Réveil d’outre-tombe

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Ce matin, les rayons du soleil viennent doucement caresser le coton clair des rideaux de ma piaule. Dehors, le ciel semble lui aussi se réveiller en écartant lentement les derniers nuages de la veille. Il s’étire comme on repousse peu à peu la couverture chaude, lorsqu’on tarde à vouloir se lever les matins de fin de semaine. Deux ou trois feuilles mortes, victimes obligées de cet automne précoce, dansent gaiement, portées par un vent léger et frais. Dans leur joyeuse valse moribonde, elles refusent de se soumettre à la pesanteur et à leur destinée fatale. Héroïquement, elles veulent prouver au climat capricieux que l’été n’est pas terminé. Les oiseaux viennent jouer en improvisation, une mélodie disparate mais curieusement très semblable à celle de la veille ; comme pour attester, eux aussi, de l'incongruité de ce refroidissement climatique. Ils seront bientôt chassés par des cris plus aigus et plus violents : ceux des jeux des enfants qui sortiront un à un pour se retrouver dans le petit parc, écrin de verdure oublié aux pieds des deux barres d’immeubles.

Je déteste ces matins de week-ends ensoleillés.

Il y a comme un tambour qui frappe de manière régulière et lente entre mes deux oreilles. Mes réveils sont toujours aussi douloureux les lendemains de cuites. L’étau qui comprime mes tempes me rappelle que je suis toujours vivant.

L’être humain est conçu pour connaitre ses faiblesses.

Moi pas !

Lorsqu’il veut bien se donner la peine et prendre le temps de réfléchir, l’homo erectus est capable d’analyser les risques et de jauger précisément ses limites. C’est d’ailleurs un des points qui le distingue de l’animal. Les philosophes diraient également que la conscience d’exister en est un autre. Seulement, dans le feu de l’action, seul le moment présent compte. En tout cas c’est ainsi que ça fonctionne chez moi, surtout si tous les copains en font autant, pourquoi je boirais moins qu’eux ? Et tant pis si demain j’aurais un mal fou à émerger de mon pieu.

Pourquoi ? Pourquoi je n’arrive pas à me limiter dans mes excès ? J’enrage. Je m’en veux. Mon caractère primitif dicte mes actions. J’ai l’impression d’être un Cro-Magnon perdu dans l’espace temps. Que je ne m'adapterais jamais à la civilisation dans laquelle j’ai été projeté. Peut être qu’un jour mon côté humain résistera à mon côté bestial. Peut-être… Peu importe, même si ce jour arrivait, ce serait trop tard, beaucoup trop tard.

En attendant, il faut que j’utilise ma technique mainte fois testée et dite « réveil d’outre bière ». Je me force à fixer un endroit lumineux, c’est douloureux mais ça a déjà fonctionné. Ensuite je me replonge dans l’obscurité totale pour une récupération méritée. Je recommence deux ou trois fois jusqu’à ce que mes sens aient compris que le jour se pointait et qu’il était temps de sortir de cet état de léthargie … à moins que ce ne soit le joueur de tambour qui ait capitulé.

Maintenant j’ai moins mal au crâne. Je commence même à avoir faim. C’est justement l’instant qu’a choisi Nina pour se décider à venir me voir. Nina, elle au moins, on peut dire qu’elle tombe toujours à pic. Du fond de mon pieu je l’entends qui arrive. Déjà son pas résonne dans le couloir, entre l’ascenseur et la porte de l’appart. Déjà ses clés dans le cylindre du verrou du palier. Déjà le froissement de son cuir qu’elle pend avec son sac à main sur le porte-manteau de l’entrée. Et déjà une remarque désobligeante sur le foutoir de ma turne :

– Et merde ! Qu’est-ce t’as foutu hier soir ? C’est Verdun ici !

Hier soir ? Ben c’était la teuf avec mes potes pardi ! Orage oblige, ils n’avaient aucun autre endroit où aller s’abriter. C’est toujours pareil quand il pleut, elle le sait bien, mais elle fait semblant de ne pas s’en rappeler. Elle est comme ça, Nina, elle est atteinte d’amnésie opportuniste, c’est la maladie que la fouine a inventé pour qualifier son père. Enfin, lui il dit « amniaisie ». Il a toujours le mot qui frappe, celui-là. Alors en effet, hier ils étaient tous là. Presque tous. Sauf la fouine bien sûr. Il y avait des pizzas, il y avait de la bière. On a refait le monde, réécrit le code de la route, cassé du sucre sur les fils de bourges qui ont des plus belles bagnoles que nous … Et ça c’est terminé très tard, trop tard pour ranger le bordel.

Elle nous engueule Nina, mais juste après, elle est prête à nous offrir son cœur. C’est pour ça qu’elle fait ce job. Dans le cas présent, elle se met à ranger comme si elle n’avait rien dit auparavant. Après dix ou quinze minutes, l’appart est remis en ordre. L’effet magique d’une tornade qui aurait balayé les vestiges de ma soirée « papiers gras et canettes vides ». Ensuite elle me prépare mon déjeuner et retrouve son sens de l’humour :

– Alors fainéant, toujours pas levé ? Tu attends quoi ?

Et j’attends sa remarque habituelle qui m’inciterait à sortir de l’appart :

– Je la gare où ta Ferrari ? Tu vas t’en servir aujourd’hui ?

Elle connaît ma réponse Nina, mais elle aime bien m’agacer avec ça. Alors je lui dis que non, je ne vais pas m’en servir et que je vais rester coucher et qu’elle peut aller la garer sur Mars ou Neptune, et que j’en ai rien à péter !

– Arrête de faire ta tête des beaux jours ! Je sais que la météo prévoit un soleil radieux pour le reste de la semaine, mais tu es le seul mec que je connaisse qui n’attende que la pluie.

Bien sûr, elle ne peut pas se mettre à ma place. C’est le week-end. Les potes vont sans doute profiter du soleil pour aller fumer au bord du plan d’eau, ou jouer au foot de rue sur la Grand-Place ? En tout cas, ils ne viendront certainement pas ici. Je ne leur en veux pas du tout, c’est naturel, ils ont raison d’en profiter : qui souhaiterait venir s’enfermer avec un infirme lorsqu’il fait un temps à s’éclater dehors ?

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