La fin du voyage

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Qu'est-ce qui m'a pris ? Allez Zach arrête de te mentir, tu le sais très bien. Il fallait juste un petit coup de pouce du destin. Finalement, je devrais remercier cet abruti de Roger. Sans le savoir, il m'a permis d'ouvrir les yeux. Manu est tout sauf un pote. Il est tellement plus. Le charmant capitaine de volley me fait ressentir des choses qu'aucun autre n'a su provoquer en moi. Quand je suis à ses côtés, même en cette période très agitée voire complètement barrée, je me sens à ma place.

Déjà pour mon anniversaire, nous avions échangé un baiser. Quelque chose d'étrange s'était produit. J’ai prétendu que le mélange beuh et alcool était sûrement responsable de cette agréable sensation de vertige que j’ai ressenti. Mon corps avait été pris de frissons. À l'intérieur de moi tout pulsait à cent à l'heure. Je mourrais d'envie de stopper le temps pour profiter pleinement de l'instant. Cela aurait pu être le cas si nous n'avions pas été dérangés. Puis, les connexions dans mon cerveau se sont rétablies. Par respect pour Géraldine, je ne pouvais pas la planter. En y réfléchissant, j'avais surtout peur de laisser de faux espoirs à Manu et ça aurait été pire que tout.

Cette nuit, j'ouvre enfin les yeux sur ce que mon cerveau a occulté parce qu'il était trop con. Oui les filles me plaisent, leur corps ne me laisse pas indifférent. Mais là, c'est tout de lui qui m'attire. Je n'arrive pas à décrocher mon regard de ses lèvres. Celle sur lesquelles, je suis venu m'égarer. Il a ce don essentiel, celui de me voler un sourire à chaque fois qu'il me rassure quand je suis au plus mal. Nous poursuivons notre route en direction de l'appartement. Depuis que je l'ai embrassé, il est tétanisé pendant que je suis mécaniquement Jérémie sans parler. Mon best plaisante avec Maël, j'entends leur voix sans comprendre le moindre mot. Je ne perçois plus la voix de Manu comme s'il s'était évaporé. Manu parle-t-il ? J'espère que je n'ai pas merdé. Après tout, mon geste était stupide, il ne voulait peut-être que je l'embrasse. Clairement, il ne m'a pas repoussé. Pourquoi reste-il muet ? J'ai bien senti ses lèvres brûlantes sur les miennes. Nos langues se sont mêlées, un bref instant. J'aurais voulu que ça dure une éternité.

Arrivés à l'appartement, je n'en crois pas mes yeux de la façon dont Jérémie déverrouille l'entrée. Il m'impressionne. Il en a fait du chemin depuis la cour de récré. Il assure, je suis fier de lui. Manu n'a toujours pas décroché un mot. Je commence sérieusement à m'inquiéter et tente de m'approcher de lui pour discuter. Mais Maël me devance.

— Manu, on va le mater ce James Bond ?

— Attends Manu, on peut parler, dis-je avant qu'il file.

— Plus tard, si ça t'embête pas.

— Ok, si tu veux, dis-je en frôlant sa main.

Ils se jettent tous les deux sur le canapé. Maël attrape la télécommande et cherche le programme. De notre côté, avec Jérémie, nous nous installons devant son ordinateur. Nous consultons quelques documents. Il a trouvé des rapports sur l'enquête concernant l'assassinat de ma mère. La lecture du dernier papier est un coup de poing en plein ventre. Un goût acide remonte le long de mon oesophage. Mes poings se serrent. Il me faut de l'air. Je me lève pour sortir. En passant devant le canapé, je réalise que Manu s'est endormi. Avant que je ne m'échappe, Jérémy me fait signe de venir rapidement le rejoindre.

Je reste scotché devant l'annonce qui défile en boucle. Un règlement de compte entre dealers a fait deux morts et un blessé dans un état grave. Jérémie se met en action et après quelques minutes obtient les noms des victimes. En voyant apparaître le dernier, mes neurones se mettent en pause. C'est le vide absolu.

— Zach, tu n'y es pour rien, me dit-il en posant sa main sur la mienne.

— Je sais mais quand même.

— Écoute, c'est fait. On ne peut plus rien faire.

— Mais…

— Non ne dit rien. Dis toi que tu vas pouvoir passer à autre chose.

— Jérémie, rends moi encore un service, dis-je en ne quittant pas son regard.

— Qu'est-ce que tu vas faire ?

— Ce que j'aurais dû ne pas faire.

— Tu entends quoi par là ?

— Je file, je rentre à Bordeaux.

— Tu déconnes, n'y vas pas. Tu vas te foutre dans les emmerdes.

— Si c'est le cas, tant pis. Et si nécessaire ,vous viendrez me délivrer.

— Tu sais qu'on n'est pas dans un jeu ? me dit-il en me secouant.

— Oh dis, ne te sers pas de ma réplique.

— Qu'est-ce que je vais dire à Manu ?

— Donne-moi un papier et un crayon. Je m'en charge.

Pendant que j'écris un mot à Manu, Jérémie de son côté réserve un billet comme je lui ai demandé. Je glisse les deux dans une enveloppe et la pose sur la table avec celle que j'ai prise dans la boîte à gant de la BMW. Je récupère mon sac à dos et Jérémie me raccompagne jusqu'à ma voiture que j'ai laissé sur le parking proche du port. Le trajet se fait dans le silence. La ville est d'un calme absolu.

— Tu es vraiment sûr ? me dit Jérémie en attrapant mon bras.

— Oui, je pense que je n'ai jamais été autant sûr de moi.

— Et pour Manu ?

— Tu veux dire quoi ?

— Le baiser, c'était juste un coup chaud ?

— Non et c'est aussi pour ça que je pars.

— Je ne comprends pas là.

— Il n'y a pas grand chose à comprendre. Si je veux envisager mon avenir, je dois rendre ce paquet. Sans ma connerie, Karl, il ne serait pas mort ce soir.

— Dans ce cas-là, je suis tout autant responsable, je te rappelle que c'est moi qui l'ai envoyé dans une mauvaise direction.

— T'as rien à voir avec ça, dis-je pour le rassurer à mon tour.

— Il te cherchait, je devais l'éloigner de toi.

— Je sais, je comprends, dis-je en le serrant fort dans mes bras. On se revoit vite. Promis.

— Ok, pas de promesse en l'air.

— Non, jamais de la vie, tu me connais.

— Oui, mais pour le coup on vient juste de se retrouver.

— C'est pour ça que si j'ai besoin d'aide tu seras toujours là pour moi comme je le serai pour toi.

— Tiens un portable, j'ai mis deux numéros Manu et le mien.

— Merci pour tout, Jerem. Bon. Allez, il faut que j'y aille.

Je pose un baiser sur son front. Ouvre la portière et m'engouffre dans la coccinelle. Je démarre. J'espère qu'Étienne ne m'en voudra pas de l'avoir conservée encore quelques heures. Je fais un dernier signe à Jérémie et accélère. J'ai conscience qu'il se fait du souci mais je n'ai plus le choix. Je sais que dans tous les cas, il me retrouvera. Il est trop malin. Je décide de prendre l'autoroute. Je veux arriver avant le lever du jour à Bordeaux. Hors de questions de croiser qui que ce soit une fois sur place. J'en profiterai aussi pour passer voir mon père. Il faut que je lui parle. Les premiers kilomètres défilent. Je refais le fil de la journée jusqu'au baiser. J'ai encore le goût des lèvres de Manu sur les miennes. Mes doigts pianotent sur le volant, j'ai mis la playlist qu'il m'a offert pour mon anniversaire. Des tas d'images me reviennent en mémoire. Tous ces moments que nous avons partagés, à la cabane, sur la plage et tout un tas de petits instants qui prennent plus de sens et de place dans mon subconscient. J'espère que je vais pouvoir me débarrasser de ce paquet et passer à autre chose. C'est la première fois depuis la mort de ma mère que j'ai envie de me projeter. J'entrouvre la fenêtre pour me maintenir éveillé. Une nuit blanche n'est pas sans risque. Il vaut mieux que je me montre discret, si je viens à me faire contrôler par les flics, ce sera pour moi la fin du voyage.

Manu,

Je pourrais t'écrire des pages et des pages. J'ai tout un tas de choses à te dire. Parfois la vie nous enlève un bout de nous à l'angle d'une rue. Puis on suit un nouveau chemin et on croise quelqu'un qui change totalement notre vision des choses. Pour l'heure, je dois rentrer à Bordeaux. Il faut que je parle à mon père, m'assurer que tout va bien pour lui et le rassurer. Les évènements de la nuit ont précipité mon choix. Jérémie te racontera ce qu'il en est. Je n'ai pas eu le courage de te réveiller. Pardonne moi. Ne va pas imaginer une seule seconde que je t’ai abandonné. Je ne pourrai jamais te faire ça. Je t'ai laissé un billet de train pour Mézange. Jérémie te posera à la gare en fin de matinée. Je préviendrai Grandma que tu arrives et Étienne te récupérera. Ils prendront soin de toi et tu seras en sécurité. Eh oui, je t'entends me dire que tu es un grand et que tu sais t'occuper de toi. Je l'ai toujours su. C'est moi qui aie le plus besoin de toi. Je te retrouverai. Attends-moi.

Zach.

PS : Je t'ai posé le dossier qui se trouvait dans la boîte à gant à côté de ton sac. Je te laisse te faire ta propre opinion…

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