Prologue - Liturgie d’essence
San Diego, 17h07.
Le soleil descend comme un projecteur fatigué sur la façade de l’église Saint-Jude, patron des causes perdues. Autant dire qu’ici, c’est son royaume.
Oliver Graham termine un sermon qu’il n’a jamais vraiment commencé.
Devant lui, trois paroissiens somnolent, un pêcheur, une vieille dame et un type venu brancher le Wi-Fi du presbytère. Les cierges s’éteignent un à un, comme des excuses qu’on n’a plus envie de donner.
L’encens flotte dans l’air, saturé de chaleur et de doutes. Oliver essuie son front avec la manche de son débardeur blanc. Le col clérical pend dans la poche arrière de son short, entre un briquet et un ticket de pressing jamais utilisé.
Sur l’autel, une planche de surf sèche, posée contre la croix.
— Frères et sœurs, dit-il d’un ton sans conviction, Dieu pardonne tout sauf le manque d’humour.
La vieille dame fait un signe de croix, le pêcheur baille, le technicien du Wi-Fi filme en cachette.
Une mouette entre par la porte ouverte, arrache un morceau d’hostie et s’enfuit. Oliver la regarde partir comme on regarde un miracle trop court.
Au fond, dans l’ombre, Rolinda Bernardotti trie des missels, chignon serré, lunettes au bord du nez, robe beige à fleurs minuscules, l’ordre incarné. Ses clefs tintent à sa taille comme une armure.
Oliver descend de la chaire, approche, s’accoude à la balustrade.
Elle classe, il contemple. Deux mondes qui n’auraient jamais dû se croiser, sinon par accident de destin ou erreur de casting divin.
Quand elle se redresse, un rayon frappe ses lunettes. Il y voit son propre reflet, fatigué, mais vivant.
Il sort son briquet, l’allume machinalement. Une flamme danse sur ses doigts.
— T’as jamais remarqué que la foi et l’essence ont la même odeur ?
— Et la même propension à tout cramer, dit-elle.
Un silence. Puis le bruit d’un liquide qui goutte derrière l’autel.
Le technicien du Wi-Fi avait laissé son bidon de carburant ouvert, pour le générateur.
Une allumette, un réflexe, une illumination.
Oliver souffle trop tard : le monde devient flamme.
L’incendie se lève, majestueux, comme une prière exaucée à contresens. Les vitraux explosent en couleurs de vitriol. L’ange semble applaudir.
Rolinda hurle, Oliver rit. Pas de peur, pas encore, juste ce rire fou de celui qui comprend qu’il vient de mettre le feu à sa propre vie, et que ça sent le début d’autre chose.
Ils courent dehors, bras chargés de bibles noircies, la chaleur leur colle à la peau.
Le ciel, complice, rougeoie de plaisir.
Sur le parvis, ils s’arrêtent, haletants.
Rolinda le fixe :
— Vous venez de commettre un miracle, Père.
— Appelle-moi Oliver. Les miracles, c’est surfait.
— Et vous appelez ça comment, alors ?
— Un teaser.
Elle éclate de rire, malgré elle.
Il regarde le brasier derrière eux, puis la mer au loin.
Le surf, le feu, la foi, tout se mélange.
Et dans cette lumière d’essence et de cendre, le Prophète en solde vient de rencontrer sa gardienne.

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