Je jouerai à tous les hommes de ta vie

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Pour accompagner ce chapitre : Boyfriend d'Etienne Daho

https://www.youtube.com/watch?v=N2gO4m_GO68

*

De retour à Mézange, je suis soulagé Entouré des miens, je me sens en sécurité. Dans la maison, au milieu des pins, je revis, respire et apprécie de retrouver ma liberté. Manu et Camille sont venus me chercher à la sortie de l’hôpital, depuis l’un et l’autre sont aux petits soins, alternant les tours de garde. À leur façon, ils veillent sur mon sommeil. Camille a pris le partie de me chanter le refrain de notre dessin animé préféré: enfant du soleil, tu parcours la terre, le ciel, à bord du grand condor, tu recherches le vites d’or … J'entends sa voix et distingue vaguement sa silhouette comme si elle était dans la brume et qu’elle attendait Esteban pour qu'il fasse apparaître le soleil. Ses paroles me bercent et mes paupières se ferment.

*

À présent, au tour de Grandma d'être assise à mon chevet. En grand-mère redoutable, elle ne laissera quiconque nuire à ma convalescence, J’’ouvre les yeux et découvre son sourire bienveillant, il me réchauffe instantanément.

— Ça va mon Choupinou ? m’interroge-t-elle le regard soucieux.

— Comme un lendemain de bringue.

— Un massage pour te soulager ? me propose-t-elle tout en attrapant ma main.

Elle pince l’espace entre mon pouce et mon index. Après quelques pressions, la sensation passe de désagréable à supportable. Ce geste me ramène trois ans en arrière, quand ma mère massait ce point d’acupuncture pour soulager mes migraines récurrentes à l’approche de mon examen de fin de troisième. Les douleurs s’estompaient et peu à peu je m'endormais la tête sur ses genoux, ma main dans la sienne.

*

Après une seconde journée consécutive la tête dans le brouillard, j’émerge peu à peu. Je ne perçois aucun bruit dans la maison. Je m’assois au bord du lit, le soleil joue à cache-cache dans la persienne. Plus personne n’est à mon chevet. Il faut les comprends, tenir compagnie à une marmotte qui hiberne, peut lasser. J’imagine sans mal leur besoin d’aller prendre l’air. Je meure d’envie d’en faire autant pour avaler de grandes bouffées d’oxygène au parfum iodé. J’attrape le polo qui traîne sur la chaise, glisse dans mon short. Le contact de mes pieds nus avec le plancher me reconnecte au monde des vivants. Le bois dont il est issu provient de cette magnifique forêt qui nous entoure. Chaque partie de la bâtisse reste et restera ancrée dans ce coin des landes: un soulagement. J’ouvre la fenêtre. L’astre incandescent commence sa chute vers l’océan. Je veux me joindre à sa course folle.

Je dévale les escaliers et manque de terminer le nez dans le carrelage. Par chance, Manu se trouve dans les parages et me réceptionne.

— Tu joues à quoi ? T’es pas dingue ? me dit-il en m’aidant à me redresser. T’as vu le diable ?

— Suis-moi.

— Mais où ? Qu’est-ce qui t’arrive ? me répond-il avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

— Cherche pas et fais-moi confiance.

-— Oula, la dernière fois que tu m’as dit ça...

— Oui je sais, mais là promis ce sera différent, le coupé-je en posant un doigt sur ses lèvres.

Je l’attrape par la main. Il résiste pour la forme. Je vois dans ses yeux qu’à son tour il veut se laisser tenter. Sur le passage, je choppe deux bouteilles de bière dans le frigo. GrandMa, assise sur la balancelle, me fait signe de venir la voir. Elle me montre du doigt le panier posé sur le banc et m’adresse un clin d’œil complice. Je me penche pour l’embrasser et lui précise de ne pas nous attendre pour dîner.

— Zach, ne t’en fais pas. Mimie m’a proposé d’aller manger au petit bistrot pour fêter notre victoire. Allez, file, Manu s’impatiente.

Dans l’allée, il pousse les graviers du bout des pieds. Encore un signe : il hésite entre deux possibilités. Il faut que nous acceptions de lâcher prise, nous devons apprendre à nous laisser porter. Ne plus calculer, ne plus résister.

— Manu, viens, tu ne le regretteras pas. J’ai deux surprises pour toi.

Avant de cacher ses yeux, mes mains effleurent sa barbe naissante. Mes doigts tremblent, intimidé, un peu comme si je le découvrais pour la première fois, comme si je venais d’ouvrir les yeux après des années à roupiller. Je ne peux plus tenir, je veux partager un moment juste avec lui. Nous le méritons, depuis le temps.

— Assieds-toi et ferme les yeux. Ne triche pas sinon les représailles seront terribles, lui dis-je en le guidant.

— Ah ouais. Pas cap, me répond-il avec une lueur de défi dans le regard.

— Ne me tente pas et tu as ouvert les yeux, tricheurs.

J’attrape le paquet caché dans le panier et allume mon téléphone après m'être assuré qu’il joue le jeu. Les premières notes de Boyfriend s’égrènent en solo puis en écho avec Étienne Daho, je fredonne les paroles du bout des lèvres :

Je jouerai à tous les hommes de ta vie

Que j'incarnerai à l'envie

Je serai ton défi.

Je dépose un objet sur sa paume.

— Manu, assis-toi s’il te plaît.

Lentement, je m’agenouille à ses côtés, place ses mains à fleur d’eau, prends une grande inspiration et lui murmure :

— Vas-y, maintenant tu peux ouvrir tes yeux.

Ouf, sauvé ! Le moulin à eau flotte sur la rivière.

— Tu t'es souvenu ? me dit-il avec des étincelles dans les yeux.

— Yes, et j’ai réussi à le fabriquer tout seul comme un grand, dis-je en me relevant d’un coup.

Manu ne bouge plus, figé dans le temps, en arrêt sur image. Le tableau est tellement beau. Lui. Les pins. La rivière. Les rayons du soleil caressent ses cheveux. L’embarcation fragile suit les méandres du cours d’eau. À son rythme, elle guide nos pas jusqu’à l’étape suivante : la plage. Nous avançons en silence. Je scrute les moindres soubresauts du bateau. S’il venait à couler, je me précipiterais pour la remettre à flot. Si un obstacle barrait sa route, je m’assurerais qu’il trouve un itinéraire bis. Si dans un excès de rage, la rivière l’emportait trop loin de moi, alors je me battrais pour le retrouver quitte à remonter à contre courant. Je me démènerai pour trouver une solution pour adoucir son voyage.

J’attends un mot de Manu, il ne vient pas. Il semble si loin tout à coup. J’ai un doute, je redoute d’avoir voulu trop en faire. Il marche à quelques pas de moi. Si je tends ma main, je pourrai la poser sur son épaule et rétablir le contact. Je résiste. Je souhaite avant tout qu’il profite pleinement de sa bulle de liberté sans le parasiter de mots ou de gestes. Mon idée première ouvrir une parenthèse dans laquelle il appréciera chaque petit rien. Je ne veux pas le bousculer, ni l’obliger à faire ce qu’il n’aurait pas envie. Juste le voir sourire me comblera. Je me contente de l’observer. J'apprécie chaque mouvement fluide de son corps. Son odeur se mêle aux arômes des pins, comme s’il ne faisait plus qu’un avec le monde qui l’entoure. Au loin, le soleil décline, il nous faut presser le pas avant que l’océan ne l’avale entièrement.

— Manu, le premier arrivé.

J'accélère le mouvement.

— Où ? me répondit-il surpris.

— Dans l’eau.

— Mais je n’ai pas pris...

— On s’en fout, crié-je en lui envoyant mon polo.

— Hé c’est pas juste, tu triches.

-— Tu rigoles. J’ai, on va dire un peu adapter les règles.

Cette fois, mon short termine à ses pieds.

— Si tu attends trop, tu ne plongeras pas dans le soleil couchant.

— Mais …

Je ne le laisse pas terminer sa phrase et le pousse dans l’eau. Il résiste pour ne pas s'étaler et finir la tête la première.

— Putain Zach, elle est froide.

— Tu plaisantes, elle est juste parfaite.

Je lui jette mon caleçon sous le nez, lui offre ma lune en plongeant et m'élance à la conquête de l’océan. Au loin, j’entends Manu qui m’appelle.

— Attends-moi, j’arrive.

— Rattrape-moi, si tu peux.

Quelle déception quand je le vois s’en retourner vers la plage. Mais mon regard s’enflamme en découvrant que c’est pour jeter ses vêtements sur le sable. Intérieurement, je souris. Les derniers rayons recouvrent sa peau avant qu’il ne saute dans l’eau, tous mes sens s’embrasent. Je ressens l'onde se propager sur chaque parcelle de mon corps. Il nage dans ma direction, des vagues de bien-être déferlent sur mon être.

— Regarde Manu, comme c’est magnifique. Personne n’est capable d’illuminer le monde d’autant de douceur. Si toi…

Mes derniers mots glissent de ma bouche à ses lèvres. Cette décharge m’électrise de la tête au pied. Je flotte, la sensation est merveilleuse. Par ruse, Il met sa main sur ma tête et me coule avant de s’éloigner.

— Manu, tu ne perds rien pour attendre, crié-je en le poursuivant.

— Des promesses, toujours des promesses.

Je crowle pour venir à sa hauteur et le saisis par la taille. Il se débat pour s’extraire de mon étreinte. Dans notre lutte, mes doigts effleurent son sexe. Je profite de l’effet de surprise pour à mon tour lui mettre la tête dans l’eau. Hélas, j’ai présumé de mes forces en oubliant que je sors tout juste de l’hôpital.

— Zach, tout va bien ? me demande Manu inquiet.

— Ça t’embête, si on remet notre duel à plus tard. On va dire que tu as gagné le premier round.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu me fous les jetons.

— Oh, tu devrais en avoir l’habitude à force. Je fatigue d’un coup d’un seul.

Si j’avais su que Manu jouerait au maître sauveteur, j’aurai feint l’épuisement bien plus tôt. Pour l’heure, c’est tout sauf du cinéma. Arrivé sur le sable, je m’étale de tout mon long, Manu se jette à mes côtés, essoufflé. Je me tourne, cale ma tête sur ma main, m’accroche à son regard et lui demande :

— Et le bouche à bouche, c’est dans tes cordes.

— Tout dépend de quelle corde tu parles.

Je l'interroge du regard. Un grondement répond à sa place, un second éclair zèbre l'horizon suivi d'une déflagration plus forte. Je réalise que la météo veut jouer aux trouble-fête . Il est grand temps pour nous de déguerpir. Manu est déjà en train de s'habiller. Il m'envoie mes affaires et me crie :

-— Zach, prêt pour un sprint.

Je sautille pour enfiler mon short, et saute dans mes chaussures les pieds plein de sable.

— Tu m'avais promis une soirée tranquille. C'était ça ta seconde surprise ? Un feu d'artifice ?

Je pose mon index sur sa bouche pour le faire taire et prend un malin plaisir à dessiner le contour de ses lèvres pour le taquiner.

— Allez déconne pas. Fais pas le gosse.

— Rabat joie.

Manu saisit ma main, m'attire contre son torse et me serre contre lui. Je sens les battements de son cœur contre ma poitrine. Quand un éclair s'écrase sur les rochers à une centaine de mètres de nous, il sursaute et s'accroche à moi. La lumière vive éclaire nos corps. La pluie torrentielle s'abat sur nos peaux.

— Tu as raison Manu, filons.

Je le prends par la main et l'entraine vers la forêt. Bon ok, ce n'est pas la meilleure idée du siècle que j'ai eu : courir sous l'orage et nous mettre à l'abri sous les arbres. Un fou rire accompagne notre course.

— Zach, on va à la cabane ? me demande-t-il en me tirant pour que je ralentisse.

— Non, on aura pas le temps, l'orage file dans sa direction. Le mieux est de retourner à la maison.

Nous arrivons trempés et à bout de souffle sur la terrasse en même temps que Grandma et Mimie.

— Eh bien les garçons, votre soirée est tombée à l'eau ? nous demande Mimie avec un petit sourire.

— On va dire qu'elle a été écourtée.

— Ça vous tente un potage de vermicelles, nous propose Pierrette.

— Carrément, répondons-nous à l'unisson.

— Revenez dans un quart d'heure.

Nous filons à l'étage. Je lance une serviette à Manu qu'il attrape au vol.

— Je te laisse la douche, j'irai après.

Je serai tenté de lui faire une proposition tout autre mais raisonnablement je m'abstiens. Pourtant mon corps parle pour moi, heureusement Manu a disparu dans la salle de bain. Je jette mes vêtements dans la panière de linge et m'allonge sur le lit en caleçon, les mains sous ma tête je me mets à fantasmer et rêver à l'eau. La veinarde caresse chacune des courbes de Manu sans gêne. Je remonte le drap sur mes jambes pour dissimuler mon émoi. J'entends Manu chantonner :

Mais ni ton père, ni ton psy

Et lorsque tu dérouilles

Je serai là pour calmer les embrouilles

Un solide épaule

Si tu perds le contrôle

Ta machine à faire mal,

Ton étalon, la bio de ton film

Je reconnais les paroles, les mêmes que j’ai fredonné au bord de la rivière. Bercé par le son de sa voix et le bruit de l'eau, mes paupières se ferment.

-— Zach, Pierrette nous attend, chuchote Manu en me secouant doucement.

Son souffle chaud se faufile dans mon cou. Il dépose un baiser sur ma joue.

— Ça fait longtemps que je dors ?

— Je dirai un quart d'heure.

— Tu sais, je voulais te rejoindre...

Cette fois c'est Manu qui m'empêche de terminer ma phrase.

— Oui je sais. En attendant, va te réchauffer sous la douche. Tu verras, tu te sentiras bien mieux. Je vais donner un coup de main en cuisine.

Je le vois sortir, tend ma main pour le retenir. Trop tard, il descend les escaliers. Mimie l'appelle.

*

Après le repas, assis dans la véranda nous buvons un café et grignotons des madeleines. L'orage s'est évanoui, la lune accompagnée de son ballet d'étoiles se joint à nous. Le thème de la soirée est défini par Mimie; autant s'attendre au pire comme au meilleur.

— Alors Manu, crache le morceau. Ton premier baiser ?

Aïe, je le vois rougir instantanément, c'est mignon tout plein.

— On va dire qu'il n'était pas inoubliable d'ailleurs je l'ai oublié.

— Héhé jeune homme, tu ne vas pas te défiler comme ça.

Ahaha, elle ne doute de rien. Elle est incroyable. Comment va-t'il s'en sortir ? Heureusement, Pierrette vole à son secours :

— Moi, c'était un matin d'hiver, je m'en souviendrai toujours.

— Grandpa ? demandé-je par curiosité.

— Hé non, dit Mimie avec un grand sourire.

-— Non, j'y crois pas, s'écrie Manu.

— Voyons, un peu de retenue.

— Grandma tu veux dire que toi et Mimie ? ajouté-je tout autant surpris d’une telle annonce.

En chœur, elles éclatent de rire.

— Oh, les garçons vous verriez vos têtes, trop drôle, pardonnez-moi.

Nous nous observons, ne sachant plus où nous mettre, ni sur quel pied danser.

— Vous êtes trop mignons, vous rougissez.

Et vas-y, Mimie en rajoute une couche. Décidément, elles sont uniques. Les discussions fusent dans tous les sens, j’en ai mal au ventre à force de me tordre de rire. Manu est craquant, il se lâche, répond du tac-au-tac, s'emmêlent les pédales et esquive si nécessaire. Il est à croquer quand il pleure de rire. Il finit par s'éclipser pour aller aux toilettes. Je le suspecte de s'accorder une pause après toute cette agitation. Le voyou, il me laisse aux mains des mamies avec un sourire en coin.

Minuit sonne au carillon, le carrosse de Cendrillon arrive dans l'allée. Camille vient chercher sa grand-mère. Nous les saluons et leur souhaitons une bonne nuit, Pierrette en profite à son tour pour rejoindre sa chambre. Le calme envahit l'espace, nous reprenons notre souffle assis sur la balancelle. Manu allume sa playlist.

Tirer la nuit sur les étoiles

La nuit nous appartient, woah

Puis au matin, mettre les voiles

Plus rien ne nous retient, woah.

Je me cale sur son épaule. Toutes mes douleurs s'effacent en un clin d'œil. Mes tensions s'atténuent au contact de sa peau. Lover contre son corps et bercer par la chanson, doucement mes paupières se ferment.

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