L'heure de la reconnaissance

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Pour les aviateurs de la quatrième escadrille, l’accalmie des opérations était une bonne occasion de souffler, après le rythme effréné des derniers jours. On pouvait aussi faire le bilan des amis disparus… On comptait déjà trois équipages tués et deux aviateurs évacués pour blessures graves ; d’autres restaient car leurs lésions ne nécessitaient pas d’hospitalisation ni une longue convalescence. Les Breda également avaient souffert. Certains moteurs, rudement sollicités, demandaient déjà à faire valoir leur droit à une retraite anticipée. Les « hommes en bleu » n’allait pas se reposer de sitôt.


Mais en cette chaude matinée d’été, dans les rangs un peu clairsemés du personnel navigant, l’humeur était plutôt à la fierté. Tous les hommes présents sur le terrain de campagne de Stanisobje étaient rassemblés, à l’exception d’une petite partie affectées aux tâches de garde. Pour l’occasion, chemises et culottes avait été lavées, les bandes molletières brossées et les cuirs soigneusement nettoyés et graissés ou cirés. On n’avait pas non plus oublié « d’astiquer les cuivres » : boucle de ceinturons et de baudriers, boutons d’épaulette et étoiles marquant le grade resplendissaient sous le Soleil estival. Le drapeau du bourgmestre avait été emprunté et quelques artisans locaux avaient dû reprendre leurs outils pour confectionner, qui une hampe, qui un baudrier ou des gants à crispins… Devant le reste de leurs camarades, les survivants de la section du vice-lieutenant Ponenko étaient alignés. Piotr avait le bras droit en écharpe, souvenir d’une rencontre douloureuse mais sans gravité avec un éclat d’obus antiaérien. L’équipage du vice-sergent Pietrovski manquait évidemment à l’appel.


Piotr goûtait cette première marque de reconnaissance. Depuis le début de la campagne, le communiqué officiel n’avait de voix que pour la chasse et ces exploits. Le jeune pilote regrettait alors de ne plus faire partie de cette élite triomphante et d’être ainsi relégué dans l’ombre. Il ruminait sa victoire volée et toutes celles qui, à présent, lui échappaient, encore une fois. Se voir enfin nommé, du moins son héroïque fait d’arme et ses deux avions abattus, lui avait mis le baume au cœur. Il l’espérait, c’était le début d’une fulgurante ascension, celle qu’il attendait tant.


Comme de coutume, les officiels étaient arrivés en retard, dans leurs lourdes voitures d’état-major aux chromes rutilants. Des généraux principalement, tous semblables les uns autres avec leurs cheveux blancs, leur épaisse moustache et leur embonpoint de vieux bourgeois. Accueillis par le capitaine Valkalenko, en charge de l’escadrille depuis la disparition du commandant, ils avaient commencé par passer la troupe et les anciens combattants en revue, au son de l’hymne national, joué tant bien que mal par le reliquat de la fanfare du village. Puis les héros du jour avaient été appelés à sortir des rangs. Dans cet instant solennel, l’emblème national claquait doucement sous la brise légère, malmenant le bras du jeune sous-officier préposé à son port.


Devant cinq hommes au garde-à-vous, le torse gonflé d’orgueil, l’un des officiers de haut rang s’avança et lu un ordre du jour pompeux, récapitulant leurs mérites. Les hommes du lieutenant Ponenko avait sauvé leurs camarades fantassins « d’un anéantissement certain, montrant en cette occasion toute l’étendue de leur virtuosité et un mépris crâne vis-à-vis du danger ». Quant au capitaine « ayant insufflé une énergie et un allant foudroyant à ces hommes, [il] était digne des plus grands éloges ». Tout était dit ! Puis, suivi par un aide-de-camp qui les lui tendait, il remit à chacun sa médaille. Aux officiers la Croix de la valeur militaire avec son ruban blanc strié de rouge, aux autres la Médaille de la valeur militaire au ruban strié en sens inverse, pour qu’on ne les confondît pas lorsque ces décorations étaient portées en barrette… Même lorsqu’il s’agissait de reconnaître les mérites et la bravoure des uns et des autres, on avait trouvé le moyen de distinguer les officiers du reste de la troupe ! L’accolade leur était également réservée, leurs hommes devant se contenter d’une poignée de main, évidemment gantée. Malgré cela, Piotr se sentait fier et, quelque part, voyait une injustice enfin réparée.

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