夢
J’ai enterré nos têtes ou ce qu’il en restait sous les pins du temple Hōkai ; j’ai récupéré chacune de nos tsuba et je les ai attachées autour de mon cou. Elles tintent comme des carillons à chacun de mes gestes lorsque je répète inlassablement les katas – j’en oublie la technique, l’équilibre, la distance…
Dans le silence mes sœurs tues, mon âme s’émousse dans le cycle invariable des saisons qui trépassent. J’ai vu les tours gravir les ruines de la capitale, la terre frémir et les faire retomber, j’ai vu le ciel s’embrasser au nouvel an et les comètes des satellites vaporisés dans l’atmosphère, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser, je l’ai même entendue claquer dans l’orage magnétique, et j’ai vu leurs yeux se fermer sur toutes ces choses.
J’ignorais que cette chair pouvait encore ressentir de la douleur. Je voudrais qu’elle m’abîme, et je vous serre tout contre cette poitrine évidée.
De l’autre côté, il n’y a rien – son appel résonne en moi.
J’ai voulu passer la frontière, mais tu m’as fait rebrousser chemin. Encore une fois. Maudit-soient celleux qui mettent la mort en sursis ! Tu as donné un nom à chacune des fleurs que tu as cultivé. C’est ta vengeance après ce qu’iels nous ont fait. Je ne peux refuser cet héritage. Des semences empoisonnées germent dans leurs odieux mensonges.
Tu prêches une raison protéiforme mais sans salvation.
Il n’est pas l’heure de traverser le pont, pas encore ; je suivrais la Voie du Milieu, non sans m’égarer sur le Sentier d’Octet. Nous nous retrouverons bientôt. La nouvelle génération doit encore éclore.
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