Morituri te salutant

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Maintenant que je suis un boulet, inutile et surtout indésirable, j’ai évidemment longtemps étudié la façon de disparaître de ce monde. J’ai tout d’abord réfléchi à la forme, s’il fallait que ce soit spectaculaire ou classique, ou si j’avais un message à transmettre pour l’occasion. J’en suis rapidement arrivé à la conclusion que mon départ devait rester neutre. Disparaître comme j’avais existé. Sans que personne ne s’en aperçoive.

Mais je me suis ensuite heurté au problème du « comment ?». Si je possédais tous mes moyens, ce serait plus simple, j’irai sur une voie ferrée, je monterai sur le toit, ou plus simplement la fenêtre. Mais pour quelqu’un qui n’arrive même pas à descendre de son lit... C’est pathétique ; comme une tique sur une patte, rajouterai la fouine.

Je ne mangeais déjà plus beaucoup, c’était un bon début. Cependant ce n’était pas un choix et ce n’était pas pour cette finalité que j’avais réduit mon alimentation. Je n’avais plus le plaisir de manger, c’est tout. Mais de là, à terminer sur une grève de la faim, c’est beaucoup trop long, et on aurait de toute façon fini par m’injecter des compléments par intraveineuse.

Et puis peu à peu, Nina m’a fait comprendre qu’il y a plusieurs façons de vivre, ou de trouver une raison de vivre, à moi de trouver la mienne. Pour l’instant je n’en ai toujours pas, mais je me raccroche à des petits bonheurs simples. La visite de mes potes en fait partie.

Ils viennent me voir parfois, quand le temps est à la pluie et qu’ils n’ont rien à faire. Alors on discute, on écoute du rock ou du rap et ils font comme si rien n’avait changé. Certains soirs, ils me traînent même au ciné, lorsqu’un film d’action plaît à tout le monde. Ils m’emmènent sur mon fauteuil roulant, celui qu’ils ont repeint en rouge. Faut voir comment ils l’ont arrangé mon fauteuil. Avec des roues pleines, piquées sur un handisport, des chromes, des rétros et une trompe d’avertisseur, il est tout sauf discret. Ils se battent tous pour me conduire, parce que mes bras ne sont pas assez solides pour le faire avancer tout seul. Comme ils l’appellent ma « Ferrari », ils m’ont même collé un cheval cabré sur le dos du siège.

Mon handicap a permis au moins une chose, faire le tri dans mes potes. Seuls ceux qui valent vraiment le coup sont restés.

Le groupe se limite maintenant à cinq pelés. Avec Joris, dit Jojo le tombeur : c’est le beau gosse de la bande. Le-Rom qui est un mécano hors pair, capable de démonter une bécane en temps record. Mais pour la remonter c’est une autre histoire. Schwarzi qui passe son temps à la salle de muscu, fait la loi dans le quartier quand il gonfle ses pec et qui a toujours la trouille de sa mère. Et les Polaks Edward et Ludwik, inséparables Polonais : Ed (Edward) l’intello, parce que c’est le seul de nous qui a réussi à passer son bac en ne redoublant que trois fois, et Ludo (Ludwik), son complice des bons coups et surtout des mauvais.

Ces cinq gars-là sont mes béquilles. Ils me tiennent debout depuis le crash. Tous les autres sont partis. Ce sont les seuls que j’ai revu à mon réveil. Même la fouine n’est pas revenu. Mon meilleur pote, avec qui j’avais les mêmes passions, avec qui je passais toutes mes journées, à qui je disais tout et qui ne me cachait rien.

Mais lui c’est différent. J’ai accepté sa douleur.

J’aurais pourtant aimé qu’il me fasse un signe, qu’il m’explique sa haine pour que je comprenne ce qu’il ressent. Et peut-être, peut-être… qu’il me pardonne un jour d’avoir tué Dédé, d’avoir tué son frère…

Quelque part, la fouine me manque.

Quelque part, je suis soulagé de ne pas le voir.

C’est étrange ce sentiment. Étrange et terriblement flippant. Je ne saurais même pas quoi lui dire s’il revenait. Tout dépend de ce qu’il pense de moi. J’aimerais savoir ce qu’il pense de moi. Ça faciliterait bien des choses. Je pourrais préparer mes répliques, et surtout ne pas aggraver la situation. Car ce qui est fait est fait, je ne peux pas le changer. Mais l’avenir… ? Dans un avenir idéal, je nous vois à nouveau complices. Comme si rien n’avait changé, à rire aux mêmes conneries, à écouter les mêmes solos, à échanger les mêmes opinions inutiles sur des sujets débiles. Je kiffe à l’idée de partager des moments de vie avec ma nouvelle équipe, mais je sais que ce ne sera jamais parfait tant que la fouine ne nous aura pas rejoints.

Mais je crève à l’idée qu’il revienne.

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