Le truc de ouf !

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Dans les bras de Manu, je me sens à ma place. Nous nous retrouvons enfin tous les deux. Dans un autre contexte, je me serais abandonné sans me poser de question. Là, l'heure est grave et le temps presse. Il faut que je fasse quelque chose. S'il arrive quoi que ce soit à Etienne, je ne me le pardonnerai pas. Manu sera dévasté et m'en voudra. Inconsciemment, il me le reprochera. Comment lui en vouloir ? Je ne supporterais pas de voir dans son regard du mépris. Je ne veux pas qu'il vive ce que j'ai vécu. J'ai conscience qu'il y a un truc spécial entre eux deux. Avant de sortir de la cabane, je confierai mon coeur à Manu. On ne peut pas dire que ce soit le meilleur moment mais mon refuge reste le plus bel endroit pour que je le fasse. Le temps est suspendu à notre étreinte. À l'extérieur, urgence absolue, une question de vie ou de mort. Alors je n’ai plus une minute à perdre.

J'écarte délicatement Manu de mon torse, encadre son visage dans mes mains et me noie dans ses yeux. Je vais faire une chose totalement folle. Mon estomac se noue autant par ce qui joue dehors que par ce que je ressens en mon for intérieur. Sans réfléchir, mes lèvres se posent sur les siennes. La sensation est merveilleuse, leur douceur incroyable. Une agréable chaleur envahit tout mon être. Toutes les tensions s'effacent et me poussent à me livrer. Je m'approche de son oreille et lui murmure :

— Je t'aime.

Enfin j'ai libéré mes mots, enfin je lui ai dit, enfin je lui avoue que notre premier baiser pour mon anniversaire n'était pas un joke. Cette nuit-là, désinhibé par les effets de l'alcool, je l’avais embrassé. Pourtant une fois les idées claires, je n'avais pas pu franchir le pas, je n'étais pas prêt. Ce n'était pas le bon moment. En venant ici, je ne me doutais pas du tout de ce que nous allions vivre, ni que pour que nous puissions avoir un avenir en commun, je devais d’abord affronter mes démons. Il y a trois ans, ma mère est morte dans mes bras. Elle a emmené avec elle mes " je t'aime". Depuis ce soir-là, je suis inncapable de les prononcer, ni à mon père, ni à Grandma. Manu, si tu pouvais avoir conscience que depuis ce matin de septembre, tu as tout changé. Avec tes cheveux bleus colorés de peinture, tu es entré dans mon monde et petit à petit tu m'as ramené à la vie.

— Manu, Promets moi que tu ne bougeras pas, dis-je dans un dernier souffle. Anouchka reste avec lui. Si jamais je ne suis pas revenu dans un quart d'heure, retourne auprès de mon père et laisse les flics prendre les choses en main.

Je ne lui laisse pas le temps de me répondre et l'embrasse. Je sens son pouls accélérer, son corps trembler. J'ouvre la porte, l’observe une dernière fois pour photographier chaque partie de son corps afin de me donner un minimum de courage. Je dois régler ce merdier tout seul, avant que cela tourne aux règlements de compte. Dans tous les cas, ce sera moi et pas Étienne.

J'espère que Manu ne tentera rien. J'ai conscience de ne pas lui avoir laissé le temps de parler. Mais il aurait essayé de me convaincre de rester, que mon entreprise était pure folie. Je ne suis pas un super héros, je dois seulement assumer mes actes. Si je n'avais pas enquêter, si je n'avais pas voulu connaître la vérité, si je m'étais contenté de vivre mes années lycées, nous n'en serions pas là. D'un autre côté, je n'aurai jamais croisé la route de Manu et nous n’aurions pas eu la chance de vivre trois années magiques.

J’avance dans la forêt, m’adosse au pin bicentenaire, saisis mon portable et envoie un message à Jérémie : " le prince charmant est en sécurité, le loup dans le bois. Si je trouve le petit chaperon rouge, je lui dirai de rentrer chez Grandma. Nom de code : Manu. Quand l'indien deviendra incontrôlable, envoie-moi les tuniques bleues”. Il me répond aussitôt : "mon chou, fais gaffe à toi, je n'ai qu'un frère et je ne veux pas le perdre”. Je souris à cette dernière notification et ferme mon téléphone.

Je me déplace dans la pénombre, je connais parfaitement chaque recoin. J'y ai passé tous mes étés. Petit, avec Grandpa j'apprenais les essences des arbres, à me repérer dans l'espace et à relever les indices semés par les animaux. À ses côtés, chaque sortie était toujours une aventure. Puis, j'ai vécu de belles histoires avec Camille et Pierre, nous jouions aux explorateurs au milieu des grands arbres. Cette forêt était notre base. Nos parties de cache-cache interminable se mêlaient à des chasses aux trésors que mes parents organisaient de main de maître. L'année, où Jérémie est venu à son tour, nous avons créé notre club des mousquetaires des temps modernes. Nous rentrions seulement pour le souper et dormir. Nous partagions la chambre aux lits superposés, je dormais sur un matelas au sol, laissant mon lit à Jérémie. Pierre préférait être tout en haut. C'est marrant, je me rappelle que le matin, Jérémie était blotti contre moi. Qu'est-ce qu'il m'a manqué toutes ces années ! Tous ses agréables souvenirs me portent. J'en ai bien besoin parce que cette fois, je ne sais pas où je mets les pieds.

Je me stoppe net, l'odeur d'un joint se mêle aux embruns. Plus aucun doute, ils sont positionnés qu'à quelques pas. Je peux les entendre discuter. Ils sont tout sauf discrets. Je m'approche à pas de loups, je prends bien soin de ne pas me faire remarquer. Je veux d'abord savoir ce qu'il en est quand j’entends le bras droit du balafré lui demander :

— Tu fais confiance au merdeux ? Tu penses vraiment qu'il va convaincre son pote de venir.

— On s'en tape. On l'a lui, au besoin. Sa gueule vaut peut-être des pépètes.

— Qu'est-ce que t'entends par là ?

— Il avait l'air de connaître du beau monde, t'a pas vu comme les médias lui tourner autour ?

— Ouais, je le sens moyen. Et le fils Courtois ?

— Oh lui, il fera partie des dix pourcent de perte, dommage collatéral. Une erreur de casting.

D'habitude c'est le moment où mon père me dit : Zach, réveille-toi, rassure-toi ce n'était qu'un cauchemar. Mais là, on est dans la vie, la vraie. Je me pince pour m'en assurer. Le balafré est vraiment débile et son collègue ne vaut pas mieux. Comment vais-je m'y prendre ? Quand j’entends :

— Et Zach ?

— Je lui laisserai le choix. Lui contre ses deux potes ?

— Et après ?

— Je lui ai réservé une place au chaud avec sa mère.

Bon là je suis fixé. Il est trop tard pour faire marche arrière. Étienne est appuyé contre un arbre, ligoté et bâillonné. Si je me débrouille bien, je pourrais le libérer. Je choisis de passer à l’action, le balourd est allé pissé un peu plus loin et le balafré scrute dans l'autre direction. J’attrape le couteau suisse que j’ai mis dans ma poche en partant de la cabane et commence à couper la corde. Je dénoue le foulard qui obstrue la bouche d'Étienne.

— Ne bouge pas tant que je ne te l'ai pas dit. Au signal, fonce vers la maison. Si j'ai bien compris, il y a des flics planqués prêts à intervenir, chuchoté-je le plus calmement possible à Étienne .

— Ils sont complètement barjos ces mecs ! dit-il, désespéré de me voir agir de la sorte.

— Maintenant. Te retourne pas. Quoique tu entendes.

— Zach, c’est du suicide, ton plan.

— Etienne, dégage, dis-je en le poussant.

— Ok, mais tu fais vraiment chier !

Au fond de moi, j'espère que le groupe d'intervention ne prendra pas Étienne pour une cible potentielle. Je mets mon corps entre lui et le balafré, le temps qu'il file. Heureusement pour nous, il n'a pas son arme à portée de main. Je suis surpris qu'il l'ai laissée dans sa veste posée sur le tronc mort. Sa première erreur. Je m'adresse à lui pour attirer un peu plus son attention :

— Il paraît que tu me cherchais.

— Voilà l'emmerdeur de service.

— Si tu le dis.

— On a un compte à régler.

— Je me doutais qu'en me pointant ici, ce ne serait pas pour boire une bière.

Je suis étonné que le lourdeau ne soit pas revenu. J'espère qu'Étienne n'est pas tombé dans ses griffes sinon mon entreprise aura été vaine. Mais mon urgence pour l'heure est de me retrouver en tête à tête avec mon pire cauchemar. D’un autre côté, je suis rassuré de savoir Manu loin de tout ça. Il doit avoir rejoint mon père, sain et sauf et il prendra soin de lui.

Ma vie ne tient à plus rien, il est armé. A-t-il vraiment besoin d'une balle pour m’ôter mon dernier souffle ? On peut pas dire que je sois au top de ma forme et nous ne combattons pas dans la même catégorie. Mais la rage au fond de moi ne demande qu’à sortir et elle décuple mon énergie. Trois ans que je la garde enfouie. Trois ans que je me contrôle pour ne pas exploser. Je vais enfin pouvoir déverser toute ma peine et ma colère sur ce putain de balafré. Lui faire avaler son arrogance. Je le hais pourtant il y a un truc qui m'empêche de fondre sur lui pour jouer des coups; l'instinct de survie. Il s'approche inexorablement, je recule désespérément. Me voilà acculé sur le pin, je sens l'odeur de la beuh qu'il me balance au visage. S'il y a un an encore, j'appréciais le parfum du shit, ce soir, il me dégoûte, m'écoeure. Je me demande ce qui retient le balafré pour m'aligner froidement sans remords comme il a dû le faire avec ma mère. Par chance, son pote est toujours aux abonnés absents.

— Bon, et maintenant c'est quoi ton plan ? dis-je sans me démonter.

— Toi, finalement tu me plais. Tu en as dans le ventre.

Je ne sais pas si ce compliment ne signifie pas mon arrêt de mort.

— Pourquoi ma mère ?

— Parce que c'était une fouineuse tout comme toi. Quand on est trop curieux, voilà ce qui arrive.

Il m'envoie une droite dans le ventre. L'impact est violent, je me plie en deux mais me redresse et insiste :

— Tu n'as pas répondu à ma question.

— Toi, t'es mazo.

Un deuxième coup de poing éclate ma lèvre là où il y a à peine un demi-heure la chaleur de celles de Manu embaumé mon cœur. Si je m'en sors indemne, je m'inscris au cours de self défense. Finalement, il a raison. Je suis mazo.

— Tu as tout prémédité avec le père de Manu ? crié-je pour me sentir encore vivant.

— Tu rigoles, il n'est pas assez couillu. Il voulait que je récupère le dossier et que je lui fasse juste peur.

— Et, tu n'as pas pu résister ?

Je comprends qu'à chaque fois que je l'emmerde, je ramasse mais tant pis j’ai besoin qu’il crache la vérité. Il m'attrape la main. La plaque contre le pin. La serre. Une douleur vive remonte le long de mon bras. Nooonn… Putain, si le cavalerie voulait se pointer, ce serait bien.

— J'ai un petit cadeau, me dit-il avec une lueur dans les yeux.

La lame de son couteau se loge entre mon pouce et mon index. Je comprends que son intention première est de me foutre la trouille. Il a réussi. Je ne veux pas lui laisser penser qu'il a pris l'ascendant et lui hurle dessus :

— Putain, tu as tué ma mère.

— Elle était en vie, quand je l'ai abandonné sur le trottoir. C'est toi qui n'as pas su la sauver, me dit-il avec un rictus malsain.

— Connard, ferme ta gueule.

— Rassure-toi, tu ne vas pas tarder à la rejoindre. Qui sait, te pardonnera-t-elle ?

Je suis fou de furieux, il est ignoble. Comment vais-je m'en sortir ? Il tient toujours ma main, je me débat, je n'arrive pas à retirer mes doigts des siens. Il a une poigne de fer. J'essaie de le déstabiliser avec une nouvelle question.

— Et Karl, il devenait encombrant ? Pourtant, il était parfait dans son rôle d'homme à tout faire.

— Tu poses trop de questions. Ferme la.

La lame luit dans la nuit. J’y vois le reflet de mon regard effrayé, les yeux emplis de larmes. Le couteau est à deux doigts d'atteindre sa cible. Par miracle, j'arrive à m'extraire juste à temps. Le balafré se déséquilibre et m'attire dans sa chute. Il m'entaille le bras. Je peux sentir le froid de l’acier entamé ma peau, le sang gicle. Le balafré s'écrase lourdement au sol, je m'écroule sur lui pour tenter de le maintenir bloqué au sol. Je cherche d’attraper le couteau qui doit être tombé à quelques pas de nous. Le monstre appuie sur ma blessure et en profite pour m'éjecter sur le côté comme une vulgaire poupée de chiffon. Ma tête tourne. Je peux sentir son souffle dans mon cou puis ces deux mains l’encercler. L’obscurité se fait plus dense. La lune a disparu. Je n'ai plus la force de résister. Comme il y a trois ans, j'entends Anouchka aboyée et dans un dernier souffle j'hurle : " Manu".

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