Terreurs nocturnes

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Une présence, une ombre. Je me retourne. Personne. La rue est déserte. Un bruit de porte. Une voix. Je sursaute. Stoppe net. Un homme sur le trottoir d'en face. Une voiture ralentit. Des phares m'aveuglent. Putain Zach, réveille toi. Réagis. Une main sur mon épaule. Une lame dans mon dos. Prisonnier. Aucune issue. Le balafré s'avance. Je recule. La pointe s'enfonce. Son tatouage. Un frisson. Un vent glacial. L'odeur du sang. Une violente douleur. Je flotte entre deux mondes. Ma tête fait des va-et-vient. Mes paupières clignotent. Le paysage s'efface. Des images défilent. Le brouillard. Des ombres se mêlent et m'encerclent. Les fantômes de mes cauchemars surgissent. Je ne contrôle plus rien. Mes battements de cœur font des bonds. Mes mains tremblent. Le monstre à la double tête de mort m'entoure de ses bras. Il essaye de me faire avaler sa merde. Ça pulse de tous les côtés. Je perds pied. Une main sur ma bouche. Ses doigts sur mes lèvres. Je n'ai plus d'air. Je me débats. Il enfonce la lame. L'acier se fraye un chemin dans ma chaire. Même mode opératoire que pour ma mère. Je le hais. Je me déteste. Mes forces m'abandonnent. Je voudrais hurler.

— Zach, réveille-toi. C'est fini. Je suis là, dit une voix dans le lointain.

J'entends sa voix chaude. Ses mains douces effleurent ma peau. Ses doigts caressent mes cheveux. Le soleil cède sa place à la lune. À son tour, l'astre opalin se reflète sur la mer, ses rayons argentés se diluent dans le bleu. Le ciel se remplit d'étoiles scintillantes. Allongé sur ma serviette, j'observe le spectacle. Les lumières s'allument les unes après les autres. Elles sont accompagnées par la douce mélodie des vagues qui s'échouent sur le sable. Manu est nu, allongé à mes côtés. Son souffle dans mon cou m'apaise. Je me sens libre. Je dépose un baiser sur sa joue. Il me sourit. Nos doigts se mêlent. Je me sens bien.

— Zach, tu m'entends.

Le ciel s'assombrit. Les nuages avalent la lune. L'océan s'agite. Les vagues claquent sur les récifs. L'orage au loin gronde. Un bruit assourdissant. Une deuxième onde. Le vent gifle nos corps. Les éclairs zèbrent l'horizon. Les pins se plient à chaque bourrasque. Le sable vole dans nos yeux. Deux mains saisissent Manu. Il crie, surpris. Un homme le pousse violemment. Il s'écroule à genou. Un premier coup de pied. Il se plie en deux. Un coup de poing. Un filet de sang au coin de sa lèvre. Il est à sa merci. Je suis incapable de bouger. Il lui enfonce la tête dans l'eau. Je rampe. Une main me retient. Rôle inversé. À mon tour de ramasser. L'autre maintient Manu au sol. Une main sur sa bouche. À cheval sur lui. Il a ouvert sa braguette. Nooooon.

— Zach, respire.

Je me débats. Je veux me libérer de ces mains qui me maintiennent solidement. Je dois sauver Manu. Mes poings se serrent, prêts à distribuer les coups. Je ne peux pas rester sans rien faire. Je ne vais pas abandonner Manu dans ses griffes. Hors de question qu'il touche à un de ses cheveux et encore moins qu'il viole son être.

— Putain lâche moi connard, crié-je en me débattant.

Je ne sens plus sa présence. Je viens de me libérer du poids qui écrasait ma poitrine. Tout est sombre. Manu n'est plus là. À nouveau, c'est le vide. Puis, j'entends une voix rassurante.

Mes yeux s'ouvrent. Mes paupières se décollent. Des larmes inondent mes joues. J'ai très froid puis très chaud. Tout mon corps tremble. Je ne sais plus où je suis, ce que je fais. Le soleil chauffe mes joues. Un pic vert tambourine sur le tronc d'un chêne. La mélodie fait écho à mon mal de tête. J'entends le doux bruit de l'eau. À nouveau une voix m'appelle. Je lutte pour ne pas m’endormir. Pourtant je suis épuisé.

— Papa, tu es là ?

Il m'attrape dans ses bras et me sert contre lui. Nous sommes sur l'aire de Gastes, assis dans l'herbe. La coccinelle d'Etienne est garée juste à côté de la cabine à livres. Ça y est, je me souviens. Je rembobine le film. Les images défilent au ralenti. Je suis arrivé sur le parking du lycée. Joseph m'attendait. J'ai sauté dans la voiture et lui ai dit de foncer. Je l'ai même supplié de rouler plus vite. Il s'est exécuté sans me poser de question. Nous avons rejoint l'autoroute. J'ai passé mon temps à scruter dans le rétroviseur. Je voulais m'assurer que personne n'était à nos trousses. J'ai eu l'impression de revivre la même scène à une semaine d'intervalle. Un remake d'un jour sans fin. Une seule différence : mon père a pris la place de Manu. Éreinté, je me suis endormi. Je ne me rappelle jamais du contenu de mes crises de somnambulisme. Là, les images sont claires dans mon esprit. Je pourrais détailler chaque moment tellement ils m'ont paru réel.

— Zach, ce n'était qu'un cauchemar, dit mon père désolé. Tu bougeais dans tous les sens, tu criais, tes mains frappaient dans le vide. Je me suis arrêté sur ce parking comme quand tu étais enfant. Petit, à peine parti de Bordeaux, tu dormais et sans explication, au même endroit tu faisais un cauchemar. Alors maman me demandait de m'arrêter sur ce parking. Elle te prenait dans ses bras et nous marchions sur la plage. Tu te réveillais en douceur au soleil levant. En grandissant, les crises se sont estompées mais Stella a voulu que nous gardions cette aire de repos comme point de chute. Elle est devenue un refuge.

J'écoute mon père avec attention. J'ai tellement peur d'oublier ma mère, de voir son visage s'effacer de ma mémoire. Son dernier sourire baigne dans mes mains ensanglantées. Je voudrais enlever cette scène d'horreur que je viens de prendre de plein fouet cette nuit. Comment peut-il être libre de continuer de vivre comme s'il n'avait pas ôter la vie ?

— Papa, j'ai vu l'homme qui a tué maman.

Un silence accompagne ma déclaration.

— Dans ton cauchemar ?

— Non, à l'hôpital.

— À l'hôpital. C'est là que tu t'es rendu ? demande-t-il, surpris.

— Oui, je devais reposer les doses que Karl avait volées.

— Dis-moi que…

— Non, ils étaient deux. Les deux même que j'ai croisé dans l'appartement, la semaine dernière. Le balafré et un autre. Je n'aurai pas fait le poids, ils m'auraient massacré. Le week-end dernier, ils ont juste voulu nous faire peur, cette fois ils n'auraient pas hésité à se débarrasser de moi.

— Tu penses qu'ils t'ont vu ?

— Non, je ne crois pas.

— Zach, il faut que tu ailles à la police pour tout leur raconter, me supplie-t-il.

— Je ne peux pas.

— Je ne comprends pas.

— Le père de Manu est impliqué.

Joseph me regarde, cherchant des réponses aux questions qui se bousculent dans sa tête.

— Tu veux dire qu'il a un rapport avec le meutre de ta mère ? me demande-t-il navré.

C'est la première fois que je l'entends ainsi parler de la mort de maman. Jusqu'à maintenant, il s'est persuadé qu'il ne s'agissait que d'un accident : un vol à la tire qui aurait mal tourné. Le coupable n'avait pas été retrouvé, aucune trace, aucune empreinte. Ce manque de preuve aurait dû alerter les flics. Sans témoin, l'affaire a été classée.

— Maintenant, tu sais tout, dis-je avec regret.

— Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ? Tu sais que tu peux tout me dire.

— J'étais perdu, désespéré, je ne voulais pas que tu t'inquiètes. J'avais peur qu'ils s'en prennent à toi. Maman venait de mourir dans mes bras. Tu aurais voulu à ton tour savoir la vérité. Je n'aurai pas supporté de te perdre. Je me serai retrouvé tout seul. J'étais insouciant. Personne ne se méfie d'un ado qui mène une enquête. Pour les trafiquants, j’étais un jeune parmi tant d'autres, qui cherchait un peu de beuh. Je ne sais pas. Je n'ai pas réfléchi tout simplement. Pardon papa, j'ai fait n'importe quoi.

— Manu est au courant ?

— À cette heure, je pense.

— Qu'est-ce que tu envisages ?

— Avant tout, j'ai besoin de le retrouver.

— Zach, deux questions avant de reprendre la route.

— Je t'écoute.

— Est-ce que tu fumes cette cochonnerie ?

— Oui. J’en ai eu besoin à la mort de maman pour me vider la tête. C'est la seule façon que j'ai trouvé pour me sentir bien. Je sais, c'est débile.

— Et Manu dans tout ça ?

— Pour Manu : Joker.

Mon père ne cherche pas à en savoir plus, il me tend les clés et me dit avec tendresse :

— Allez roule, Mezange nous attend.

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