Chapitre 1 – Le dernier chapitre

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Il était 10h59 quand j’ai relu une dernière fois le titre du chapitre. Le Feu sous la neige. Je ne savais même plus s’il sonnait juste. La fatigue brouillait mes pensées, mais mes doigts, eux, savaient ce qu’ils avaient à faire. Le curseur clignotait au bas du texte, là où s’arrêtait la dernière phrase. J’ai inspiré. Une seule fois. Puis j’ai cliqué sur « Publier ».

Rien ne s’est passé. Pas de vibration dans le sol, pas de souffle dramatique. Juste un encadré orange, banal, au milieu de la page : Chapitre publié avec succès. L’interface de Wattpad me renvoyait un calme cruel, presque indifférent. Je suis restée droite, figée devant l’écran, la souris encore sous mes doigts. Mon cœur ne battait même pas plus vite. Il s’était simplement arrêté de battre plus fort.

Je suis restée là deux minutes. Peut-être trois. Puis j’ai actualisé la page. Pas de notification. Aucune. Je me suis penchée vers mon téléphone. Écran noir. Toujours pas de message.

— Ce n’est pas possible, ai-je soufflé à mi-voix. Tu veux me dire qu’il n’y a même pas une ado en train de scroller sur son canapé ? Pas une seule lectrice en train de rafraîchir la page en attendant la fin ?

Je me suis levée. Ma chemise de nuit, une chemise blanche un peu trop large, me collait aux cuisses. Je n’avais rien dessous, comme souvent après une nuit d’écriture. Le soleil passait à travers les stores et dessinait sur mes jambes des rayures claires. Il faisait déjà chaud. Trop chaud pour un matin de mai.

Je suis allée jusqu’à la fenêtre, l’ai ouverte d’un geste sec. L’air de Nice entra en moi comme une gifle douce : salin, vif, lumineux. En bas, dans la rue, un livreur posait des cageots devant un café. Deux femmes passaient bras dessus, bras dessous, en short et claquettes, en train de rire d’une blague que je ne connaîtrais jamais.

Je suis restée là un moment, nue sous ma chemise, les mains appuyées contre le rebord de la fenêtre.

— Ils vont venir, me suis-je dit. Les commentaires. Les messages. Les gens. Il faut juste attendre un peu.

Mais une autre voix en moi, plus calme, plus grave, a répondu immédiatement :

— Non. Personne ne vient. Pas cette fois.

Je suis retournée dans la cuisine. L’eau de la bouilloire n’avait pas encore fini de chauffer. J’avais oublié d’appuyer sur le bouton. J’ai soupiré, relancé la machine, puis posé mes deux mains à plat sur le plan de travail. Mes paumes étaient moites. Mes doigts tremblaient légèrement. Pas de stress. Pas d’émotion forte. Juste une espèce d’épuisement diffus qui collait à chaque geste.

J’ai attendu, fixant l’évier, le carrelage, une goutte qui s’échappait lentement du robinet. Une minute plus tard, la bouilloire a cliqué. J’ai versé l’eau dans la théière. Les feuilles noires ont tourné lentement, relâchant leur parfum lourd et presque sucré. Mon thé du matin. Toujours le même depuis des années. Noir, sans sucre, infusé longuement. Je n’avais pas envie de changer quoi que ce soit à ça.

Je suis revenue vers le lit, la tasse fumante dans les mains. Je l’ai posée sur la table basse. Puis je me suis assise au bord du matelas, le dos rond, les jambes croisées. J’ai pris une gorgée. Trop chaude. Elle m’a brûlé légèrement le palais. Je n’ai pas réagi.

Mes yeux sont tombés sur mon téléphone. Toujours noir. J’ai hésité à le rallumer. Puis je l’ai pris, lentement, l’ai déverrouillé. Zéro notification Wattpad. Pas de message vocal. Pas de DM Instagram. Pas même une promo indésirable.

Je l’ai reposé face contre la table.

Je me suis laissée glisser en arrière, jusqu’à m’allonger complètement. Les bras étendus, les seins lourds contre ma poitrine, la chemise ouverte sur le flanc. J’ai relevé un genou. Ma cuisse s’est tendue. Le tissu s’est déplacé légèrement. J’étais nue. Entièrement. Et je ne m’étais pas touchée depuis plusieurs jours.

Pas par manque d’envie.
Par manque d’espace.
Par manque de solitude intérieure.

Je suis restée comme ça, immobile, à écouter. Le silence, dehors, était animé : un scooter passait, un oiseau criait. Dedans, c’était plus sourd. Juste mon souffle. Mon ventre qui se soulevait. Et entre mes cuisses, une tiédeur discrète. Une forme de présence oubliée.

Mon sexe n’appelait rien. Il attendait.

J’ai glissé la main sous la chemise, lentement, sans réfléchir. J’ai caressé mon ventre, mes côtes, puis l’intérieur de ma cuisse. Juste là. Pas plus loin. Ma peau était chaude. Mon corps pesait sur le matelas. Il était prêt à lâcher. Pas à jouir. À s’abandonner. À tomber.

Mais j’ai retiré la main. J’ai tourné la tête vers la fenêtre. Et j’ai murmuré :

— Il faut que je parte.

Ce n’était pas une pensée. C’était une évidence.

Je me suis levée, nue, encore engourdie, la chemise tombée au sol. Mon reflet dans le miroir m’a arrêtée net. Mes cheveux étaient en bataille, mes cernes visibles, ma poitrine lourde et basse. Mon ventre dessinait des plis doux quand je me penchais. Et pourtant, je n’ai pas détourné les yeux. J’étais là, pleine, réelle, pas sexy, mais sensuelle. Une femme vidée d’un roman, mais pas d’elle-même.

Je suis retournée à l’ordinateur et j’ai ouvert un nouvel onglet. J’ai tapé un mot, presque machinalement : Bali. Un nom que j’avais déjà prononcé dans ma tête, plusieurs fois, sans me l’autoriser. Ce matin-là, je n’attendais plus qu’une chose : le déclic. Il est venu avec une image. Une villa ouverte sur la jungle, un lit à baldaquin drapé de blanc, une baignoire creusée dans la pierre, entourée de végétation. Ayung Resort & Spa. Le site s’est chargé lentement. Je suis restée figée devant les photos, à peine consciente de respirer. C’était là. L’évidence. Une invitation charnelle et silencieuse.

J’ai cliqué sur “Réserver”. Départ le 25 mai. Demain. Vol Nice – Istanbul – Bangkok – Denpasar. Deux escales. Aucun doute. Aucun regard en arrière.

Je me suis levée d’un bond, presque surprise de la vitesse de ma propre décision. J’ai tiré ma valise à roulettes de sous le lit. Elle était recouverte de poussière. Je l’ai posée au sol, l’ai ouverte, et j’ai commencé à remplir, avec une concentration méthodique. Deux robes longues, une noire, une vert émeraude. Deux paires de sandales. Une chemise blanche fluide, ouverte jusqu’au nombril. Mon maillot de bain noir échancré. Une robe de nuit en satin. Mon carnet, un stylo, mon Kindle, une bouteille d’huile corporelle au jasmin. Puis je me suis arrêtée devant le tiroir de ma commode. Le plus intime.

J’ai hésité une seconde, puis j’ai tiré le bois doucement. Une rangée de lingerie fine s’offrit à moi, ordonnée, silencieuse, presque rituelle. J’ai choisi un ensemble en dentelle noire, un autre en soie rouge bordeaux, un string en tulle transparent, une culotte en satin ivoire avec ouverture sur le devant, un body noir ouvert à l’entrejambe que je n’avais jamais osé porter. Je les ai pliés avec soin, un par un, et je les ai glissés dans un pochon en velours.

Puis, comme un geste de confession, j’ai ouvert la boîte noire tout au fond. Ma trousse secrète. Mon autel miniature. J’en ai sorti mon vibromasseur — petit, noir, silencieux. Le plug bijou que je n’utilisais presque jamais. Et l’œuf connecté. Tous étaient propres, chargés, prêts. Je les ai enveloppés dans un carré de tissu en soie, les ai glissés dans la doublure de la valise.

— Pas pour provoquer, me suis-je dit. Pour exister.

Je me suis redressée, la main sur la fermeture éclair. Ma valise, remplie de mes désirs et de mes audaces, était presque prête. Pour compléter ces pièces choisies avec soin, il ne manquait plus que ma brosse à dents et, pour le confort au quotidien, deux simples culottes en coton. Mais l’essentiel y était déjà : la version de moi que j’avais envie de redevenir. Ou peut-être de découvrir.

Je suis retournée dans la salle de bains. Je me suis regardée à nouveau. Cette fois, sans jugement. J’ai effleuré mon ventre, mes seins, mon entrejambe. Rien n’était tendu. Tout était à sa place. Prêt.

— Je pars. Pas pour me trouver. Pour me ressentir.

Et cette fois, c’était une promesse.

La nuit était tombée sur Nice sans que je la remarque vraiment. L’appartement baignait dans une lumière dorée, tamisée par les lampes que j’avais allumées une à une, presque comme un rituel. Ma valise était bouclée, posée contre le mur, prête à partir. Il ne restait plus rien à écrire. Rien à répondre. Pas un message, pas un mot. Même les réseaux s’étaient tus. Je n’avais rien reposté. Pas un remerciement. Pas un « j’espère que cette fin vous a touchés ». Je ne voulais plus être touchée par personne d’autre que moi.

J’ai fermé les volets, me suis servie un verre d’eau tiède, puis je suis allée me glisser dans mes draps. Nue. Le tissu était frais contre ma peau encore chaude. J’ai éteint la lumière, mais pas tout à fait. Un lampadaire de la rue filtrait à travers les interstices. La pièce avait une teinte laiteuse, douce. Je me suis allongée sur le dos, les jambes légèrement ouvertes, les bras repliés au-dessus de ma tête. Je respirais profondément, sans hâte. Mon ventre se soulevait, se rabaissait. Mon sexe, à peine réchauffé, commençait à pulser doucement, sans urgence.

Je n’avais pas prévu de me toucher. Je ne le faisais pas pour me consoler. Ni pour combler. Je voulais simplement me dire au revoir. À cette version de moi, à cette femme qui avait tenu debout ces derniers mois entre les chapitres, entre les attentes, entre les silences des autres. Une dernière caresse avant le grand départ.

Ma main droite est descendue lentement le long de mon flanc, a frôlé mes côtes, mon nombril, puis s’est glissée entre mes cuisses. Je n’ai pas écarté les jambes. Pas encore. J’ai simplement laissé mes doigts explorer. Le haut de la vulve. Le pli intérieur. Le mont. Ma peau était chaude, légèrement moite. Je n’étais pas lubrifiée. Pas tout de suite. Mais je sentais que ça venait. Ce n’était pas une excitation brutale. C’était une vague. Une montée lente, presque silencieuse.

Plus tôt, anticipant peut-être ce moment, j'avais discrètement retiré le vibromasseur de la doublure de ma valise pour le glisser dans le tiroir. Je l’ai attrapé, sans allumer. Je le connaissais par cœur. Sa forme. Sa texture. Son intensité. Je l’ai allumé sur la première vibration, la plus faible. Une pulsation douce, comme une respiration électronique. Je l’ai posé à l’extérieur, juste sur le dessus. Mon clitoris a réagi aussitôt, une contraction brève, discrète, comme s’il s’éveillait à peine.

Je n’ai pas accéléré. J’ai fermé les yeux. J’ai laissé la vibration infuser, pénétrer lentement. J’ai glissé l’autre main sous ma poitrine, ai caressé doucement mon téton. Il s’est durci sous mes doigts. Mon bassin a bougé d’un millimètre. Puis d’un autre. Mon sexe s’ouvrait, doucement, s’humidifiait. La tension montait, mais sans urgence. Comme une main chaude posée sur mon ventre.

Je me suis laissée faire. J’ai ondulé doucement. Je n’ai pas cherché l’orgasme. Je l’ai laissé venir. Et quand il est arrivé — sans cri, sans arc, sans violence — il s’est diffusé lentement, en cercles. Comme une chaleur douce dans le bas-ventre. Comme un remerciement. Mon sexe a tremblé à peine. Mes doigts ont ralenti. J’ai éteint l’appareil. Je suis restée là. Ouverte. Apaisée. Un instant plus tard, je me suis levée, j'ai remis l'objet dans sa pochette de soie et l'ai soigneusement glissé à sa place, dans la doublure de ma valise.

Je n’ai pas pleuré.

Mais j’ai souri.

Demain, je partais.

Et ce soir, enfin, j’étais là.

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