I will survive

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J'étais à deux doigts du bouquet final. Des bulles pétillaient dans mon ventre. La belle bleue, la belle rouge s'étalait en début du feu d’artifice, un arc-en-ciel se dessinait pendant une pluie d'été, des étoiles brillaient dans mes yeux sous un clair de lune, un goût sucré s'étalait sur mes lèvres, une chaleur lente se diffusait. Je lâchais prise, grisé par cette agréable sensation. J'étais divinement bien. Putain, qui a éteint la lumière ?

Camille. Je t'adore mais tu es arrivée au plus mauvais moment. J'étais sur le point de découvrir ce que mon cœur me crie depuis mon anniversaire, j’entends ce murmure remonter. J'étais prêt à tout lui livrer. Je ne peux plus ignorer le désir qui m'envahit. Eh bien si, une fois de plus le contact est rompu. Je m'éloigne, reprends de la distance. Manu ne va rien comprendre.

— Manu, je suis désolé. Ça y est, je passe mon temps à m'excuser. Il y a quelque chose qui a changé et je crois que …

Mes mots tombent dans le vide. Étienne apparu de nul part, attrape la main de Manu et l'entraîne vers la maison. On n'y arrivera pas. Le monde se ligue contre nous. Quand ce n’est pas Olivier et Cédric qui font chier avec leurs conneries parce qu'ils sont jaloux de nous voir passer du temps ensemble. C'est au tour de Camille et d'Étienne de venir casser le mouve. Sans vraiment le vouloir, ils nous ont stoppé net dans notre élan. Et si ce n'était pas le bon moment ? Si les étoiles n'étaient pas alignées ? Si c'était moi qui faisait tout foirer ? Ça y est de nouveau j'empile les "si". Ce n'est que partie remise, parce que maintenant je n'ai plus aucun doute. J'ai Manu dans la peau. Quand il est à mes côtés, il me fait me sentir être un meilleur gars. Quand nos mains s'effleurent, je frissonne. Quand il est dans les parages, je souris. Quand il me regarde, je perds tous mes moyens. Une belle brochette de "quand", et oui quand je serai grand, je serai libre de mes choix. Parfois, il ne faut pas chercher d'explications, il faut se laisser porter. Parfois, il faut ouvrir les yeux et découvrir que le meilleur de nous est juste à portée de main. Parfois il faut les fermer et ressentir la chaleur d'un baiser nous envelopper. Après les "si"et les "quand", j'additionne les "parfois".

— Zach, je suis désolée, me dit Camille qui est revenue sur ses pas.

Je suis assis sur la balancelle, seul, comme un con.

— T'inquiète Camille, pas grave. C'est peut-être mieux ainsi.

— Tu déconnes, je n'ai jamais vu cette lueur dans tes yeux. Toi, tu as un crush.

— Dis pas des bêtises.

— Arrête, ouvre tes putains d'yeux bleus, me dit-elle en me secouant.

— Qu'est-ce que tu entends par là ?

— Que tu es le seul à ne pas avoir vu que Manu est accro. Il te dévore des yeux dès que tu entre dans la pièce.

— T'es sûre ?

— Vous n’étiez pas en train de vous embrasser ?

Je la regarde, cherche mes mots et la bonne réponse. Elle se rapproche et vient sans que je m'y attende, plaquer ses lèvres contre les miennes.

— Camille, tu joues à quoi ? dis-je une fois la surprise passée.

Je la repousse délicatement et pose mes mains sur ses épaules.

— Alors ça t'a fait quoi ? me demande-t-elle.

Elle plante ses deux yeux verts dans les miens.

— Réponds-moi, insiste-t-elle.

Je ne sais pas ce qu'elle attend de moi.

— Rien, avoue, tu n'as rien ressenti ?

— Ben non, dis-je bêtement.

— Et avec Manu, c'était comment ?

— Magique, chaud, tout doux, agréable et sensuel.

Les mots sortent tout seul.

— Tu sais quoi, rattrape le et va le lui dire.

— Pas maintenant. Comme tu as dis, on nous attend. Pour l'heure, Grandma a plus besoin de nous.

*

Des gens arrivent de toute part. Les habitants du village ont répondu présent. La mobilisation est telle qu'un service d'ordre encadre le cortège. Le brouhaha bat son plein et remonte le long de la rue principale. Même les jours de bal, je n'ai jamais vu autant de monde. Ça grouille de partout. Étienne n'avait pas menti. TF1 ! BFM ! C'est la poigne d'enfer, pour savoir qui fera le buzz. Rien que pour ça, je ne regrette pas d'être sur cette place et les banderoles ne sont pas encore dépliées. Je suis persuadé qu'elles vont faire sensation au niveau des médias.

Manu a suivi Étienne et Oscar, ils lui ont demandé d'être avec eux à l'avant du cortège. Étienne a prétexté le fait que Manu l'avait aidé dans l'écriture du discours. De mon côté, avec Camille et Tony nous assurons les arrières. Nous voulons rester proches de nos grands-mères. Si nous devons intervenir, nous serons à même de les canaliser. J'espère que Pierrette a laissé la grosse artillerie à la maison. J’ai gardé un œil sur leurs faits et gestes. Mais j'étais un peu distrait, mon regard cherchait Manu en permanence. Je voulais avant tout m'assurer qu'il ne se retrouverait pas dans une position inconfortable. Les caméras seront braquées sur les leaders. Je me dis que nous devrions nous montrer plus discrets.

J'entends vaguement les premiers mots d'Étienne, il s'adresse à la foule impatiente. Il a l'air à l'aise dans son rôle de leader, monter au créneau est chez lui une seconde nature. Oscar lance le signal, la marche débute. Chacun y va de son slogan. Des banderoles gentilles "Touche pas à ma forêt, elle est trop belle" écrit par la maîtresse et ses élèves. Les enfants se sentent concernés. Ils agitent leur petit drapeau. Une fillette m'attrape la main et me regarde avec ses grands yeux verts. Elle me sourit et me tend un drapeau que j'accepte aussitôt. Je suis ému, sur le fanion elle a dessiné le Petit Prince debout sur un pin. Est-ce un signe ? Puis, elle rejoint sa maman en m'offrant un signe de la main.

Il y a bien sûr des banderoles plus cash : "Beauseigneur, prie pour ton âme" ou les must "Beauseigneur, si tu coupes nos arbres, nous, on te coupe les…" Même si les textes sont plus crus, il n'y a aucune violence dans les gestes. On penserait plus à une fête de village, bonne enfant qu'un véritable bataillon prêt à fondre sur les barricades. Par chance, ici pas de pavés pour détruire les vitrines. La place est le poumon du village où les habitants retrouvent les étales des commerçants au fil de la semaine. Aujourd'hui, ils sont tous présents. À leur manière, ils accompagnent le collectif. Le combat de Pierrette est tout autant le leur. Ils la connaissent tous et soulèveront des montagnes pour maintenir l'environnement dans son état naturel.

Près de la fontaine, le boucher gare sa roulotte. Derrière la façade en bois, se cache du matériel high-tech. Le primeur, lui, se contente d'une tente. Il la déplie trois fois par semaine en période estivale, seulement deux le reste de l'année. Il est le relais des agriculteurs du secteur. À chaque saison, sur son étalage, ni plus ni moins. Pas d'exotisme. Le poissonnier vient toujours faire un crochet le vendredi. Il distribue aussi les grands chefs du coin. Les produits frais débarquent du bateau pour la plus grande joie des réguliers. Le boulanger Bruno, avec sa 2CV et sa caravane, est le plus ancien. Il a repris l'affaire familiale et rapidement l'artisan est reparti sur les routes comme le faisait son grand-père avant lui. Il m'a expliqué son mode de production. Dans sa maison au bord de la forêt, il a aménagé dans son garage un four à bois. Il y façonne ses pains. Il a quelques clients qui se ravitaillent en direct. Il m'a confié qu'il préférait garder cette liberté d'aller de village en village. Cette façon de vivre lui permet de suffire à ses besoins.

Sur la place, ils ont chacun leur espace. Si les habitants veulent faire des courses plus importantes, ils se rendent à la ville la plus proche. Elle se trouve à peine à dix minutes. Je comprends mieux pourquoi ils souhaitent tous se battre pour maintenir ce havre de paix. Ils veulent défendre leurs valeurs.

Comment Beauseigneur a-t-il pu être élu ? Il a dû leur en promettre avec de beaux discours. Un vrai Picsou. Il est de la même veine que le père de Manu. Quant à mon cousin, il a vu là un bon moyen de se remplir les poches en installant son premier gros projet immobilier au détriment des braves gens résidant à Mezange. Pourquoi a-t-il autant changé ? Si je le croise, pas sûr que je sois capable de me contrôler.

— Zach, Grandma nous attend. Tout est ok ? me demande Camille.

— Où sont GrandMa et Mimie ?

— Oh, tu les connais, elles ne font rien comme tout le monde.

— Qu'est-ce que tu entends par là ?

Je regarde autour de moi et finis par les apercevoir. Pas possible. J'hallucine. Elles ont de ces idées. J'en suis persuadé, Mimie est l'investigatrice de ce plan. Elles sont assises sur un tracteur, Mimie aux manettes. Pierrette au micro :

"Tu croyais quoi

Que t'allais nous piétiner

Avec tes gros sabots.

Tu croyais quoi

Qu'on allait t'laisser

Détruire nos terres sans un mot.

Tu croyais quoi

Que tu pouvais nous amadouer

Avec tous tes cadeaux.

Parce que nous ne sommes pas tes bouffons

Nous ne céderons pas, nous ne sommes pas cons.

Tu pensais que nous plierions

À tes caprices mais jamais nous romprons.

Oh no, not I, We will survive".

Oh no, not I, We will survive est repris en chœur par tous les manifestants.

Étienne est toujours en tête de la manifestation, Manu à ses côtés. En plus des hygiaphones, la plupart des participants se sont munis de casseroles, de cuillères en bois et de crécelles, un joyeux tintamarre. Pour l'instant, les forces de l'ordre gardent un œil sur le déroulé sans intervenir. Une bonne chose. Je me cale proche du char pour m'assurer que nos grands-mères respectives ne s'égarent pas emportées par une poussée d'adrénaline. Camille et Tony sont de l'autre côté. Les caméras sont braquées sur le show.

C'était sans compter sur la bêtise humaine, tout à coup ça s'excite dans le fond. La nervosité gagne les rangs. D'après les informations que je glane à droite à gauche en remontant à contre courant, je réalise que les données ont évolué. Des casseurs se sont intégrés dans le groupe. J'accélère le pas, au passage je suggère aux mamans avec leur poussette de s’écarter du cortège. Un mouvement de foule serait catastrophique. Il est hors de question de mettre en danger les personnes présentes.

Stupeur. Une dizaine de mecs cagoulés surgit de nulle part. Ils s'en prennent aux forces de l'ordre en leur jetant tout ce qu'ils trouvent à portée de main. J'évite de justesse le couvercle d'une poubelle. Je presse le pas. Il faut que je fasse quelque chose. Oui mais quoi ? Je suis seul contre une bande mal attentionnée.

— Zach, qu'est-ce qui se passe ? me demande Camille qui m'a suivi.

— Camille, dégage.

— Hors de question.

— Reste pas là. Tony emmène la loin et demande aux derniers manifestants de se mettre à l'abri.

— Et toi ? demande Camille inquiète.

— Va prévenir Oscar et Étienne.

— Je ne comprends pas, me dit-elle perdue.

— Des casseurs se sont glissés dans la manifestation. Les forces de l'ordre vont riposter…

Pas le temps de finir ma phrase que les premiers gazs viennent me piquer les narines. Je pousse Camille et Tony pour les inciter à filer. Je les vois disparaître dans la fumée. J'espère qu'elle a compris ce que j'attendais d'elle. La marche est coupée en deux. Tous ceux qui étaient proches de moi s'engouffrent dans les ruelles adjacentes pour s'extraire de la rixe. J'entends des cris, des pleurs. La panique gagne le groupe. Un mec me bouscule, je le retiens par le bras.

— Lâche-moi, hurle-t-il.

Putain, je reconnais sa voix. Je m'empresse d'arracher sa cagoule, un des fils du Maire.

— Fred, à quoi tu joues ?

Sans se démonter, il me répond :

— Retourne dans les jupons de ta grand-mère, pauvre tâche.

— Tu déconnes, tu crois pas que je vais te laisser tout gâcher…

Un violent coup de poing me fusille le bas du dos. Une douleur vive remonte le long de ma colonne vertébrale. Un de ses potes est venu à sa rescousse. Je le relâche sous la violence du choc. J'essaie de me relever, m'appuie sur la main. Un autre de ses compères me balance un coup de pied qui éjecte mon bras. Pas le temps de me rattraper, je termine le nez dans le trottoir. Un filet de sang coule sur ma joue entaillée. Ils me ramassent, me redressent et me tiennent fermement. Fred remet sa cagoule et m'adresse une droite en plein dans l'estomac. Je suis au bord de cracher mes tripes. Je vais prendre cher, ils ont bien l'intention de se défouler sur ma pomme. J'essaie de m'extraire. À trois contre un, ce n'est plus du courage c'est de la folie si personne n'intervient. Je ne sais pas combien de temps, je vais résister. Je me débats, essaye de donner un coup de pied, je tape dans le vide. Je suis un pantin de chiffon dans leurs mains. Quand d'un coup, ils me lâchent, je m'écroule sur le bitume à quatre pattes.

— Cassons-nous avant que les flics se ramènent. Il ne nous emmerdera plus. Tiens fous lui la cagoule, suggère un des potes de Fred.

J'essaie de les empêcher, la bile remonte dans ma bouche. J'ai besoin de cracher mais n'y arrive pas. J'ai dû mal à soulever ma carcasse. Peine perdue, les flics débarquent à leur tour. L'un d'eux me bloque au sol pendant qu'un deuxième me menotte. Je suis en plein cauchemar. J'essaie de leur dire qu'il se trompe mais ils ne veulent rien entendre.

— Ta gueule, on t'embarque. Tu pourras t'expliquer au poste.

Je suis incapable de dire quoique ce soit d’autres. Je suis ce boxeur KO, protocole commotion, renvoyé dans les cordes. Le gong annonce la fin du combat. Je ramasse et c'est moi qu'on embarque: le comble. J'entends au loin une voix crier mon nom. Puis plus rien.

*

Une femme hurle :

— Max, je te rappelle que je t'ai changé les couches, il n'y a pas si longtemps. Alors, rabaisse ton caquet. Un peu de respect, lance Mimie aux deux jeunes bleus qui sont à l'accueil.

En arrière plan, les barreaux d'une cellule. Un peu grogui sur mon banc appuyé sur l'épaule de Tony, j'essaye d'analyser la situation avec le peu de lucidité qu'il me reste. J'en ai ras le bol d'être le punching-ball de service. Je rêve de me casser loin de tout ce bordel. Je voulais des vacances palpitantes, eh bien, je suis servi. En une semaine, j'ai risqué une dizaine de fois ma vie. Une pause s'impose.

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