The mystery of love

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Je profite d’être seul dans la cabane pour terminer Romance. Je relis la dernière page, je suis encore sous le coup de l’émotion. Quel super bouquin ! J’ai adoré, malgré cette fin à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Une ombre de tristesse s’immisce en moi. Encore une histoire d’amour compliquée. Celle-ci m’émeut particulièrement parce qu’elle fait incroyablement écho à ce que je vis depuis une semaine.

Je voudrais couper court à mon humeur vacillante, mais je me connais. Dans ces cas-là, j’ai la fâcheuse habitude de faire l’inverse et de prolonger cette humeur parce qu’elle me fait autant de bien que doucement mal.

Mes écouteurs sur les oreilles, je m’avachi sur le canapé, la musique démarre.

Oh, to see without my eyes

The first time that you kissed me

Boundless by the time I cried

I built your walls around me

White noise, what an awful sound

Fumbling by Rogue River

Feel my feet above the ground

Hand of God, deliver me

Oh, oh woe-oh-woah is me

The first time that you touched me

Oh, will wonders ever cease?

Blessed be the mystery of love

J’ai des frissons à chaque fois que j’écoute cette chanson. Je laisse mes yeux se fermer pour m’immerger totalement et me laisse gagner par l’émotion que me procure la voix de Sufjan Stevens. Je suis totalement in love de ce chanteur.

— Manu, réveille-toi !

Étienne me sourit. On voit clairement qu’il a pleuré.

— C’est déjà l’heure de dîner ? Désolé, j’ai pas vu l’heure. Ça va… ?

Celui-ci s’affale à mes côtés et me répond en tournant son pouce en bas.

— Tu me fais écouter ?

Je lui file un de mes écouteurs.

— Je te préviens, perso, je chiale à chaque fois.

Quel con, je le fais exprès ou quoi ? Etienne me regarde, le sourire triste. J’appuie sur play. Nous écoutons religieusement les quatre minutes du morceau sans dire un mot.

— Merci l’ami. Visions of Gideon de Sufjan Stevens. C’est trop beau.

— Tu connais ?

— Et comment je connais, je suis allé le voir en concert à Paris, il y a quelques années déjà, c’était dingue.

— Je veux bien te croire.

— Bon, et toi, raconte !

— Raconter quoi ?

— Quand on écoute Sufjian Stevens, c’est qu’on est amoureux. Et vu ta tronche, tu penses forcément à lui, je me trompe ?

— Il m’a embrassé.

— Naaaan ! Je veux tous les détails.

— Oublie.

— Méchant, va. J’insiste pas, t’as bien de la chance. En tous cas, j’avais un bon feeling pour vous deux, non ?

— Sauf qu’après m’avoir embrassé, il s’est tiré juste après. Depuis plus de nouvelles.

— Outch. Vraiment pas cool. Moi, c’est pareil avec Oscar, plus de nouvelles. Je sais que je dis ça à chaque fois, mais cette fois-ci, je sais que c’est définitivement mort. Je ne sais pas comment on va réussir à s’adresser la parole demain sans s'engueuler. J’ai envie de tout plaquer et de me casser loin d’ici.

— Sois pas bête, tu ne vas pas faire une chose pareille, tout le monde compte sur toi !

— Sauf que là, tu vois, j’en ai vraiment assez de porter tout le monde. Je ne suis pas un surhomme.

— Ça me rappelle moi, l’année dernière au volley. A la fin, je n’étais pas mécontent de rendre ma casquette de capitaine de l’équipe.

— Encore un point commun, nous deux. C’est vraiment dommage.

— Comment ça dommage ?

— Que tu ne sois pas dispo.

— Arrête, je t’ai déjà dis que…

— Nan, mais c’est bon, je dis ça parce que la chanson m’a rendu mélancolique, comme si j’avais besoin de ça en ce moment. Quand je suis dans ce mood, il me manque bien souvent une épaule sur laquelle me poser. Tu permets ?

Je le regarde droit dans les yeux. Je ne sais pas pourquoi, mais je réalise que depuis que j’ai rencontré ce garçon, il y a cette connexion si unique, si particulière.

— Promis Manu, j’abuserais pas.

Je me déplace à l’autre bout du canapé et l’invite à poser sa tête sur mes genoux, afin qu’il puisse s’allonger.

— Tu seras mieux dans cette position. Comme ça, tu as tout le loisir de regarder le plafond et ses toiles d’araignée.

— T’es bête.

Je ne peux pas me l’expliquer, j’ai envie de prendre soin de lui. Je passe mes mains dans ses cheveux. Il n’a pas l’air surpris de mon geste. Il ferme déjà les yeux et se laisse bercer. Ce massage improvisé le détend. J’observe son visage fin, ses paupières délicates, son magnifique tatouage dans le cou. La chaleur de sa tête contre ma cuisse a une façon étrange de m’apaiser également. Sa mélancolie semble m’avoir contaminée. Il y a chez cet homme quelque chose de très doux. Je me sens bien avec lui. Tout paraît si simple, nous deux.

Le soleil a décliné. Un petit vent frais s’insinue dans la cabane. Nous restons un long moment à écouter le silence.

— Étienne, tu dors ?

— Oui, pourquoi ?

— Il est déjà tard, Pierrette va se demander ce qu’on fait, non ? On n’a même pas dîner.

— Elle voulait se coucher tôt ce soir pour être en forme demain. Je lui ai dit que je m’occupais de toi.

— Je vois ça… dis-je.

— Qu’est-ce qu’il y a, pourquoi tu souris ?

— Pour rien.

— Menteur, allez dis-moi.

— Je le connais pas, mais je pense qu’Oscar est un idiot. Tu mérites quelqu’un qui t’aime pour ce que tu es vraiment.

Les yeux d’Etienne s’écarquillent légèrement.

— Ca fait une éternité que l’on ne m’avait pas dit quelque chose d’aussi gentil. Merci Manu. Tu vas me prendre pour un fou, mais j’ai l’impression que l’on se connaît toi et moi depuis longtemps, même si on vient juste de se rencontrer.

Mon coeur fait un bon. C’est plus fort que moi, je n’ai plus envie de réfléchir.

— J’abuse si je te dis que j’ai envie de t’embrasser ?

— Attends, je ne comprends plus rien. Et Zach, tu es sûr ?

Je me penche légèrement et dépose un simple baiser sur ses lèvres. Il me regarde bizarrement.

— Pourquoi t’as fait ça, tu vas tout gâcher Manu…

— Je ne voulais pas avoir de regrets et être sûr.

— Sûr de quoi…?

— De ce que je ressens pour Zach.

— Et alors ?

— Désolé si je te donne l’impression de ne pas savoir ce que je veux.

— T’es encore plus bizarre que moi, mais je crois avoir compris le truc. Ce n’était qu’un simple baiser sans conséquence, dit-il ému. Un simple baiser réconfortant pour deux solitudes d’un soir.

Passé notre trouble, nous finissons doucement par nous lever l’un après l’autre. Nous retournons dans la maison de Pierrette. La cuisine ainsi que le salon sont rangés de manière impeccable. Il règne un silence absolu, hormis le tic tac de la grosse pendule que je n’avais pas vu jusqu’ici. Etienne me propose d’aller chercher une pizza à emporter. Je n’ai pas très faim, lui non plus finalement. Nous tombons d’accord pour aller faire un tour du côté de la plage. Je grimpe à l’étage récupérer mon sweat pour me protéger du froid.

Assis dans le sable, nous nous blottissons l’un contre l’autre et écoutons le bruit des vagues dans laquelle la lune se reflète par endroit. Notre communion avec cette douce nuit arrive à point nommé. Même si je sais qu’il ne nous sert à rien de nous projeter dans la journée de demain, je sens qu’elle ne sera pas de tout repos.

Nos portables vibrent tous les deux au même instant.

— Texto d’Oscar. Il s’excuse de son comportement à la gare.

— C’est une bonne nouvelle, non ?

— Pour ça oui. Sauf qu’il me dit juste après que cette fois-ci, c’est bel et bien fini entre nous.

— Je suis désolé, vraiment.

— Je m’y attendais. Je vais pouvoir passer à autre chose. C’est peut-être pas plus mal, finalement.

— Tu es triste ?

— Je ne crois plus. Heureusement que tu es là. Et toi, un message de Zach ?

— Non, celui d’un ami de Royan chez qui je suis allé dimanche dernier quand j’ai pété un cable.

— Tu as de la chance d’avoir cet ami à qui te confier. Depuis que je suis venu m’installer en province, je n’ai plus personne à qui je peux vraiment parler de choses persos.

— Vraiment ? dis-je en lui prenant la main.

— Tu crois que c’est possible l’amitié entre deux pédés ?

— Arrête de faire l’idiot. Tu m’en veux pour le baiser ?

— Non, toi au moins, tu as osé. Sujet clos. Alors, bon, je reformule. Tu crois que c’est possible l’amitié entre nous ?

— Oui, Etienne.

Malgré l’obscurité, je devine l’émotion vive dans son regard. Il resserre tendrement ma main.

— Je suis infiniment reconnaissant à l’univers de l’avoir rencontré, Manu.

— Moi aussi…On en fait des caisses, non ?

Aussitôt, nous rions nerveusement.

— Allez, rentrons, une longue journée nous attend demain, me dit Etienne, en se levant.

Nous prenons tout de même le temps de revenir jusqu’à la maison en nous arrêtant quelques instants pour écouter les clapotis nocturnes de la rivière. Alors que je me dirige vers ma chambre, Etienne s’avance et vient m’enlacer de longues minutes. Nous nous souhaitons une bonne nuit, mais au moment de retrouver mon lit superposé, il me retient par le bras. Il vient me chuchoter quelques mots à l’oreille. Je cède à sa proposition parce qu’un besoin immense de tendresse m’envahit et surtout parce que les choses sont claires entre nous désormais.

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