Bel étalage

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Cette soirée a un goût de reviens-y. Entre Maël et sa dégustation de bières irlandaises et mes deux meilleurs amis sur la même longueur d'ondes, je me sens serein. J'apprécie la douceur de cette nuit d'été à partager un moment chaleureux et convivial avec des gars géniaux. Avec Jérémie, nous n'avons aucun mal à retrouver notre complicité, comme s'il n'y avait pas eu cette séparation imposée. C'est un pur régal. Il est toujours le même avec son regard espiègle et son sourire coquin. Il assure dans son domaine de compétences, un expert en matière de piratage et surveillance informatique. Prenez garde à vos petits secrets, ils n'en seront plus si Light Yagami s'intéresse à votre vie. Il vient de me garantir qu'il œuvrera pour nous sortir d'affaires. Il ne sera pas de trop pour nous extirper de cette toile d'araignée. Il me raconte comment ils vont tendre un piège au père de Manu avec l'aide de Patrick. À coup sûr, son paternel lui a fait une crasse pour qu'il accepte. Il faut que nous trouvions un moment pour discuter en tête à tête pour éclaircir certains points. Nous devons être honnêtes l'un avec l'autre et ne plus nous cacher derrière nos secrets. Je profite que Manu s'éclipse aux toilettes pour interroger Jérémie sur des points de détails qui m'ont échappés.

— C'est qui ce Patrick qui va nous aider ?

— L'associé de Francis.

— Il est grand et balafré ? demandé-je aussitôt.

— Non, pas du tout, taille moyenne pour un mec, à vue de nez la cinquantaine et il assure au lit.

— Quoi ? dis-je décontenancé. Lui et toi ?

— Ah non pas du tout, tu me prends pour qui. Je ne saute pas sur tout ce qui bouge. Tu vas me faire une réputation de tombeur. Bon j'avoue ça aurait pu mais le mec n'est pas mon style et il est trop vieux. Patrick, c'est l'amant de la mère de Manu.

— Tu déconnes, il est barge. Il ne va pas faire de vieux os quand son père va découvrir le pot aux roses.

— T'inquiète pas pour ça, à cette heure Francis doit être avec la douane volante pour essayer de les convaincre qu'il est innocent et de jurer ses grands dieux qu'il n'a jamais trafiqué quoi que ce soit. Les douaniers ont dû trouver le sachet de poudre dans sa valise et les dix autres cachés dans la boîte à gants. J'ai accès à la caméra de surveillance. À cette heure, il attend assis sur un banc avec deux camés. Il a dû appeler son avocat.

— Je m'en tape de Francis et de son confort. Je me fais du souci pour Manu, c'est quand même son père. Il a dit ok juste comme ça pour le faire chier.

— Oui et sans hésiter.

— Putain, c'est de la folie. Il va forcément à un moment ou l'autre le regretter. Il va m'en vouloir de l'avoir mis dans cette affaire.

— Dis pas de conneries, Francis s'y est mis tout seul comme un grand, je te rappelle qu'il l'a bien cherché. Tu n'as rien commandité, tu n'étais pas là et encore moins au courant. Il ne remontera pas jusqu'à toi.

— Mais on n'a pas encore la moindre preuve qu'il ait quoi que ce soit à voir avec la mort de ma mère.

Je marque une pause et avale la fin de mon verre avant de reprendre.

— Ça se trouve, je me suis gouré sur toute la ligne. Imagine les conséquences pour la famille de Manu. Karl lui va faire le lien entre les deux et il ne me fera aucun cadeau. Si Manu se trouve sur sa route, j'ai peur qu'il en prenne pour son grade. Lui et l'autre empaffé de balafré ne se poseront pas la question.

De nouveau la boule dans mon ventre grossit, je me sens terriblement mal à l'idée de briser une famille. J'ai trop souffert et dégusté pour souhaiter à qui que ce soit de vivre ce que j'ai vécu. De quel droit devrais-je faire subir ça à Manu ? Juste en me basant sur des preuves encore trop fragiles. Je m'en veux, mes ongles s'enfoncent dans la paume de ma main. Ma colère monte crescendo. Mes deux seules options : aller mettre un bon coup de poing dans le tonneau en bois pour expulser ce qui me ronge ou m'effondrer en larmes dans les bras de Jérémie. Il ressent mon désarroi et m’attrape la main pour l'ouvrir et déplier chacun de mes doigts lentement.

— Zach, apaise toi, j'ai promis de t'aider et c'est ce que je vais faire. Pour l'heure, détends-toi. Manu arrive. Reprends-toi.

Il se tient derrière moi et pose sa main sur mon épaule. Ce geste anodin m'électrise. Le contact appuyé des ses doigts réussit à faire tomber toutes mes barrières. C'est fou. Ce petit rien m'enveloppe de sérénité sans que nous ayons besoin de nous regarder. Puis, il reprend sa place à côté de Jérémie. Quelle chance qu'il soit avec nous à La Rochelle, il est mon phare dans la brume. Par contre sa voix est bien trop calme. Avec sang froid et froideur il me raconte comment son père l'a amadoué au téléphone puis le mépris dont il a fait preuve dans la voiture alors qu'ils rentraient sur Bordeaux. Ses mots sont plus durs quand il aborde le fait que son père lui a administré une gifle après lui avoir balancé des horreurs. Je me retiens, serre mes points, je n’ai qu'une envie me lever pour le prendre dans mes bras. La seconde suivante, je culpabilise de ne pas avoir été là et d'être le seul responsable de sa fuite. Je finis par me mordre la joue, en apprenant dans quelles conditions, il a dû s'extirper de la voiture et des griffes de son père. Tout ça, c'est de ma faute, j'aurais dû trouver les mots pour le retenir après notre prise de tête. J’ai été stupide. C'était la première fois que j'élevais la voix sur lui et inversement. Nos regards se croisent, il reprend son souffle. Ses mots sont plus posés, le ton moins haché, cela me rassure, pendant son séjour chez son ami Fabrice il a réussi à se ressourcer au bord de l'océan. Un sourire se dessine au coin de ses lèvres, sans en dire plus. Puis Manu termine son récit en me parlant de sa rencontre avec Marion et John et l'aide qu'ils lui ont apportée.

Je ne sais pas si c'est la bière ou les histoires que nous racontons, peu à peu mes joues et mes oreilles prennent feu. La chaleur s'intensifie et se diffuse sur toutes les parties visibles de mon être. Jérémie en profite et nous propose :

— Si vous voulez, je peux vous héberger, le temps que ça se calme. Ainsi nous pourrons réfléchir à la suite des opérations.

— Dans tous les cas, pour ma part j'ai Promis à Grandma que je serai rentré à temps pour la manifestation de dimanche prochain.

— Oui, elle m'en a parlé.

— Tu l'as eu au téléphone ? demandé-je, surpris.

— Oui, un peu avant que tu ne déboules à la Rochelle.

— Ah, d'acc.

— Elle voulait juste s'assurer que tu étais arrivé à bon port. Te fais pas de film. Elle a eu mon numéro grâce à ma mère.

— Ok, je comprends mieux. Mais tu as peut être mieux à faire, je voudrais pas empiéter dans ton espace privé.

Au cours de la conversation, même s'il ne l'a pas dit ouvertement, j’ai réalisé qu’il n'était plus célibatataire. Je suis soulagé de savoir que Manu ne partage pas ses draps. C'est stupide, mais les imaginer ensemble m'a déstabilisé. Il ne me reste plus qu'à tirer les vers du nez à Jerem pour savoir quel charmant mec a ravis son cœur. Je vais devoir me montrer plus malin que lui parce qu'il saura tirer avantage de la situation. Il est capable de me mener en bateau.

J'aurai bien mis une pièce sur Maël. Il pourrait sans problème être son genre de garçon. Pour l'heure, ni l'un ni l'autre ne laisse échapper de gestes tendres. Maël vient s'installer entre Manu et Jerem entre deux clients. Il semble vouloir maintenir une distance honorable entre mes deux potes. Maël aurait pu à plusieurs reprises effleurer la main de mon Jerem lorsqu'il nous servait à boire. Il n'en n'a rien fait, donc la conclusion est simple : soit ils sont très pudiques en public ce qui ne m'étonnerait qu'à moitié connaissant Jérémie, soit Maël n'est rien d'autre qu'un pote.

— Allez, il est temps d'aller prendre l'air, m’annonce Jérémie. Au choix, on rentre à l'appart ou on fait un crochet par le port, ajoute-t-il avec enthousiasme.

— Moi, je ne serai pas contre une virée à mater les voiliers, précisé-je, sentant les effets de l'alcool se diffuser en moi.

— Jérémie, je te rejoins plus tard si ça te va. Je finis dans deux heures, le temps que je range et je ferme, dit Maël.

— Ok, tu me préviens si tu arrives avant, je déverrouillerai à distance l'entrée.

Tiens donc, un indice. Maël a bien prévu de passer. Ça cogite dans un coin de ma tête quand Jérémie me bouscule de l'épaule.

— Au lieu de fantasmer sur l'éventuelle possibilité que Maël soit mon unique, tu devrais bouger, Ton Manu nous attend.

— Où est-ce qu'il est ? demandé-je inquièt.

— Il nous a devancé, il est sorti pour pour passer un coup de fil à un certain Olivier. Son ami de ce que j'ai compris. Héhé je comprends que tu l'aimes bien. Sous ces airs timides, Manu est sympa.

— Il est plus que ça.

— Humm, dis-moi en quoi ?

Bien joué Zach, maintenant je lui raconte quoi, qu'on s'est pris la tête, que Manu est parti et qu'il a laissé un vide. Je lui avoue que de ne pas le voir m'a manqué. Je ne comprends même pas de mon côté pourquoi je suis dans cet état. Je lui dis que quand je les ai vus ensemble, j'ai pris un coup de chaud imaginant que ça pouvait coller entre eux. Parler de tout ça avec Jérémie me faciliterait la vie et éclairerait certains de mes questionnements.

— Bon allez on bouge, me dit Jérémie en me secouant. Arrêté de réfléchir autant.

Manu attend devant le bar, il s’impatiente et pianote sur son portable.

— Je te conseille le nouveau James Bond, il est toujours aussi miamix, même à son âge (une vraie pépite), lui dit Jérémie en regardant par-dessus son épaule.

— Putain t'es con, réponds Manu en s’écartant.

— Non, je te promets, je l'ai vu il y a deux jours.

— Qu'est ce que tu racontes, il n'est pas encore sorti.

— Me fais pas croire que tu n'as pas compris que j'avais mon réseau. Ne me dis pas que tu n'as jamais télécharger illégalement.

— Alors on pourra faire ça, le mater peinard en rentrant, dit Manu, ses yeux brillent.

— Pas de soucis et attends de voir la qualité de l'image et du son, tu vas en prendre plein les yeux. Avant on va marcher, ça nous fera du bien.

Nous suivons Jérémie, je ne peux pas m'empêcher de regarder autour de moi. J'ai la désagréable sensation d'être suivi. Je deviens parano. Les rues sont animées, je me fais des idées. Les vacanciers profitent de la douceur de cette soirée pour flâner sur les pavés du port. Les deux tours à l'entrée se dressent devant nous, l'éclairage posé sur les différentes meurtrières est doux. Ces instantanés sont agréables. Nous déambulons, le cœur léger. Je ne souhaite pas briser le silence. J'ai appris à offrir cet espace de liberté à Manu. Il se nourrit des images qui défilent sous nos yeux. Je marche à ses côtés quand Jérémie tout à coup se plante devant la vitrine de la poissonnerie. Il s'est figé.

— Bel étalage, tu veux admirer le thon ? lui dit Manu avec un sourire coquin.

— Moi, je sèche, ajouté-je pour être raccord. C'était trop tentant, tu m'as tendu la perche.

— Les garçons vous êtes bien gentils, ce n'est pas le moment de faire le marché, nous dit-il avec un sérieux déconcertant.

Avec Manu, nous éclatons de rire alors que Jérémie devient muet comme une carpe, les yeux fixés sur le miroir au fond de la boutique.

— Pas possible, il est là, dit Jérémie en pointant du doigt une silhouette.

— Qui ?

— Le frère de Géraldine…

— Karl ?

— Oui, j'avais un doute quand je l'ai aperçu, il y a cinq minutes.

— Mais bordel, pourquoi tu ne l'as pas dit avant ?

— Parce que je n'étais pas sûr, je ne me souvenais que des bribes de ta description.

— File Manu, avance jusqu'au coin de la rue. Ne te retourne pas, crié-je en le poussant.

— Suivez-moi, nous assène Jérémie tout en nous doublant.

— Laisse-moi aller le voir, je vais essayer de lui parler, dis-je en me stoppant net.

— Hors de question de te retrouver face à lui, me supplie Manu en me prenant la main.

Je perçois de l'inquiétude dans sa voix, je ne veux surtout pas que Manu se retrouve mêlé à un règlement de compte. Je ne souhaite pas le mettre dans une situation que je ne maitriserait pas. Nous sommes trois, serait-ce suffisant pour remporter le combat ?

— Ok, suivons Jérémie. Il connaît le coin comme sa poche, dis-je à contrecoeur.

Nous courons les uns derrière les autres sans prendre la peine de nous retourner pour vérifier si Karl nous rattrape. Mon pouls s'accélère, mon unique but : mettre le plus de distance entre cet abruti et Manu. Je ne supporterai pas qui lui arrive quoi que ce soit par mail faute. Je ne m'en remettrais pas. Tout à coup, Jérémie se stoppe et ouvre la porte d'une boutique.

— C'est pas le moment de faire du shopping, crié-je dans sa direction.

— T'inquiète tout va bien. Fais moi confiance, me répond-il calmement.

— Oui, toujours.

— Alors, magniez-vous, entrez maintenant.

Il attrape Manu par le bras et le tire à l'intérieur. Je me jette aussitôt dedans et claque la porte derrière moi, je colle mon dos pour faire obstacle au cas où Karl surgirait de nul part. Jérémie jette un œil sur son portable.

— La rue est déserte. C'était peut être une vue de mon esprit. J'ai dû me tromper. Pardonnez-moi.

— Si ce n'était pas le cas ? demande Manu.

— Eh bien, s'il pose les pieds en ces lieux, mon pote Zeus se chargera de l'accueillir.

— Quoi ? s'écrit mon volleyeur.

— Avec Apollon, ils sont maîtres en arts martiaux.

— Mais pas que, ajoute un gars baraqué surgissant de derrière le comptoir. Bienvenu mon Jerem, tu as amené des amis, bonne idée.

Je les observe, ils ne portent pas seulement des noms de dieux, ils sont taillé comme tel, chaque partie de leur corps est sculpté dans du marbre. Pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, qu'il nous envoie deux serviettes avec le logo de la boutique : deux noix de coco dans une feuille de bananier.

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