La cabane des Pinèdes

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Je me suis réfugié dans la cabane des Pinèdes. Ici au moins, je suis au calme. Dès notre arrivée, Pierrette a senti que j’avais la tête ailleurs. Elle a essayé de me tirer les vers du nez, mais devant mon refus de coopérer, elle a fini par capituler. Quant à Etienne, il a préféré me laisser tranquille. J’espère que je ne l’ai pas trop vexé.

Pour l’instant me tenir à distance de l’effervescence qui règne dans la maison me convient très bien. Comme m’a dit mon psy, ce besoin de me retrouver seul est un autre signe des hypersensibles. J’ai longtemps culpabilisé d’apprécier de rester seul chez moi, au lieu d’aller à toutes les sorties que mes potes me proposaient. Aujourd’hui, plus que jamais, je prends conscience que ce moment de refuge m’est indispensable pour être disponible aux autres par la suite. Demain, la foule de la manifestation de Mézange aura raison de moi. A moi de me ressourcer à bloc.

Le livre de Max et les maximonstres est là où nous l’avons laissé, sur la table basse. A côté, Le Petit Marcel que j’avais déniché dans la boîte à livres de Gastes. Je me demande si Zach l’a lu. Je feuillette quelques pages au hasard. Ouais, pas mal, ça m’a l’air tout de même être un roman à l’eau de rose, mais je me trompe, qui sait.

Je regarde tout autour de moi. Zach a dû passer des heures ici à jouer ou lire. Je passe en revue ses bouquins. Un tas de bandes dessinées d’Astérix, je ne savais pas que Zach était fan. Tiens, un livre de poche parmi eux ! Le Petit Prince. Vu son état, celui-ci a été lu et relu. Je m’en saisis et m’installe dans le canapé. Sur la première page, une dédicace “Pour mon petit prince que j’aime, signé, Maman”. Je tourne la suivante et commence la lecture : Lorsque j’avais six ans j’ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Forêt Vierge qui s’appelait « Histoires Vécues ».

Absorbé par ma lecture, je ne fais pas tout de suite attention à la feuille tombée à mes pieds. Je la déplie, c’est une lettre manuscrite. Je sais que je ne devrais pas la lire, mais c’est plus fort que moi. Que fait-elle ici ?

Mon chéri,

Quand tu trouveras cette lettre, essaye de ne pas m’en vouloir. Je suis la seule responsable de mes choix. Je sais au plus profond de moi qu’elle ne sert pas à grand-chose, si ce n’est soulager une partie de ma conscience. J’aurais aimé ne jamais avoir à l’écrire, mais aujourd’hui, il m’est impossible de me taire plus longtemps. J’ai trop longtemps repoussé ce moment.

Il s’agit de mon travail à l’hôpital. Je me suis retrouvée malgré moi dans une affaire bien sombre. Tu sais mon engagement sans faille auprès des malades et depuis plus de deux ans mon investissement dans ce laboratoire dont je vous rabats les oreilles à tous les deux, sans pouvoir vous dire quoi que ce soit, secret professionnel oblige.

Je suis entourée d’une équipe de chercheurs dont la passion et le dévouement m’impressionnent. Le produit térapeuthique sur lequel nous misons tous nos espoirs obtient enfin des résultats spectaculaires. Nous croisons les doigts pour que ce futur médicament soit mis sur le marché dans les deux ans qui viennent, voire un si nous avons de la chance.

Ce produit est à base de cannabis, un calmant très efficace pour nos patients. Mais, une nouvelle drogue pour les dealers. Si je te dis ça aussi crument, c’est que ce produit ressemble à de l’herbe mais sans odeur (je l’ai testé avec Anouchka qui n'en a jamais perçu l'existence).

Malheureusement, depuis quelques mois, j’ai remarqué que plusieurs doses de ce produit s’évaporaient de nos réfrigérateurs pourtant sécurisés. Au début, j’ai cru à un mauvais calcul de ma part, mais aujourd’hui, il n’y a plus aucun doute. Les vols se passent la nuit, quelqu'un a forcément accès à nos structures. Il n'y a aucune infraction. Un exemple : en arrivant pour ma garde de nuit, j'ai trouvé la porte ouverte alors que je suis la seule à avoir la badge d'accès.

Il est évident que des personnes cherchent à mettre à mal nos recherches. Je crains que les “voleurs” aient trouvé une façon bien plus lucrative d’exploiter notre produit, quitte à mettre des vies en danger. J’ai tenté d’alerter mes collègues, en vain. Aucun succès auprès de la direction. Elle a feint de ne pas comprendre. Alors j’ai décidé de constituer tout un dossier de preuves pour étayer ce que j’affirme.

Les dernières ont confirmé mes craintes. Régulièrement, des doses disparaissent, et à chaque fois, une somme d'argent tombe dans les caisses du chef de l'hôpital. Pour passer inaperçu, il le met dans la colonne frais d'entretien. J'ai demandé à Monsieur Campos. Il m'a confirmé qu'il n'y avait aucun investissement récent dans son secteur. Il s'agit là de fausses factures. Je ne sais pas si tout cela peut suffir pour ouvrir une enquête.

Je tiens à te préciser que pour l’heure, le seul qui croit à mon histoire est monsieur Campos que tu connais bien. Mais comme moi, il commence à avoir peur et ne cesse de me répéter qu’on ne peut rien faire. Il m’a fait jurer d’arrêter mon enquête, mais c’est mal me connaître. Je n'ai pas lâché l'affaire, même si je me rends compte que je commence à déranger sérieusement.

Je sais déjà que cette fois-ci, tu vas vraiment m’en vouloir. Mais si je ne fais pas ce que mon coeur me dicte, je m’en voudrais toute ma vie. En arrivant à ma dernière garde de nuit, j'ai trouvé une nouvelle fois la porte ouverte. Un homme plutôt costaud m'a bousculé. Je n’ai pas vu son visage. J'ai juste eu le temps d'apercevoir une partie de son tatouage sur le bras. Je laisse un dessin peut être que cela pourra être utile. J'ai bien songé me rendre au commissariat mais là encore, je crains qu'on me prenne pour une folle.

Une dernière chose à te dire. Derrière ce vol, il y a un homme puissant et personne pour le dénoncer. De toute façon, la parole d'une infirmière n'a pas de poids face à celle d'un homme politique en campagne pour le poste de maire. Pourquoi je te dis ça ? Parce que depuis le début de ma lettre, je suis incapable d’aller à l’essentiel. J’ai longtemps hésité à te parler de cet homme. Je tremble rien en écrivant son nom : Francis Courtois. Il est impliqué dans toute cette affaire. Je manque de preuve, mais je suis intimement persuadée que c’est lui qui tire les ficelles. Aujoud’hui, il est intouchable. Mais demain, qui sait…

Demain soir, je serai de nouveau de garde. Je me tiendrais prête à accueillir le voleur s’il revient. J’ai un plan. Sois tranquille, j’ai pris toutes mes précautions. Je sais que demain matin, quand je franchirais la porte de l'appartement c'est ton sourire qui m'accueillera. Tu me prendras dans tes bras.

Je t'aime.

Stella.

P.S. Si d’aventures j’échoue et que je me retrouve en prison ou pire que je disparaisse (je sais, je suis si mélodramatique parfois), je t’en supplie, ne parle pas de cette lettre à Zach. Même si je le sens déjà fort et mature pour son âge, ses épaules sont encore trop jeunes pour porter ce lourd secret. Il a encore toute sa vie devant lui. Alors, fais-moi la promesse (je sais c’est ridicule de te le demander, j’ai confiance en toi), continue à prendre soin de lui comme tu as toujours su le faire depuis ces quinze années que nous avons passées avec lui.

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