Chapitre 2 – Le vol vers l’ailleurs
Je me suis réveillée avant le réveil. Il était 4h47. Le ciel était encore noir derrière les volets, mais j’ai su immédiatement que c’était l’heure. Mon corps vibrait d’une fatigue nerveuse, mais mes yeux étaient ouverts, clairs. Je suis restée quelques secondes dans la tiédeur des draps, à écouter mon propre souffle. J’avais dormi nue. Le tissu s’était collé entre mes cuisses. Mon sexe était encore sensible de la veille, mais plus calme, apaisé, comme un animal bien nourri.
Je me suis levée sans allumer. J’ai traversé l’appartement pieds nus, les bras serrés contre ma poitrine. L’eau de la douche était tiède, presque froide. Je l’ai laissée couler longtemps. Sur mes seins, sur mon ventre, entre mes jambes. J’ai frotté doucement mon clitoris, juste pour dire au revoir à cette tension. Il n’a pas réagi. Il n’avait plus besoin de rien. C’était parfait.
Dans la salle de bains, la lumière crue m’a renvoyée mon reflet : cheveux humides, peau légèrement marbrée par la douche, cercles bruns sous les yeux, mais un regard plus calme. Plus droit. J’ai séché mes cheveux à la va-vite, noué un chignon haut, mis un peu de crème sur les joues, une touche de mascara. Rien de plus.
Pour le trajet, j’ai choisi un pantalon large en coton noir, un débardeur beige près du corps, un gilet ample couleur crème, et des baskets confortables. Pas de culotte. Je n’en avais pas envie. J’aimais cette sensation de vide entre mes jambes, ce contact direct avec le tissu. J’ai glissé un de mes strings de secours dans mon sac, au cas où.
J’ai bu un thé en silence, adossée au comptoir de la cuisine. L’appartement était encore dans l’obscurité. Je n’avais pas allumé la moindre lampe. Je voulais garder cette impression de flottement, cette demi-réalité. Mon sac était prêt. Mon passeport. Ma valise. J’avais tout vérifié la veille. Et pourtant, je sentais que je n’étais pas tout à fait là.
Quand le taxi a klaxonné à 5h10, je n’ai pas sursauté. J’ai attrapé ma valise, fermé doucement la porte derrière moi, et descendu les marches sans me retourner.
Dans la voiture, le chauffeur ne parlait pas. Un homme discret, une cinquantaine d’années, l’oreille collée à la radio. Il m’a regardée à peine.
— Aéroport de Nice ? Terminal 1 ?
— Oui.
Il a hoché la tête. Et puis, plus rien. La ville défilait derrière les vitres : les volets encore fermés, les boulangeries à peine ouvertes, une femme qui marchait seule avec un sac de sport. Le ciel commençait à pâlir. Les contours du jour se dessinaient. Mon ventre se contractait légèrement. Pas d’angoisse. Juste la tension du départ. Celle qui serre sans étouffer.
J’ai posé la tête contre la vitre. Mon front était tiède. Mon sexe pulsait lentement, très bas, comme une vibration discrète, là, dans l’ombre de mon corps. J’aimais cette sensation : être en transit, en veille, prête à disparaître.
L’enregistrement s’est déroulé sans heurts. Les lumières artificielles du terminal me donnaient une allure fatiguée, mais je m’en fichais. J’ai scanné mon passeport, laissé ma valise glisser sur le tapis, traversé les contrôles pieds nus, les bras écartés. La sécurité n’a rien dit. J’étais invisible. Ou peut-être juste neutre. C’était parfait.
À la porte d’embarquement, j’ai attendu. J’ai bu une bouteille d’eau. J’ai ouvert mon carnet, écrit deux phrases que je n’ai pas terminées. Puis je l’ai refermé. Je n’avais pas besoin d’écrire. J’avais besoin de partir.
L’embarquement s’est fait dans le calme. Je suis montée dans l’avion avec cette impression de flotter. Mon siège était côté hublot. Parfait. J’aime voir ce que je quitte. Le ciel était clair au-dessus des Alpes. Les nuages glissaient sous l’appareil comme une mer inversée.
Je n’ai rien lu. Rien regardé. J’ai posé ma main sur mon ventre. J’ai fermé les yeux.
Et j’ai respiré.
Le vol jusqu’à Istanbul s’était déroulé sans histoire. Trois heures dans un demi-sommeil flou, les paupières lourdes, le souffle lent. Je n’avais parlé à personne. Mon voisin, un homme d’affaires avec un costume trop rigide, avait à peine levé les yeux de son ordinateur. Moi, je regardais les nuages, comme des coussins flottants. Je ne pensais pas vraiment. J’attendais.
À l’aéroport d’Istanbul, tout était vaste, froid, brillant. Du marbre sous mes pieds. Du verre au plafond. Une lumière blanche, sans température. J’avais deux heures d’escale à tuer. J’ai marché longtemps, sans direction. Mes jambes étaient lourdes. Mon dos commençait à tirer. Mes seins pesaient. Sous mon pantalon, mon sexe était chaud, détendu, réceptif. Je n’avais toujours pas mis de culotte. Le tissu frottait doucement contre mes lèvres, et ce simple frottement suffisait à me rappeler que j’étais vivante.
Je me suis arrêtée devant une baie vitrée, ai regardé les avions rouler au loin. Puis je suis allée dans une boutique attraper une bouteille d’eau et un petit sachet d’abricots secs. Je les ai mâchés lentement, sans faim, sans besoin. J’avais envie d’une douche. Ou d’un lit. Ou d’un lit avec une main entre mes cuisses. La mienne, ou celle d’un autre. Pas pour m’arracher un orgasme. Pour m’aider à me déposer.
Dans un coin calme, j’ai trouvé un fauteuil. Je m’y suis laissée tomber. J’ai sorti mon carnet, puis l’ai rangé aussitôt. J’ai fermé les yeux. Mon bassin battait. Mon sexe s’était gonflé à peine. J’ai pressé mes jambes l’une contre l’autre. Une caresse intérieure. J’ai pensé à la villa. Au lit à baldaquin. À la salle de bains en pierre. À ce que je ferais en arrivant. À qui je serais.
J’ai souri sans bouger.
L’embarquement pour le vol Istanbul–Bangkok s’est fait à l’heure. Près de dix heures d’avion. Mon siège était encore au hublot. À côté de moi, une femme dormait déjà, emmitouflée dans une couverture grise. J’ai glissé mes écouteurs, lancé une playlist sans y prêter attention, puis me suis laissée fondre dans le siège.
J’ai dormi. Mal. Par bribes. Des rêves flous, faits de jungle, de sueur, de mains qui caressaient sans toucher. Je me suis réveillée au-dessus de l’Inde, le corps engourdi, la culotte de rechange toujours dans mon sac. Je ne l’avais pas mise. J’aimais trop cette sensation de nudité cachée. Ce frottement lent du tissu sur mon sexe nu.
Je suis allée aux toilettes de l’avion. J’ai fermé le verrou, levé ma chemise, baissé mon pantalon. J’étais mouillée. Pas honteusement. Juste… naturellement. Mon odeur montait doucement, familière. Je me suis assise, ai uriné lentement, puis je me suis essuyée avec soin, ai glissé deux doigts entre mes lèvres. Mon clitoris n’était pas dur. Juste présent. Réveillé.
J’ai souri dans le miroir. Mes yeux étaient cernés, ma peau terne. Mais j’aimais mon visage. Il était vrai.
Je me suis recoiffée. J’ai replacé mon gilet. Puis je suis retournée à mon siège, me suis lovée dans la couverture, et j’ai fermé les yeux. Je n’avais pas besoin de dormir. Juste de descendre un peu plus profondément en moi.
À Bangkok, l’air avait une autre densité. Même à l’intérieur de l’aéroport, on sentait que dehors, le monde collait à la peau. J’avais deux heures d’escale. J’ai marché lentement. J’ai cherché un coin calme. J’ai trouvé une salle d’attente silencieuse, presque vide. J’ai retiré mes chaussures, me suis assise en tailleur sur un fauteuil large. J’ai bu. J’ai respiré. Mon sexe était encore mouillé. Je sentais mon odeur remonter doucement dans mon pantalon. Et j’aimais ça.
Je n’étais pas sale. J’étais là. Chargée. Disponible.
Quand l’avion a entamé sa descente vers Denpasar, mon souffle s’est arrêté un instant. Par réflexe. Comme si mes poumons eux-mêmes s’étaient figés pour mieux absorber ce moment. À travers le hublot, les premiers contours de Bali apparaissaient. Des rizières découpées en courbes parfaites, des palmiers alignés comme des colonnes de temple, des toits rouges perdus entre les feuillages. La lumière était plus basse, plus dorée. Presque liquide.
Je ne savais pas si c’était la fatigue, le voyage ou cette odeur de jungle que j’imaginais déjà, mais j’ai senti mon sexe se contracter, lentement. Une chaleur basse, moelleuse, presque primitive. Pas un désir. Une poussée. Une ouverture.
Je suis restée le front contre la vitre, les yeux grands ouverts. Dans le siège voisin, une touriste allemande en robe à fleurs mâchait un chewing-gum trop fort. Mais je ne l’entendais pas. J’étais ailleurs. Déjà dans la pierre chaude sous mes pieds, dans les draps blancs, dans l’humidité de la peau après la pluie.
Le contact des roues sur la piste m’a ramenée au présent. Doux. Net. Sans choc. Mon cœur a battu un peu plus fort, juste une fois.
— Je suis là, ai-je soufflé.
J’ai posé la main sur mon ventre. Mon bassin vibrait.
Et je n’avais pas peur.
L’aéroport Ngurah Rai était moite, tiède, saturé de monde mais étrangement calme. Les panneaux étaient en anglais et en balinais. Les touristes avançaient lentement, comme dans un rêve. Il faisait chaud. L’air collait à la peau. Mes vêtements, après vingt heures de voyage, me serraient. J’avais envie d’eau. De sel. De nudité.
Le passage à l’immigration fut simple. Le douanier m’a regardée sans sourire, puis a tamponné mon passeport. À la sortie, une foule m’attendait. Des dizaines de pancartes. Des prénoms mal écrits. Des regards rapides, des chauffeurs levés aux aurores.
Puis je l’ai vu. Une pancarte tenue bien droite : “Serafine V. – Ayung Resort & Spa”. Le prénom mal orthographié. Le nom bien. Un homme jeune, en chemise blanche et pantalon noir, s’est approché.
— Selamat sore, Madame, dit-il avec un accent doux. Welcome to Bali.
Il s’appelait Wayan. Il a pris ma valise sans un mot de plus, m’a tendu une serviette fraîche parfumée au citron vert, et une petite bouteille d’eau glacée. Je l’ai remercié, en anglais maladroit, puis en balinais, ce que j’avais retenu :
— Terima kasih.
Il a souri, incliné légèrement la tête, puis m’a conduite jusqu’au van noir qui attendait dehors. À l’intérieur, la climatisation était discrète, l’air parfumé au bois de santal. De la musique flottait, indonésienne, lente, pleine de voix hautes et de percussions étouffées.
Je me suis enfoncée dans le siège en cuir, le dos humide, les jambes ouvertes sans y penser. Mon sexe respirait.
Je ne disais rien.
Je regardais.
Le soleil descendait. Les scooters filaient entre les voitures, chargés de familles, de paniers, de sacs. Des chiens dormaient au bord des routes. Des enfants jouaient pieds nus dans les flaques. Des temples s’élevaient ici et là, entourés de tissus noirs et blancs. La jungle s’approchait. L’air sentait la feuille, l’encens, la sueur chaude.
Je ne ressentais plus la fatigue.
Je ne ressentais plus rien de ce qui m’appartenait avant.
J’étais arrivée.
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