Quoi d'neuf ?

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Minuit sonne. La petite place où nous déambulons est encore animée. Avec ses airs de guinguette, on se croirait en partance pour un virée dans le vieux Paris. Cette ambiance fait remonter à la surface de doux souvenirs. Pour fêter mes dix ans, mes parents et grands-parents avaient marqué le coup en organisant un week-end familial dans la capitale. Là où les enfants de mon âge auraient cassé les pieds pour arpenter les allées de Disneyland, mon rêve à moi se résumait à grimper tout en haut de la tour Eiffel. J'espérais toucher les étoiles dès que j’aurai fouler la terrasse du dernier étage. À ses pieds, j'étais un minus sans voix devant la géante de fer. Je n'ai pas résisté un instant et j'ai escaladé les marches quatre à quatre, seul papa m’a accompagné courageusement. Arrivée en haut, la plus belle étoile nous attendait les bras ouverts. Je revois encore son sourire. Pour l'occasion, ma mère avait ourlé ses lèvres d'un rose poudré et ses yeux pétillaient. Nous sommes restés jusqu'à la nuit tombée. Paris brillait de mille feux. Une image me revient, appuyé sur la rambarde, mon regard scrutait le moindre détail et de l'autre côté, dans un coin obscur, un couple d'amoureux se bécottait. La lune, curieuse, se faisait indiscrète en révélant au grand jour leur secret. Je devenais son complice. Les jeunes hommes embarrassés reprirent leur distance. Puis, ils se sont éloignés main dans la main, m'adressant un dernier sourire avant de s'évaporer.

Ce soir, sur cette place de la Rochelle, je retrouve cette ambiance, des lampions ont été accrochés sur les arbres et des tables disposées autour d'une fontaine. Le tout est embelli par la vue sur l'océan, le petit plus qui aurait pu manquer au quartier latin. Avec un groupe de jazzmen pour rythmer la nuit, le cadre est parfait pour une soirée romantique. Quelques vacanciers se pressent autour d'un food truck, ils étudient le menu placardé sur une ardoise.

— Non je rêve, mais j'y crois pas. Vous voyez la même chose que moi. Où j'ai abusé de Guignette et d'encens, dis-je avec un sourire collé aux lèvres.

— Rassure-toi mon chou, tu n'es pas en plein délire psychédélique. J'étais sûr que tu apprécierais le décor.

— À cette heure-là, dis moi Jerem qu'on va pouvoir commander un méga hot dog avec des frites maisons. Je meure de faim.

— Mieux que ça, il va nous faire son menu spécial Samy, tu vas adorer Zach.

— Avec une méga pizza ? impatient tel le gosse de dix que je redevenais.

— Demande-lui, je te présente Roberto, le meilleur cuistot de food truck du secteur. Il n'y en a pas deux comme lui.

J'adore le concept, un vieux Renault Trafic restauré en Mystery Machine. Il a pensé à tout dans les moindres détails, c'en est bluffant. J'ai l'impression d'être entré dans le dessin animé.

— Tu te souviens Zach, les après-midi à mater la série.

— Eh voilà tu m’as mis l’air en tête, dis-je en fredonnant les paroles :

Quoi d’neuf Scooby-Doo?

Nous, on te suit partout

On va résoudre ce mystère

Les indices après tout

Conduisent à toi, mon chou

Quoi d’neuf Scooby-Doo?

— Nous étions des vrais gosses, me rappelle Jérémie avec des étincelles dans les yeux.

— Normal, nous avions cinq ans.

— Tu te souviens, ton père nous autorisait à nous coucher à minuit, et nous finissions par nous endormir sur le canapé.

— C'était le bon vieux temps.

— Allez, après on rentre et on se fait une soirée vidéo. Ça vous dit, propose Maël. Je regarderai bien…

— Le dernier James Bond, disent Jerem et Manu à l'unisson.

Avec Maël nous éclatons de rire, au même moment la musique du générique de Scoobydoo retentit pour nous annoncer que notre commande est prête et je repars à chantonner :

Quoi d’neuf Scooby-Doo?

Force-toi, c’est tout

Tu vas résoudre ce mystère

Où es-tu Scooby-Doo?

Nous, on te suis partout

Quoi d’neuf de Scooby-Doo?

Cette fois, Manu et Jerem éclatent de rire.

— Eh vous moquez pas, je ne chante pas si faux ? Si ?

— Non, tu plaisantes. Tu es même plutôt à l'aise, ajoute Jerem en me tendant une part de pizza dégoulinante de fromage.

— Manu, tu trouves pas que les paroles sont raccord avec notre propre histoire ?

— S'en est même plutôt rassurant. Ils résolvent toujours les mystères, ajoute-t-il d'un air soulagé.

— Tu penses que nous aussi on va soulever le masque et découvrir le méchant, dis-je avec espoir.

— T'inquiète Zach, nous trouverons une solution, répond Manu avec une douceur dans la voix qui me fait fondre.

Nous dévorons notre repas à la façon des héros de notre enfance. Cette complicité entre les deux personnages fait tout le charme de ce dessin animé. Si Anouchka n'avait pas été une femmelle, je l'aurais baptisée sans hésiter Scooby-doo.

Roberto, notre cuisinier, est un homme atypique et fort sympathique. Il n'a ni l'allure d'un Fred avec ses mèches blondes et ses yeux bleus, ni celle d'un Samy. Il est Roberto, grand, carré, rouquin et de grands yeux verts. Il n'a rien du rital venu se perdre à La Rochelle. Il serait plutôt du style Écossais prêt à fondre sur les anglais pour libérer sa chère patrie. Il nous raconte son arrivée en France. Certains parlent du rêve américain, lui il vante la douceur de vivre à la française.

Son histoire, loin d'être banale, a commencé un été, il y a vingt ans. Il connaissait la Méditerranée sur le bout des doigts. Il vivait à Vintimille depuis sa tendre enfance. Il a grandi dans une famille de cuisiniers qui a pignon sur rue dans l'un des marchés les plus populaires de la Riviera dei Fiori. Les touristes y affluent chaque vendredi entre sept et dix sept heures. Le restaurant affiche complet ce jour-là, Roberto a suivi les traces de son père et en est fier. Puis un matin de juillet, tout a changé. Il nous parle de sa rencontre avec Isabelle. Ses mots se font doux, il retrouve l'accent de son pays, les "r" roulent sur ses lèvres. Nous écoutons avec attention les détails, il nous raconte comment l'amour l'a attrapé et depuis ne l'a plus lâché. Il est tombé sous le charme de cette petite française aux yeux de braise et l'a suivi jusqu'à la Rochelle. Une fois arrivé sur le port, il est tombé amoureux fou de la ville. À aucun moment, il n'a regretté son choix. Même si son Italie lui manque, ici il se sent chez lui. Ça fait vraiment du bien de se rendre compte que la vie est merveilleuse quand on prend la peine de la vivre.

Roberto est un homme plein d'humour et nous offre l'hospitalité à cette heure bien avancée de la nuit. Avec sa bonne humeur contagieuse, nous passons une fin de soirée agréable. Il est à son tour comme ont pu l'être avant lui Zeus et Apollon bienveillant et sous leurs airs de gros nounours, attachants. Il y a tout un monde qui fourmille autour de Jérémie, dès plus charmant, il attire les bonnes personnes. Je suis tellement heureux de le savoir bien entouré. Il a su s'écarter d'un père nocif pour trouver des gens sur qui il peut compter. Il a une influence positive sur les autres et ça on ne pourra pas le lui enlever. Il est et restera mon best.

— Et toi Zach quel parfum ? me demande Roberto.

— Pardon, dis-je en reprenant le cours de la conversation.

— Ta glace, qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

— Une dame blanche, répondent à nouveau en cœur Manu et Jerem.

— Eh bien tes amis te connaissent à ce qu'on dirait.

Après avoir noté notre commande, Roberto se dirige vers un groupe de jeunes installés à une des tables voisines. Ils ont l'air particulièrement agités. Ils parlent forts et se montrent impolis avec lui qui les remet à leur place avec calme, tout en leur conseillant de baisser le volume. Le plus grand se redresse pour toiser le cuisto mais se ravise constatant qu'il ne fera pas le poids face au grand gaillard dans le costume de Roberto. Ils s'empressent de lui adresser des gestes obscènes aussitôt qu'il a le dos tourné. Ça me met hors de moi, la main de Manu alors se pose sur la mienne. La bulle prête à exploser s'envole d'un coup de baguette magique. Je préfère malgré tout garder un œil sur eux. Jérémie m'adresse un regard inquiet quand monsieur muscle, tout dans les biceps, rien dans le cerveau se pointe et s'adresse à Manu :

— Eh, tu penses que ta copine aurait une clope ?

Manu m'interroge du regard. À mon tour, je caresse du pouce le dos de sa main et lui fais un sourire.

— Bien sûr, je ne voudrais pas priver ta chérie de tirer une taffe, répond-je, lui donnant la dernière cigarette de mon paquet.

— Elle suce bien si tu veux essayer. Mais peut-être pas aussi bien que toi, me dit-il sans me quitter du regard.

— Putain, dégage, lui balance Maël.

— Pourquoi t'es jalouse ?

— Tu joues à quoi, du con, insiste Maël qui s'agace. Rejoins tes potes et fous nous la paix avec tes allusions.

— Du calme, je pensais que vous étiez plus ouvert que ça.

— Non mais tu déconnes, t'a vu ta gueule, même pas après une cuite j'en voudrais, s'emporte Maël excédé par le comportement du sombre idiot qui vient de poser sa main sur mon épaule.

Mon sang ne fait qu'un tour, j'attrape ses doigts et me lève. Des abrutis, on a bien assez, pas besoin de rajouter à la liste, un connard d'homophobe.

— Écoute, passe ton chemin. On a mieux à faire que de te faire la conversation, lui conseille Jérémie qui jusque-là n'était pas intervenu.

— Oh pardon, j'ai contrarié votre plan à quatre.

— Ouais d'ailleurs, ça te dérange pas, j'ai un truc à faire. Sinon ferme les yeux ça pourrait les brûler, dit Maël en se levant.

Sans se démonter, il embrasse Manu. Puis, il dépose un baiser sur les lèvres de Jérémie qui s'empresse de le lui rendre. Je ne sais pas ce qu'il me retient de mettre mon poing dans la gueule de ce pauvre type juste derrière moi. Peut-être tout simplement Manu, à qui j'offre un kiss. Tout aussi surpris que moi, il ne bronche pas. Au même moment, une fille se précipite dans notre direction et attrape le bras du gars à mes côtés.

— Pardon, les mecs, mon frère est un sombre idiot qui a trop picolé. Il raconte vraiment n'importe quoi.

— Lâche-moi. Regarde-les, ils n'ont aucune honte.

— Tais-toi c'est bon, je pense qu'ils ont compris. T'as de la chance, ils sont plus intelligents que toi, sinon on compterait les points et tu aurais l'air malin, KO dans un coin.

— Quoi tu insinues qu'ils sont plus costauds ?

— Non, juste qu'ils t'ont rien demandé, c'est toi qui est venu les emmerder.

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