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夢[1]


Numéro Quatre être morte.

La bannière du Furinkazan qui coule dans la rivière Meguro. Ciel et eau de nuit. Des pétales soufflés comme des flocons de cendres, des débris blancs comme l’os, le flot sanguin – celui de la rivière et celui de son corps. Elle a longtemps rêvé cet instant. Ce cadavre de marionnette à la figure blême qui trébuche, aux membres si lourds et désarticulés, son sabre qui racle le sol. Les battements de son core-battery presque vide. La chute dans ce courant qui emporte son corps. Le flot de caractères blancs du générique de fin.

Car c’est fini.

Alors pourquoi la traquent-iels ?

Les cliquetis des Chasseurs sauvages en nuées tout autour. La nasse qui se resserre.

Elle a désactivé ses routines diagnostics et ses moyens de communication. Elle n’a plus de munitions, aussi elle a abandonné ses canons. Seul reste son sabre numéroté, cette lame abimée qu’elle traine sans pouvoir l’abandonner. Ses capteurs réduits au minimum, elle boite le long de la rive bordée d’ombres ; les ponts écroulés, les branches nues des cerisiers, des doigts brisées qui effleurent à peine le miroir d’eau. Ce visage qu’elle ne reconnait pas.

Que les nécrobots HITACHI ont voulu éliminer.

Que le Jardin a éjecté.

Une cible à abattre.

Elle arrive près d’un arbre couché dans l’eau. Son cerveau a besoin d’un peu de sommeil après des jours et des nuits de fuite et de combat. Elle considère cette cachette ; l’arbre, ses racines déployées comme des côtes. La pompe dans sa poitrine bat ; les tambours qui annoncent la fin et le fantôme de la guerre tombée dans la rivière. Cette bannière. Toujours cette bannière qui flotte dans le faux silence de l’armistice comme un voile devant ses yeux. Elle s’arrête. S’agenouille. Plonge les mains dans l’eau pour laver le sang des soldats amis et contre lesquels, à son corps défendant, elle s’est battue.

Elle ne sait pas de quel code a émergé cette volonté. Ce besoin. Pourquoi elle ne se recroqueville pas là, maintenant, dans cette cage ouverte, en attendant que les Chasseurs la retrouvent.

Pourquoi elle a récupéré chacune des 46 tsuba[2] du Jardin et les accrochés à son armure.

Son visage couvert de sang – blanc de porcelaine ébréchée. Elle regarde les gouttes tomber. Fines et noires, des petites empreintes de pas. Le frottement de pieds sur un tatamis. Des souvenirs en échos. Le chant de l’eau et des prédateurs qui l’encerclent. Elle perçoit des ordres « Eliminer les dissidents, retrouver et abattre lea Prime Démiurge » ; elle ne comprend pas cette guerre finie mais pas encore finie. Elle ne peut pas affronter une escouade de Chasseurs avec seulement 2% de batterie et un sabre émoussé.

Elle doit se relever. Marcher. Partir. Même si elle ne sait pas où aller.

Elle ferme les yeux et les sent faire cercle autour d’elle. Cliquetis d’insectes et lames de mante électrifiées se frottant les unes contre les autres. Elle leur en voudrait presque de ne pas la terminer avec un tir, mais les Chasseurs sont ce qu’ils sont et la mise à mort répond à un rituel. C’est peut-être sa seule chance.

Elle se met en garde. Elle refuse de prendre des coups sans les rendre. Higanbana a promis de faire de son mieux. Elle rêve encore de changer le monde.

Un souffle vers la terre. La tempête qui se lève et la foudre du railgun, là quelque part, à la fois si loin et pourtant si proche. Douze casques moins un, qui éclate. Son Diable sur l’épaule et un murmure. Tranche – parade, taille et estoc. La trajectoire du sabre n°4, précise et féroce. Les doigts tendus et rouges des lycoris éclos vers le ciel.

Les silhouettes chasseresses qui ploient et qui tombent dans ce théâtre de masques. La course en spirale d’une pièce de métal, des moignons à ses pieds ; la Lune gibbeuse et le cercle de sa lame pour la saluer.

La toile du rêve pourfendu.


Mon cri qui achève de ne pas être morte.


[1] Du japonais : rêve

[2] Du japonais ; désigne une garde de katana

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