II

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Christian voudrait bien, lui, que sa ville natale demeure ainsi, inchangée pour l’éternité.

― Eh, gamin, tu ne m’aurais pas volé mon burin ?

― Non ! mais ta ripe est là-bas sur l’étau.

Le vieil homme au teint buriné, récupère son outil et retourne en grommelant à sa sculpture en granit : un gros navet, une rave. Symbole de la bourgade.

Il s’affaire à la tâche avec peine, lorsqu’un cri féminin interrompt sa concentration :

― Christian, peux-tu aller me chercher un poulet croustillant pour ce midi ?

― Avec des fèves ?

― Non, ce n’est plus la saison, et c’est long à préparer…

De son temps, on prenait le temps. Aujourd’hui, on achète.

Il hésite à abandonner son œuvre burlesque, pourtant primordiale, gros-lot du Loto des anciens.

― S’il te plaît. Ta fille vient déjeuner ce midi, je te rappelle.

Il enfile sa casquette en grognant et enfourche son vélo.

L’engin dévale, couine, sur les 500 mètres qui le séparent du centre du village. Doublé à vive allure par un imposant utilitaire dernier cri, il suffoque, mais parvient à se faufiler tant bien que mal jusqu'aux allées du marché.

La foule est dense. Il n’aime pas cet afflux d’étrangers qui déferle dans son pays tous les samedis .

Un peu plus loin, une silhouette connue, l’incontournable pipelette endimanchée :

― Eh Christian, dis, tu ne sais pas la nouvelle ?

― Bonjour, pas encore, je viens à peine d'arriver. Mais, tu vas te faire un plaisir de me raconter.

― Le vieux Bourlou, à la quincaillerie, il ferme boutique demain.

― Non de non, c'est pas vrai encore un !

― Oui, à ce qu'il parait, il vend tout son fourbi pour des peccadilles. Profites-en.

Christian décide sur le champ d'aller saluer M. Bourlou dans la rue adjacente.

Le pauvre vieux doit être dépité par cette fermeture, due sans doute à la concurrence du magasin de bricolage de la ville voisine.

Il s'approche de la grille en métal rouillée qui entrave l'entrée de la boutique.

L'odeur de poussière et de vermoulu lui prend le nez. Il se penche par l'ouverture:

― M. Bourlou ?

― Qui va-là ? Je suis fermé.

― Monsieur Trémège, le sculpteur, je venais vous saluer.

― Entrez. Depuis ce matin je suis à la recherche de ce satané cadenas. L'autre a sauté pendant la nuit. Mais rien n'a été volé. Quoique j'aurais pu faire marcher l'assurance ! Ce serait tombé à pic !

― Oui, on m'a dit pour votre fermeture.

― Ah que je suis content d'être enfin en retraite ! La pêche, les siestes, et les petits enfants, tout un programme ! En plus le magasin est racheté par mon filleul pour y installer sa conserverie artisanale. Une aubaine.

Devant tant de joie, Christian, perplexe, triture sa casquette puis clôt rapidement la discussion. Le magasin lui manquera. Le bourg se transforme sous ses yeux et personne ne réagit.

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