Je m’apprête à fermer quand la clochette de la boutique tinte toute seule.

Et je sais très bien qu’aucun client n’a poussé la porte.

« — Eléna... Descends… » souffle la voix grave et éthérée d’Arthus.

Je ravale ma salive.

Pas ce soir. Pas maintenant. Pas après cette histoire de bouteilles vides.

Mais la trappe au fond de la réserve se soulève lentement, centimètre par centimètre, comme une mâchoire prête à avaler quelqu’un.

« — Arthus ? J’ai passé une journée affreuse, donc si c’est encore un coup tordu—

— Ce n’est pas moi. »

Je sursaute.

Cette voix-là, je la connais.

Mark se tient dans l’embrasure de la porte, une lanterne orange à la main, l’air d’avoir traversé la Bretagne à pied sans jamais s’arrêter.

Ses cheveux sont encore humides, ses joues rosies par le froid.

Et son regard… brûle d’une intensité que je n’arrive pas à soutenir.

« — Tu devrais pas t’approcher de la trappe, Eléna. Pas seule. »

Je fronce les sourcils.

« — Et comment tu sais ça, toi ? »

Il inspire longuement.

« — Parce que… ce sorcier. Arthus. »

Il marque une pause, comme s’il cherchait ses mots.

« — C’est mon arrière-grand-père. »

Le monde s’arrête.

Je manque de m’étrangler avec ma propre langue.

« — Pardon… quoi ? Tu te fiches de moi ? »

Il repose la lanterne, s’avance d’un pas lent, presque solennel :

« — Je devais te l’annoncer hier. Excuse-moi. C'est vrai que je ne suis pas ici par hasard. En fait, je savais qu’un lien existait entre ma famille et cette boutique. Mais je ne pensais pas que… »

Il désigne la trappe du menton.

« — …qu’il était encore là-dessous. Ni que tu étais… celle dont il parle depuis des décennies. »

Je sens mes joues s’embraser.

« — Il parle de moi ? Mais je ne le connais même pas ! »

« — Il a su que tu viendrais. Il a laissé des messages dans son vieux grimoire ; ton prénom ; et ta description, exacte. Même le fait que tu ouvrirais une boutique ici, à Kiblare. Il t’attendait. »

Je recule d’un pas, le regarde mieux :

« — Mark, c’est… impossible.

— Alors explique-moi comment il connaît ta voix ? » murmure Mark.

La trappe claque violemment.

Je pousse un cri.

Puis une bouffée d’air chaud s’échappe du dessous, comme le souffle d’une bête endormie.

« — Eléna… approche ! »

Mark se poste entre moi et l’ouverture, son bras me repoussant instinctivement derrière lui.

« — Arrière-grand-père ou pas, tu vas rester calme, OK ? » gronde-t-il à la trappe.

Un rire grave remonte du plancher, vibrant, presque… étouffé.

« — Toujours aussi têtu, mon petit Mark. »

J’ouvre des yeux ronds.

« — Il… te parle vraiment ? »

Mark hoche la tête.

« — Il veut sortir, Eléna. Et maintenant que tu es là… il peut. Mais on ne doit pas le libérer n’importe comment. Si on brise le mauvais sceau, on réveille la créature qu’il a enfermée en même temps que lui. »

Je reste pétrifiée.

« — Une créature ?! »

— Oh, rien de très grave. Juste un truc appelé Murmureux. Un esprit qui se nourrit des voix, des souvenirs, et de la chaleur humaine. Sympa pour les soirées d’hiver, quoi. Et surtout en prévision d'Halloween.

— Ce n’est pas drôle !

« — Je sais. Mais si tu paniques, il va le sentir. Et crois-moi, un Murmureux excité, ça ne donne pas envie de l’adopter. »

Je respire profondément, et la trappe se met à trembler.

« — Mark…, dis-je dans un souffle.

— Oui ?

— Je crois que ton arrière-grand-père… essaie de sortir. Maintenant. »

Un dernier craquement retentit, sinistre et humide.

Et une main, pâle comme la lune, se glisse entre les lattes du plancher.

Mark me jette un regard paniqué.

« — Non ! Arthus, arrête ! Ce n’est pas le moment ! »

« — L’heure est venue… » murmure la voix caverneuse.

Et la main s’agrippe au bord.