– Y’a pas de radar les jours de pluie, disait la fouine.

Et il avait raison ce con.

Sur la nationale bordée de platanes, la BM frôlait déjà les 150. Les Michelins écartaient les flaques dans des gerbes d’eau. Derrière leurs sillons, suivant la bagnole tel un avion à réaction, un nuage de brume tardait à se redéposer sur le sol détrempé. À côté de moi, Dédé n’en menait pas large. Dédé c’est le frangin de la fouine, d’habitude il est plutôt souriant comme type, mais là il était blême. L’adrénaline et lui, ça fait deux : il n’a jamais su apprécier les moments forts. Alors il faut bien que je lui en mette plein la vue au Dédé, que je le débride. C’est maintenant, et pas à trente piges que tu peux en profiter. Après t’es « azbine », t’as plus la pêche, tu n’as plus qu’à te mettre au coin du feu et enfiler tes charentaises.

Les panneaux, les arbres, défilent le long des vitres latérales. Et bien sûr, pas un seul bleu à l’horizon. Même s'ils avaient voulu prendre une photo de mon bolide, ils n’auraient vu qu’un vague brouillard flou. A cette heure tardive de la nuit, sous cette pluie battante, la plus faible des lueurs se répercute mille fois et t’empêche de distinguer le moindre détail. Mais pas pour moi : moi je connais ce ruban par cœur. C’est comme si je l’avais réalisé moi-même. À force de le fréquenter dans les deux sens, il est devenu une partie de ma vie. Incrusté dans mon cerveau, dans mon subconscient, mon « substitut de conscience » comme dit la fouine. Bientôt 190. Je ne savais même pas que mon moulin pouvait pousser jusque là. Et Dédé qui claque de trouille. Maintenant il hurle. Quelle mauviette !