Batman et Robin

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Mon portable soudain vibre, je l’arrache de ma poche. Alléluia, il s’est rallumé tout seul ! Un message s’affiche aussitôt : “Retourne-toi”. Je fais volte-face. Un brun, silhouette fine, habillé tout en noir, me sourit mécaniquement. Ses yeux sont cachés par des lunettes de soleil jaune pétantes.

— Emmanuel Courtois ? dit-il sèchement.

Je me relève.

— Light Yagami ?

— Désolé pour le contre-temps, mais je voulais m’assurer tout d’abord que t’étais clean et que personne ne te suivait, annonce-t-il en enlevant ses lunettes. Ses yeux perçants me dévisagent.

— Hein, quoi ?

— Tiens, voilà ton sac à dos. Désolé si je t’ai foutu la trouille, mais j’étais obligé.

Je l’attrape au vol.

— Obligé de quoi ?

— Je prends toujours mes précautions avant d’accepter une mission. J’avais besoin de te tester, ajoute-il d’un ton espiègle.

— Et j’ai réussi le test ?

— En partie. Suis-moi.

Je suis soulagé d'avoir récupérer mon sac, mais le comportement de ce mec me déplaît fortement.

— Ça y est, t’as fini de jouer ? Sans déconner, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je ne suis pas un agent secret.

— Oui, ça, j’avais compris. Relax, l’ami, c’est l’été. Un peu de crème solaire et une bonne glace italienne, on devrait pouvoir se détendre, non ?

— Et en plus, il se fout de ma gueule, j’y crois pas.

Le mec ne prend pas la peine de répondre et se met en route.

— Tu m’emmènes où comme ça ?

Parle à mon cul, ma tête est malade.

— Ça fait longtemps que tu connais Johan et Marion ?

—...

— Et sinon, tu fais quoi dans la vie ?

— Arrête de poser des questions, tu m’épuises déjà.

— Stop ! Dis-moi où l’on va, sinon…

— Très bien, comme tu voudras. Dans ce cas, ciao..

— Attends…

— Magne-toi, j’ai pas que ça à faire.

Il sait que je n’ai pas le choix. Cette fois-ci, je n'ai plus qu'à prendre sur moi et le suivre sans discuter.

Nous nous éloignons du centre-ville pour arriver dans un quartier beaucoup plus calme. Inutile d’essayer de retenir l’itinéraire que nous venons d’emprunter, les rues finissent par se ressembler les une autres autres. De toute façon, j’ai toujours été nul en orientation, vive google maps.

Nous arrivons dans une impasse. Light pousse un vieux portail rouillé, se faufile à travers une allée étroite qui débouche sur une porte en fer avec digicode. Mais au lieu de taper sur les touches, il passe nonchalamment sa main devant et la porte s’ouvre instantanément. Il doit bien se marrer derrière ses lunettes, car je ne peux feindre mon étonnement devant ce qui s’apparente pour moi à un tour de magie. Nous longeons un long couloir et descendons un escalier en colimaçon qui s’éclaire au fur et à mesure de notre passage. Une nouvelle porte à digicode. Passage de main, bingo.

— Bienvenu dans mon humble demeure. Fais pas gaffe au bordel, j’ai pas eu le temps de ranger.

Je parcours des yeux la pièce froide et spartiate. Elle est composée d’un canapé noir deux places, d’une table basse en verre imaculée, d’une chaise et d’un bureau métalliques avec comme unique objet posé dessus, un ordinateur portable où défile des lignes de commande. Monsieur a de l’humour.

L’endroit bénéficie d’une décoration minimaliste, un cadre unique accroché au mur. Il s’agit d’un comic, une parodie de Batman donnant une gifle à Robin, avec une bulle au-dessus de ce dernier où il est écrit “I’d like to fuck you”. Monsieur a vraiment beaucoup d’humour.

Il me fait asseoir sur le divan et me propose un coca. J’accepte volontiers. Il revient de la pièce d’à côté avec un petit plateau sur lequel sont posées deux canettes, avec une paille chacune. Je décapsule mon coca. Il s'assoit en face de moi. Il me sourit artificiellement. Il est peut-être aussi gêné que moi. Nous sirotons bruyamment notre boisson gazeuse sans dire un mot. C’est lui qui finit par briser le silence.

— T’as des questions à me poser, j’imagine.

— Je croyais que j’en posais trop.

— Susceptible par-dessus le marché.

Je me suis trompé, il n’est pas timide mais hautain. Je sens que c'est mal parti avec lui.

— Marion et Johan t’ont expliqué, je présume.

— Oui.

— Tu crois pouvoir faire quelque chose ?

— Oui, mais c’est en dehors de ton budget.

— Comment ça ?

— Je ne travaille pas gratuitement.

— Ah oui, pardon, évidemment.

— Vu ce que tu as sur ton compte en banque, cela ne va pas suffir.

— Mais comment tu sais… ?

Il me sourit d’un air entendu.

— Tu peux peut-être taper ton grand-père avant qu’il ne passe l’arme à gauche ?

J’écarquille les yeux, horrifié de comprendre qu’il sait manifestement déjà beaucoup de choses sur moi et ma famille.

— C’est hors de question ! Je ne ferais jamais une chose pareille.

— Je déconne.

— Ah, j’avais pas saisi. Je ne vois pas d’autre solution à te proposer, je n’ai que ça comme argent..

— Il te reste une dernière option.

— Laquelle ?

Il me sourit en levant les yeux en direction du cadre accroché au mur.

Mais qu’est-ce qu’il insinue ? Il est hors de question que lui et moi…

— Je te fais marcher.

— Va falloir que je m’y habitue.

— J’ai regardé ton dossier. C’est un sacré merdier, mais rien d'insurmontable.

— Ça veut dire que tu acceptes de m’aider ?

— Oui, tu as de la chance.

— Ah, oui ?

— Nous avons une connaissance en commun. C’est uniquement pour ça que j’accepte de t’aider.

— Vraiment ? Et je peux savoir de qui il s’agit ?

— De Zachary, bien-sûr.

Je buggue un instant, il a dû le remarquer. Il sourit enfin, de nouveau ravi de son effet de surprise.

— Tu le connais, c’est ouf !

— Comme tu dis.

— Il m’a jamais parlé de toi.

— Ce n’est pas surprenant. Light n’est pas mon vrai prénom.

— Sans blague ? Ce n’est pas très équitable pour le coup, tu connais le mien…

— Jérémie.

— Jérémie ? Ne me dis pas que tu es…

— …L’ami d’enfance de Zach.

Je suis littéralement sur le cul. Si je m’attendais à ça !

— Tu verrais ta tronche, je ne pensais pas que ça te ferait un si grand choc.

— C’est bon, je vais m’en remettre, dis-je d’un ton cassant. On procède comment pour notre affaire ?

Son menton posé entre ses deux index, il me lance un regard plein de défi.

— L’affaire Zachary a plusieurs facettes. La première, Marion s’en est occupée. L’associé de ton père devrait s’en tirer et filer des jours heureux avec ta mère. J’ai pris contact avec lui. Il a accepté de piéger ton père.

— Le piéger, carrément ? Et comment ?

— Pas la peine que tu saches tous les détails. Dans un premier temps, on va juste lui faire peur, histoire de voir comment il réagit et s’il fait dans son froc. Les rôles vont s’inverser pour une fois, ça peut être drôle. Me regarde pas comme ça. Tu culpabilises ?

— Oui et non.

— Il va falloir choisir. Parce qu’il est encore temps de tout annuler.

— Hors de question.

— Très bien.

— Et pour Karl, on fait comment ?

— C’est le deuxième volet. J’ai eu le feu vert de Zach. Il est en route.

— Comment ça, il est en route, mais… ?

— Oh, punaise, ne me dis pas que tu en pinces pour lui ?

— Oui, je sais, ça se voit comme le nez au milieu de la figure, il paraît. Il n’y a que lui qui ne le voit pas.

— Ça ne m’étonne pas. C’est pareil pour moi, il a mis des plombes à comprendre.

— Que Robin aimait Batman ?

Cette fois-ci, Jérémie lâche un vrai sourire.

— Ça fait longtemps que vous ne vous êtes pas vu avec Zach ?

— Game over, mon cher Emmanuel, play again.

— Désolé, je n’ai pas voulu être indiscret.

— Je sais, c’est moi qui bloque. La confiance, tout ça.

— Je comprends. Zach t’a dit à quelle heure il arrivait ?

— Je lui ai donné rendez-vous à la Guignette. Je n’aimerais pas que ce bar soit uniquement associé au tour que je t’ai joué en subtilisant ton sac.

— La batterie de mon téléphone, c’est toi aussi, non ?

— Un autre tour de passe-passe. Il n’est pas difficile de prendre le contrôle d’un téléphone pour le tracer. À présent, ce sera plus facile pour moi de vous suivre tous les deux.

— Il faut que je te dise un truc.

— Vas-y, accouche.

— Je ne sais pas si j’ai envie de continuer à suivre Zach dans cette aventure pourrie.

— Mon dieu, mes oreilles saignent. Mais bien sûr que si, ne te fais pas prier !

— Je suis sérieux, Jérémie.

— Moi aussi, dit-il en passant en revue son téléphone portable. Tiens, quand on parle du loup, Zach vient d’arriver en ville. Il ne sait pas que tu es avec moi. J’aime bien les surprises.

— On dirait que tu ne me donnes pas le choix, et pas sûr qu’il apprécie.

— Je sais que vous vous êtes pris la tête. T’as vraiment pas envie de le revoir ? Je suis sûr que ça va aller entre vous deux.

Putain…ce mec m’énerve vraiment.

— Bien-sûr que ça va aller, dis-je du tac-o-tac pour garder la face.

— Parfait. Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps.

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