L’affaire (Deuxième partie)

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Je croque un dernier M&m's le temps de reprendre le fil de mes pensées.

— Autre chose Jérémie, pourquoi mon père a-t-il attendu aujourd’hui pour mettre la main sur le dossier papier de Stella ?

— Parce qu’il ignorait son existence tout simplement. C’est là que ça devient très intéressant, quand le passé resurgit.

— Comment ce dossier est-il remonté à la surface ?

— Je n’en sais encore rien. Mon intuition me dit que ton père s’est fait doubler par une personne en qui il avait confiance et qu’il croyait avoir fait taire il y a trois ans. Celui-ci a su se faire oublier avant de revenir aujourd’hui sur le devant de la scène.

— Sauf que mon père a été plus malin que lui puisque ce dossier, il a finalement récupéré.

— Dis comme ça, oui. Je suis loin d’avoir éclairci toute cette affaire. Il me faut plus de temps.

— Je suis sidéré que tu en saches déjà autant !

— Ça te paraît rapide mais dans la réalité… Comment t’expliquer…Si ton père évolue dans un monde bien à lui, moi je navigue aisément dans le mien. Sans vouloir me vanter, je suis plutôt doué dans mon domaine.

— Tu dois trouver que j’ai vraiment une famille de merde, enfin, je dis pas ça pour ma mère. Je me sens d’une telle naïveté dans cette histoire.

— Je t’arrête tout de suite, on voit que tu ne connais pas mon père. Si tu savais, tu partirais en courant. Chacun son boulet. Comme moi, tu n’es pas responsable des choix et des actes de ton daron. Sincèrement, j’envie ta naïveté. Dans mon travail, il m’arrive souvent de savoir des choses que j’aurais préféré ne jamais apprendre. Le monde est aussi laid qu’il est beau.

— C’est quoi ces yeux, tu as d’autres scoops à m’annoncer ?

— Pendant qu’on est dans le chapitre des révélations…

— Je m’attends à tout…

— Comme je vous le disais hier, j’ai envoyé votre ami Karl sur une fausse piste à Paris.

— Tu as des nouvelles de lui ?

— Il est mort.

— Quoi ? Si c’est une blague, elle est de mauvais goût.

— Absolument pas.

— Putain, me balancer ça, comme ça…

— Désolé, aucun trigger warning n’aurait été suffisant pour annoncer une telle nouvelle. je ne voyais pas comment faire autrement.

— Je suis sur le cul. Comment s’est arrivé ?

— Se croyant sur la piste de Zach, il a voulu en profiter pour se faire du blé et revendre sa cam. Les aventures d’un petit dealer de province à Paris… Les choses sont un peu différentes dans la capitale.

— Il devait le savoir qu’il n’était pas de taille, non ?

— Il a dû être sous pression et perdre pied. Autant te dire que je culpabilise un max.

— Qui vient de me dire que l’on n’est pas responsable des actes des autres ? Même si je ne le connaissais pas, ne va pas croire que ça ne me fait rien. Je pense à sa sœur Géraldine qui est au Maroc en ce moment. Je ne la porte pas dans mon cœur mais quand même, la pauvre. Je ne devrais pas dire ça, mais ça veut dire que Zach ne craint plus rien à présent. On va peut-être enfin pouvoir souffler un peu. Je suis cynique, non ?

— Je ne te connais pas, et je ne suis pas là pour te juger. Dans ce genre d’histoires, on réalise que ça aurait pû être nous les victimes. C’est humain de réagir comme ça.

— Merci. J’ai encore une chose à te demander.

— Tu veux encore des M&m's ? Pardon…Vas-y, je t’écoute.

— Tu as une photo de Karl à me montrer ? Je ne l’ai jamais vu, je voudrais voir à quoi il ressemble.

Jérémie s'exécute en pianotant sur son ordi, et quelques secondes plus tard, une photo apparaît sur l’écran.

— C’est bien ce que je craignais. Dans le dossier qu’on a trouvé dans la voiture de mon père… Promis, je n’ai pas cherché à savoir ce qu’il y avait dedans. C’était un accident.

— Pourquoi tu souris bêtement d’un coup ?

— Un truc con, oublie. Bref, j’ai uniquement vu une photo où on y voit clairement Zach et un homme qui s’échangent de la beuh. Tu viens de me confirmer qui est cet homme, c’est bien Karl. Aussi, je me demande… Mon père avait donc l’intention de rassembler des preuves contre lui et sa bande de lycéens pour les faire tomber pour trafic et éviter par la même occasion que Zach s'intéresse de trop près à lui.

— Ton père se sent acculé. Il est prêt à tout pour sauver ses miches. Ce n’est pas un hasard si Karl a demandé à Zach de faire une livraison en Espagne et que ton père y soit au même moment.

— Et si on ajoute dans l’équation, Patrick, l’associé de mon père…

— Je t’arrête deux secondes. Ton daron avait tout prévu sauf ça et le fait que tu lui piques sa voiture. Il est en train de se manger des coups de tous les côtés. Si tu veux avoir une idée un peu moins flou de cette affaire, laissons de côté Patrick pour le moment, c’est déjà assez compliqué comme ça.

— Ok, je t’écoute.

— Je pense que ton père voulait effectivement faire d'une pierre, deux coups. Le dossier Antelax de Stella entre ses mains, Zach ne pouvait plus l’atteindre. Premier problème solutionné. Dans ce même dossier que vous avez trouvé dans la boîte à gants, figuraient également plusieurs photos du trafic de Karl et Zach prises à différentes occasions. Il y en a même une de toi en train d’attendre sagement dans une voiture. Celle-ci, tu peux être sûr que ton père allait s’en débarrasser. Ces photos ont probablement été l'œuvre d’une personne engagée par ton père.

— C’est pour ça qu’il a dû être dégoûté que je lui pique sa caisse alors qu’il s'apprêtait à partir en Espagne.

— T’as bien dû le foutre en rogne, ça c’est sûr.

— Attends deux secondes. Il y a un autre truc que je ne piges pas. Hormis Zach, il devait forcément y avoir des photos où l’on voit les autres mecs de ma classe, non ?

— Tu parles de Cédric et d’Oliver ? Ces deux-là, ils sont arrivés tard dans l’équation. Ton père faisait une fixette uniquement sur Zach, je pense. De toute façon, comme le père d’Olivier est ami avec le tiens, il y aurait eu moyen d’effacer les preuves. Quant à Cédric, il était quantité négligeable pour lui.

— Karl mort, ça fait l’affaire de mon père. Tu lui as rendu service on dirait, non ?

— Sans commentaire.

— J’ai tout compris ! L’homme de main que mon père aurait missionné il y a trois ans pour faire taire Stella, c’était Karl ?

— Au départ, c’est ce que je pensais aussi, puisqu’on le voit sur des caméras de surveillance du labo subtiliser l’Antelax. Mais, il y a quelque chose qui cloche. Je ne vois pas ton père s’adresser à un petit dealer qui avait tout juste vingt ans à l’époque. C’était trop risqué.

— Qui est cet homme de main alors ?

— Quelqu’un de plus aguerri mais aussi de plus dangereux qui, il y a trois ans, comme ton père, n’a pas voulu se salir les mains directement.

— Le système pyramidal, comme dans les films de gangster… Pardon, c’était pas drôle, j’avoue. Pourquoi mon père a-t-il cherché à se débarrasser de Karl s’il ne le connaissait pas ?

— Parce qu’il a dû apprendre seulement aujourd’hui qu’il travaillait toujours avec son homme de main. Premièrement, ton père n’a pas aimé son chantage au dossier Stella dont il venait d’apprendre l’existence, mais en plus, savoir qu’il y avait un petit dealer en lien avec son fils, il a vu rouge. Pour moi, il a voulu régler cette affaire une bonne fois pour toutes. Une façon de se protéger définitivement et de te mettre hors de cause.

La conversation dans la voiture avec mon père avant qu’il me gifle me revient en mémoire.

— T’as raison, mon père a vraiment cherché à me protéger, même s’il a une drôle façon de s’y prendre.

— T’as l’air déçu.

— Non, c’est juste qu’on n’arrive pas à se parler tous les deux et que le portrait que tu me dresses de lui, et bien… J’aurais préféré l’ignorer.

— Je comprends ce que tu ressens. Je suis passé par là, même si mon histoire est différente.

Je lâche un soupir.

— Plus facile à dire qu’à faire. Bref, restons concentrés. Cet homme de main, tu sais qui c’est ?

— J’y viens, justement. Ce n’est pas le point le plus facile à aborder.

— Qu’est-ce qu’il y a encore ?

— Le paquet que Zach a chourré à Karl, nous l’avons ouvert. C’est de l’Antelax. Ce truc te détruit bien comme il faut.

— Tu y as goûté ou quoi ? A moins que tu t’y connaisses aussi côté stupéfiant…

— Tu veux pas savoir, crois moi. Aujourd’hui encore, l’Antelax n’est pas encore au point. J’ai pas eu le temps de fouiller correctement, mais à priori, les recherches sont plus longues que prévu. La mère de Zach était bien trop optimiste quant à la mise rapide sur le marché.

— Ok, je vois. Ce paquet, vous en avez fait quoi ?

— Zach est parti à Bordeaux avec. Il compte le rendre à son propriétaire.

— C’est aussi simple que ça, sérieux ? Il est complètement barge ! Tu sais à qui ce paquet appartient ?

— C’est ce qui me reste à découvrir.

— Je te croyais plus compétent.

— Petit merdeux, va.

— Humour, Jérémie.

— Très drôle. Pour la peine, je te confisque les M&m's.

— Je ne sais pas comment j’arrive à faire de l’humour avec tout ce bordel. En attendant, je t’ai bien eu, et toc !

— Si ça peut te faire plaisir… Le train est dans une heure, si tu veux prendre une douche et manger un petit encas avant, il ne faudrait pas trop tarder.

— Oui, tu as raison.

— Une dernière chose. Que ce soit bien clair : ni toi, ni Zach n’êtes de taille à affronter qui que ce soit dans cette affaire. Ne cherchez pas à en savoir plus et encore moins à vouloir régler le problème par vous-mêmes. C’est trop dangereux.

— Tu me dis ça à moi, alors que Zach est parti ? Pourquoi l'as-tu laissé filer, alors ?

— C’est une tête brûlée. J’ai beau être son ami, ce n’est pas pour autant qu’il m’écoute.

— Tu ferais mieux de changer mon billet de train pour que j’aille à Bordeaux essayer de la raisonner…

— Non, certainement pas. Respectons son choix. Retourne à Mezange, et éclates toi à la manif, il vaut mieux.

— J’ai vraiment pas le cœur à ça.

— Fais un effort, Pierrette saura te donner l’énergie nécessaire pour te changer les idées.

— Sans oublier qu’elle ne sera pas seule.

— J’ai cru comprendre. Je vous tiendrai au courant dès que j’en saurai plus. On reste en contact bien évidemment. J’ai filé un nouveau téléphone à Zach, voici son numéro.

— Comment te remercier ?

— En prenant soin de lui quand il vous rejoindra, ça devrait être dans tes cordes.

— Avec tout ce que tu m’as dit, pas sûr que je le revois un jour.

— Evidemment que tu vas le revoir, idiot !

— Comment tu peux en être sûr ? J’ai bien l’impression qu’il vient de se jeter dans la gueule du loup.

— Pas de scénario alarmiste, ok ?

— Je vais essayer.

— Très bien, je compte sur toi.

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