec un magnum de champagne. Sans aucun scrupule, il a eu le malheur d'ajouter qu'enfin il pourrait faire un repas digne de ce nom. Quel con ! Il l'a senti passé le crustacé, Grandma lui a envoyé en plein visage et elle lui a dit le reste en l'aspergeant de son pétillant. Vexé monsieur a claqué la porte et ne sait pointer que quatre mois plus tard avec les actes de propriété. Cette fois, il avait dépassé les bornes. Ma mère l'avait remis à sa place. Je n'avais jamais vu dans le regard des deux femmes de ma vie autant de colère et de tristesse. Pierre ne vaut pas mieux que son père, il est temps que j'ai une conversation avec lui. Pour l'heure, pas certain que mon corps me le permette.

En fin de matinée, Max est repassé pour s'assurer que nous nous tenions tranquille. En découvrant Grandma dans la cuisine à l'astiquer de fond en comble, il s'est fâché et m'a engueulé de la regarder sans l'en empêcher. Je n'ai pas vraiment compris pourquoi il me partait après, j'étais dans un état semi comateux. Pierrette, elle, est repartie de plus belle sans tenir compte de ses recommandations. Il s'est approché, l'a pris par les épaules et a plongé ses yeux dans ses iris brodés de vert pour lui rappeler qu'il avait promis à Grandpa de prendre soin d'elle quand il ne serait plus là. Aussitôt, elle s'est radoucit, le nom de son grand amour venait d'être prononcé. Elle devint tout miel, son regard pétilla au doux souvenir de son amour éternel. Max le savait, il avait joué sur la corde sensible, mais il la connaissait trop pour savoir que dès qu'il aurait le dos tourné, elle n'en ferait qu'à sa guise. Alors, il a chargé Bruno, tout juste en vacances, et Étienne, squatteur de la cabane des pinèdes, de nous surveiller. Nous avons donc gagné deux Saint Bernard collés à nos baskets pour nous escorter dans nos déplacements.

Camille avec l'aide de Mimie a vite compris qu'il nous faudrait un échappatoire sans que nous ayons le sentiment de nous faire avoir. Mon amie me connaissait et savait que je ne supporterais pas un tel traitement. Mon état n'était pas brillant, même si ma tête allait mieux, je me sentais fatigué. Je me pliais donc aux recommandations sans trop rechigner. Je regagne ma chambre pour m'allonger, Étienne se propose de jouer au docteur suppléant. En y repensant, c'est plutôt drôle, mais clairement il n'a pour une fois pas les idées mal placées. Il a l'air inquiet pour moi.

D'après lui, ma nuit a été agitée. Il me raconte qu'il m'a retrouvé prostré dans le salon à baragouiner toujours les mêmes choses. Désemparé, il est allé réveiller Grandma. Celle-ci lui a conseillé d'attendre que ma crise de terreur passe. Elle lui a précisé qu'il ne fallait surtout pas intervenir, à aucun moment je ne me mettais en danger. Ils ont attendu que je baille à m'en décrocher la mâchoire, cette mimique est le signal de la fin de ma virée nocturne. Je me suis allongé dans mon lit et aussitôt je me suis endormi.

Il me prend la main, par réflexe je l'enlève. Il me regarde et s'excuse :

— Pardon, ce n'est pas ce que tu pourrais penser.

— Non, c'est moi qui m'excuse, c'est juste que …

— T'inquiète, c'est de ma faute, je suis trop tactile.

— Et moi, je ne sais plus où j'habite.

— Ça ne m'étonne pas. Avec tout ce qui t'arrive.

— Tu peux me dire précisément ce que j'ai dis dans mon sommeil.

Il s'assoit à mes côtés sur le lit et m'explique en détail l'expérience. Je l'écoute attentivement et peu à peu les propos de Manu deviennent cohérents. Inconsciemment, je crache dans mes cauchemars, mes peurs, mes doutes et mes interrogations. Pourquoi n'ai-je pas pris la peine de l'écouter et d'accepter le fait que je l'ai effrayé. Ça me saoule. Il me manque trop. Il faut que je trouve une solution pour lui parler. J'ai envie d'entendre le son de sa voix, la douce tonalité de ses fins de phrases quand il essaye de me convaincre que je ne suis qu'un idiot et d'arrêter de faire mon Kéké.

— Zach, c'est quoi l'Antelax ? me demande Étienne avec des yeux tout ronds.

— Ça ressemble à du shit mais elle a, en réalité, des vertues térapeuthiques ? Si elle est utilisée à bon escient et non détournée par des trafiquants.

— Je ne comprends rien.

— C'est peut-être ce qui a tué ma mère.

— Qu'est-ce que tu racontes ? dit Bruno qui entre dans la chambre à son tour.

— Maman avait découvert quelque chose et ils ont voulu la faire taire.

— Tu te rends compte de l'accusation que tu portes ?

— Oui et je ferais tout pour prouver qu'il ne s'agissait pas d'un simple vol à la tire qui a mal tourné.

— Ton père est au courant de ce que tu entreprends ?

— Je ne sais pas, je ne voudrais pas qu'il s'inquiète. J'ai trouvé un document dans un livre de maman. Elle l'avait dissimulé. La connaissant, si elle l'avait caché là, c'est que c'était important.

— Ça fait longtemps que tu joues à l'apprenti détective ? me demande Étienne.

— J'ai commencé, on va dire le jour où les flics ont annoncé que l'affaire était classée.

— Putain, Zach dans quoi as-tu mis les pieds ?

— Je ne sais pas, Étienne, dis-je abattu tout en poursuivant ma confession. Pour arriver à me frayer un chemin dans le monde des stupéfiants , j'ai commencé à fumer du shit.

— Tu plaisantes j'espère, ajoute Bruno qui ne s'attendait pas à une telle révélation.

— Je n'en suis pas très fier. Au début, ça m'a fait du bien, c'était top. Cela estompait la douleur, la tentation était trop forte. Rapidement, ça m'a permis d'ouvrir des portes et d'approcher des dealers. De fil en aiguille, je remontais à la source. Après deux années de recherche, j'ai gagné leur confiance. Alors que je venais de mettre la main sur l'adresse du boss de l'organisation, mon pote Cédric a voulu jouer au malin et ça à mal tourné.

— C'est pour cette raison que je t'ai retrouvé avec ton ami Manu dans la BMW ?

La soirée me revient en pleine face: le rendez-vous foireux dans l'appartement numéro 13, Karl se pointant avec Géraldine chez mon père, les deux branlées que j'ai pris, Cédric et Olivier dans un sale état, le paquet que j'ai chourré espérant ainsi avoir un moyen de pression et le dossier avec le logo de l'hôpital où bossait ma mère et dans lequel j'ai aperçu mon nom sur une enveloppe. Toutes ces choses que j'ai voulu taire pour ne pas inquiéter Manu et qui finalement l'ont fait fuir. Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir levé le camp, qui voudrait suivre un mec prêt à tout perdre. Lui de son côté, sans réfléchir, il a piqué la voiture de son père pour me sauver les miches, son courage s'est révélé quand j'ai voulu jouer au champion auto mettant nos vies en danger. Il a pris les choses en main là où certain ne le considère que comme un suiveur.

— Zach, tout va bien ? me demande Étienne en secouant sa main devant mes yeux pour me ramener dans le monde réel.

Je réponds mécaniquement :

— Et si tout me dépassait, si je me trompais ? Si c'est eux qui avait raison ? Si la mort de ma mère n'avait rien avoir avec tout ça ? Si je mettais tout le monde en danger en restant là ?

— Avec autant de "si" tu pourrais refaire le monde, ajoute Étienne pour faire retomber la pression.

— Ils vont vouloir récupérer le paquet, ça représente une belle somme.

— Comment peux-tu en être si sûr ?

— Parce que j'ai entendu le boss menacer Karl et lui balancer que la valeur de sa vie n'était rien à côté des centaines de milliers d'euros qu'il pourrait se faire s’il vendait au détail.

— C'est affreux, lâche du bout des lèvres Camille qui patientait sur le seuil de la chambre.

— Je réalise qu'avec tout cet argent, nous pourrions être des princes.

— Il brûlerai vos doigts, vous le regretteriez précise Bruno qui écoutait jusqu'à présent sans broncher.

— J'ai aussi trouvé une enveloppe avec le logo de l'hôpital et là je n'ai qu'une envie : la brûler.

— Sûrement pas mon choupinou, nous sommes tous là pour t'aider. Nous allons nous serrer les coudes, ils n'ont qu'à bien se tenir. S'ils se pointent, ils prendront conscience qu'ici on ne joue pas au caïd sans y laisser des plumes. N'est-ce pas les garçons ? ajoute Pierrette en regardant Bruno et Étienne.

— Grandma, ils sont dangereux, ils n'hésiteront pas…

— Eh bien moi non plus, dit-elle en désignant le trou dans le plancher.

— Et ça va chier dans l'ventilo, ajoute Mimie avec un sourire jusqu'aux oreilles.

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