L'affaire (Première partie)

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Je me réveille affalé sur le canapé, un peu grogui. Il est quelle heure ? Maël et Zach ont disparu. Jérémie devant son ordi picore des M&m's. Il me propose un café que j'accepte volontiers. Punaise, il est bien corsé ! Ça a le mérite de me réveiller direct ! Et surtout, ce qui me saute directement aux yeux, c’est mon comportement d’hier soir vis-à-vis de Zch. En arrivant chez Jérémie, j’ai dû lui paraître distant, sans un mot pour lui. Mais qu’aurais-je pu faire ? Le prendre entre quatre yeux dans une pièce à part et lui demander si son baiser était vraiment sérieux ? J’en étais tout simplement incapable. Il fallait que j’attérisse et réalise que mon hétéro préféré maxi défi avait franchi la ligne rouge. C’était comme si mon cerveau refusait cette toute nouvelle intimité. Pris au dépourvu, je n’ai pas su comment me comporter. Il faut dire que la fatigue n’a pas aidé non plus (pas la peine de se trouver de telles excuses). Résultat, j’ai préféré me jeter sur le canapé devant un film, avec Maël de surcroît ! Qu’est-ce que je peux être stupide, je confine à la connerie. Il faut que je me rattrape et vite ! Jérémie semble vouloir faire une pause en étirant ses bras au-dessus de sa tête. J’en profite pour lui demander où est son ami d’enfance. Il me répond "Sur la table''. What ? Il y a juste une feuille et une enveloppe.

*

C’est cette fichue enveloppe trouvée dans la voiture de mon père. Je la soupèse, la retourne dans tous les sens, sans oser l’ouvrir. Jérémie soupire et me balance “Lis au moins sa lettre” avant de sortir de la pièce. Je respire un bon coup et me décide de l’ouvrir. C’est l’écriture de Zach, indiscutablement. Elle m’est adressée. La première lecture m’assomme. Puis je la relis une seconde fois. Que dois-je en penser ? Réponse A : Noooon, il peut pas me faire ça, c’est dégueulasse ! Réponse B : Il me mitonne depuis le début, c’est un hétéro qui n’assume pas. Réponse C : C’est ma faute, c’est moi qui l’ai fait fuir. Réponse D : Fuuuuuuck !

Assis en face de moi depuis cinq minutes, Jérémie attend manifestement que je me décide à parler. J’ai déjà la tête qui fume, j’ai clairement besoin d’aide.

— Tu m’en veux, Manu ?

— Réponse D.

— Hein ?

— Laisse tomber. C’est normal d’aider un ami. Ne va pas croire que je suis jaloux, même si ça m’a effleuré l’esprit lors de vos retrouvailles à La Rochelle.

— Ridicule.

— N’est-ce pas ! dis-je en grimaçant.

— Humour, Manu.

— J’ai pas trop envie de rire, Jérémie.

— Moi non plus. J’ai peur que Zach fasse une connerie en retournant sur Bordeaux.

— Tu m’expliques ?

— Je commence par quoi ?

— Cette putain d’enveloppe que j’ai pas envie d’ouvrir. Ça fait une semaine que nous la fuyons avec Zach comme la peste.

— Il a enfin eu le courage de l’ouvrir avant de partir pour la Rochelle. Entre nous, je pense qu’il avait peur de ce qu’il allait découvrir. Ça fait trois ans qu’il est à la recherche du vrai meurtrier de sa mère. Si proche du but, il a tout simplement flippé.

— Tu joues avec mes nerfs, dis-moi ce qu’il y a dedans !

— Le rapport d’enquête de l’assassinat de sa mère et le dossier complet des preuves que Stella avait amassé sur l’Antelax et la mise en cause de ton père.

Je déglutis difficilement. Mon père. Les preuves sont là.

— C’est quoi ce putain d’Antelax ? Zach était à sa recherche lui aussi ?

— L’Antelax est une drogue thérapeuthique qui ressemble en tout point à du shit. Même aspect, mais sans odeur. Elle était en cours d’expérimentation dans un laboratoire de l'hôpital où travaillait la mère de Zach. Elle participait avec des médecins chevronnés à un protocole expérimental, très encadré. Les premiers résultats se sont avérés très encourageants voire spectaculaires dans l’accompagnement des malades atteints de cancers dits incurables. Autant te dire que les enjeux étaient énormes pour la recherche médicale et pour la réputation de l’hôpital. Mais tu penses bien, d’autres personnes ont vu ça d’un autre œil.

— C’est-à-dire ?

— Business is business. Un labo de province qui joue dans la cour des grands, certains ont vu dans ce projet une manne financière énorme.

— Qu’est-ce que mon père a à avoir avec ça ?

— À l’époque, en pleine ascension à son poste de maire, il a voulu lui aussi sa part du gâteau. L’ambition, l’argent, un manque de discernement, et ça a vite fait de partir en couille.

— Mon père est intelligent, s’il s’est foutu dans cette galère, c’est qu’il avait une très bonne raison. Comment allait-il se servir de l’Antelax ?

— Tu ne devines pas ? Pourtant avec ce que Marion et Johan, ou Ross & Well devrais-je dire, t’ont raconté…

— Mais oui, évidemment ! C’était pour sa deuxième société en Espagne.

— Ton père a voulu faire le malin sans savoir ce qu’il avait réellement entre les mains. Malgré les nombreux signaux au vert, l’Antelax n’était pas encore au point, il ne pouvait pas ne pas le savoir. Il a préféré quand même jouer avec le feu, et il a perdu.

— D’où les transferts d’argents de la boîte de BTP vers Gaïa Herbolario depuis deux ans pour éviter qu’elle dépose le bilan. Je comprends mieux aussi pourquoi il a commencé à être invivable à la maison.

Jérémie marque un temps d’arrêt, avant de reprendre.

— Le problème, c’est qu’il a dû débourser beaucoup d’argent pour avoir cette matière première. Lui qui pensait se faire un max de blé avec elle, en fin de compte, il n’a pas réussi à écouler l’Antelax comme il voulait. Il a pas mal perdu dans l’affaire.

— J’ai du mal à croire que tu parles de mon père.

— Tu sais, Manu, on est vraiment sur des planètes différentes, lui et nous.

— Autre question : comment a-t-il réussi à se procurer l’Antelax, on ne rentre pas dans un labo comme dans un moulin ?

— Je dois reconnaître que ton père est un très bon politicien. Il a eu l’art de séduire les gens et de s’en mettre certains dans sa poche. Il a rendu des services, graissé quelques pattes. Il a su bien s’entourer.

— Je ne suis pas surpris, même si j’ai du mal à croire qu’il ait pris autant de risques. Mais je ne saisis toujours pas le lien avec Stella. Quel rôle joue-t-elle dans l’histoire ?

— Ton père et ses amis ont cru prendre toutes leurs précautions. Ils ne se seraient jamais douté qu’une simple infirmière s’apercevrait que des quantités d’Antelax disparaissaient du labo au fil des mois. Aucun de ses chefs et encore moins la direction n’a voulu croire en ce qu’elle disait.

— Même les chercheurs du labo avec qui elle travaillait ? Et si l’Antelax volé était parti à la concurrence ? Ils auraient dû s’en inquiéter, non ?

— Je vois que ça turbine dans ta tête à fond les manettes. Désolé, dans ce que j’ai trouvé, je ne vois aucun signe d’espionnage industriel ou quelque chose dans le genre. À ma connaissance, aucun des chercheurs n’a fait de vague ou du moins voulu prendre de risque. La peur de voir leurs recherches s’arrêter du jour au lendemain, si celles-ci venaient à poser le moindre problème, a dû jouer dans la balance. Résultat, la mère de Zach s’est retrouvée seule.

— Ca veut dire que Stella, parce qu’elle savait…C’est horrible. Mon père responsable de sa mort, pourquoi je me refuse d’y croire ?

— Parce que c’est tout simplement ton père.

— C’est un sale profiteur, mais de là à vouloir qu’elle meurt…

— J’ai commencé à investiguer, mais à ce stade, je n’en sais rien. Il y a plusieurs possibilités. À priori, vu son profil, il a su prendre des risques mais jusqu’à un certain niveau. Ton père n’est pas complètement fou. Il faut en avoir des grosses pour tuer ou commanditer un meurtre. Je pencherais plutôt pour un autre scénario. Il aurait embauché un homme de main pour intimider et faire taire Stella. Il fallait absolument qu’elle arrête de fouiner.

— Sauf que ce n’est pas du tout ça qui s’est passé.

— Oui, malheureusement, ça a mal tourné pour elle. C’est pour cette raison que ton père a voulu effacer toutes les traces qui pouvaient l’incriminer. Et tout ça prend du temps. Ses soit-disants amis politiciens, flics et ceux de l’hôpital qui étaient au courant ont voulu se protéger eux aussi. C’est devenu pour ton père un vrai casse tête de sortir de ce pétrin blanc comme neige et étouffer l’affaire. Il suffit de remonter l’espace-temps.

— L’espace-temps ?

— En gros, ton père a dû aussi débourser de sacrées sommes d’argent pour obtenir le silence de certains et faire enterrer le dossier de l’enquête judiciaire concernant Stella. Officiellement, l’affaire est classée.

— Mais ?

— Il reste toujours des traces, et je suis un chasseur de traces. Je dois dire que je m’amuse comme un fou.

— Tu me disais que tu avais peur que Zach fasse une connerie en retournant sur Bordeaux…

— Ton père était loin d’imaginer, alors que l’affaire Stella était derrière lui, que son fils de quinze ans allait enquêter à son tour sur son compte. Telle mère, telle fils, un vrai fouineur ton Zach. Le connaissant depuis tout petit, cela ne m’étonne qu’à moitié. En trois ans, il n’a jamais lâché l’affaire. Il était prêt à tout pour en savoir plus sur ton père sur qui il avait de gros soupçons.

Soudain, j’ai l’impression de manquer d’air.

— C’est bien ce que je craignais. Il se serait servi de moi pour l’atteindre ?

— Je n’y crois pas un instant.

— C’est ce que tout le monde me dit. Comment en être sûr ?

— Vu comment il t’a roulé une pelle hier soir par exemple. Et pas la peine de rougir…

— Laisse tomber, c’est un hétéro maxi défi.

— J’ai comme l’impression que tu l’a relevé haut la main.

— La preuve, il m’écrit une lettre et s’enfuit à Bordeaux, en me laissant planté là comme un con.

— Laisse lui le temps de réaliser.

— De réaliser quoi ?

— Tu le fais exprès ? Il te kiffe total, mais il a dû mal à l’admettre, c’est tout ! Ah, je préfère quand tu souris.

— J’arrive pas à croire qu’il m’ait embrassé.

— J’avoue que j’ai été surpris, moi aussi.

— Revenons à nos moutons, Jérémie si tu veux bien.

— C’est drôle comment tu évites le sujet, Manu, c‘est trop mignon.

— Ne te fous pas de ma gueule. Avec tout ce que tu m’as raconté sur mon père, je ne suis vraiment pas d’humeur.

Jérémie me met sous le nez son bol de M&m's.

— De délicieuses cacahuètes grillées enrobées de chocolat au lait, le tout dans une croustillante coque de sucre haute en couleur. Et en plus, ça donne le sourire, vas-y c’est open bar !

J’en prend une poignée pour lui faire plaisir. Punaise, j’avais oublié comment c’était bon ces machins là.

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