4.3 Prémices amoureux

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Aujourd'hui, Solène m'emmène patiner. Je n'ai jamais fait de type de sport. On a pris des vêtements chauds. La patinoire est grande, avec deux pistes. Une petite décorée façon discothèque avec de la musique et une grande, sans musique ni décor avec des gradins autour. Solène m'explique que c'est une piste de hockey et qu'il y a des matchs de temps en temps. J'observe les femmes qui glissent sur la glace avec facilité, tels des oiseaux. Il y a très peu de reproducteurs. La plupart travaillent pour l'établissement. Seulement trois sont comme moi, sur l'étendue gelée, gauches et maladroits.

Solène patine avec facilité et grâce. D'une beauté irréelle, on dirait qu'elle vole. Elle effectue des figures et des sauts avec une amie. Elle a pitié de moi qui n'ose pas me détacher du bord, me prenant les mains pour me tirer doucement. Telle une mère apprenant à son enfant à marcher, Solène me fait glisser jusqu'à elle, montrant les mouvements avec patience en glissant son bras sous le mien pour me tenir et patiner avec moi. Solène me dit de prendre appui sur elle. On avance doucement. Son amie est aussi avec son reproducteur. Il se débrouille mieux que moi. La jeune femme est un peu plus âgée que Solène, quatre ou cinq ans de plus.

Les filles discutent tandis que je tente de ne pas choir au sol tel une crêpe. Elles se connaissent depuis l'enfance. Elles bavardent de fringues, de recettes de cuisine. La fille a appris à son reproducteur à patiner, depuis quatre ans. C'est pour cela qu'il est plus à l'aise. Nous faisons plusieurs tours de la grande piste à mon rythme. Les filles sont d'une patience angélique avec moi. Elles nous parlent avec gentillesse à moi et à l'autre garçon. Elles s'assurent qu'on supporte le froid.

L'amie de Solène tient la main du garçon avec tendresse. Ils se caressent les mains mutuellement du bout des doigts. Ils semblent être heureux ensemble. J'aimerais tenir la main de Solène ainsi. Pas pour l'instant sinon je vais finir à terre, mais tout à l'heure, quand on sortira. Je rêve depuis des jours du moindre contact tactile avec la divine créature qui hante ma demeure et mes pensées.

Les filles parlent de la future grossesse de l'amie. La Vice Suprême incite fortement les filles à se reproduire très jeunes. Des primes à la naissance, en fonction du résultat génétique de l'enfant. Plus le test donne un chiffre élevé, plus la femme est payée. Une somme qui augmente en cas de deuxième ou troisième enfant. Un petit pactole non-négligeable. Des rappels et des courriers de propagande de sa politique d'encouragement à la procréation sont régulièrement envoyés aux jeunes femmes en âge de procréer.

Les femmes enceintes sont chouchoutées, adulées, traitées comme des reines. Malgré cela, le taux de natalité commence à chuter. Comme de nombreuses jeunes femmes, l'amie de Solène craint de tomber enceinte. Si c'est un garçon, il lui sera retiré. Elle ne veut pas cela. Alors elle préfère ne pas avoir d'enfant plutôt que de prendre ce risque. En plus, elle apprécie son reproducteur. Si elle a un enfant, il devra la quitter, pour favoriser la mixité génétique. Elle ne veut pas le perdre. J'écoute attentivement les filles parler. Ce qu'elles disent est tellement différent de ce qu'on nous apprend à l'orphelinat, si juste en même temps. Tout cela me laisse perplexe et interrogateur quand à l'éducation que j'ai reçue.

Depuis que nous sommes enfant, on apprends aux reproducteurs leur rôle et l'importance de féconder les propriétaires successives que nous aurons au cours de notre vie. C'est notre devoir et notre raison de vivre. La reproduction est un besoin vital que nous devons satisfaire. Obéir à notre propriétaire, la combler de joie de notre mieux et la remercier de prendre soin de nous en lui permettant d'enfanter. C'est notre seule utilité dans ce monde. Nous sommes de vils animaux que les femmes ont bien voulu sauver de l'extermination et éduquer et nous devons leur rendre grâce chaque jour pour ce miracle.

Quand nous parvenons à réaliser le bonheur ultime de notre propriétaire, nous sommes récompensés par trois mois de soins, à la mer ou à la campagne où nous pouvons manger ce que nous voulons, faire ce que nous souhaitons et surtout reprendre des forces avant de rendre heureuse une nouvelle femme. Nous devons tout faire pour combler notre propriétaire et en changer le plus rapidement possible. Mais les filles et le reproducteur en face de moi ne semblent pas d'accord avec cela.

Son amie est partie. Solène m'offre un chocolat chaud à la cafeteria de la patinoire pour me réchauffer. Elle aussi a froid. Je veux lui donner mon pull, elle refuse. Alors je la prends sur mes genoux et la serre dans mes bras. Je lui frotte le dos, les bras et les cuisses pour la réchauffer. Elle rit. Mes attentions la touchent. Solène me dit que je suis gentil, se blottit contre moi et pose sa tête contre mon épaule. On reste plusieurs minutes enlacés. On discute des courses à faire en rentrant, des aliments et des plats que j'aime.

Solène m'interroge sur les objets que je voudrais m'acheter. Elle aimerait avoir un petit animal domestique, sa mère lui défendant auparavant. On débat des possibilités entre le chat, le chien et le lapin. Je n'y connais rien donc j'écoute Solène et suis d'accord avec tous ses propos. Je bois ses paroles , captivé par sa voix chantante et envoûtante. Je crois qu'elle aimerait un petit chien toutefois, elle n'ose pas se lancer.

Solène est si douce. Je prends doucement sa main et la porte à mes lèvres. Ma jolie squatteuse de genoux se cache dans mon cou. Je sens qu'elle rougit, comme à chaque fois que je la touche. Là, en plus, on est en public. Moi, je suis dans ma bulle de bonheur, un ange assis sur moi.

Solène est belle. Solène est douce. Solène est gentille. Je suis fier d'être son reproducteur. Je suis tellement heureux de prendre soin d'elle. Je m'orgueillie de la rendre heureuse par mes petites attentions. Quand elle me laissera exécuter l'acte de procréation, je serais comblé de lui donner du plaisir, même plusieurs fois par jour si elle le veut. Je suis à elle. Elle peut me demander tout ce qu'elle désire. Je la protégerais contre tous ceux qui lui voudront du mal. Je donnerais ma vie pour ma propriétaire.

Je couvre sa main et son poignet de bisous. Solène sort la tête de sa cachette. J'en profite pour l'embrasser avec douceur. Elle accepte et me rend mon baiser. Je la serre fort. Elle pose sa main sur mon visage. Nos lèvres refusent de se séparer. On perd la notion du temps. J'entends des gens faire des petites blagues sur nous. Ils nous trouvent mignons. Solène ne les entend pas. Elle est tout à moi. À mes lèvres. Je suis tellement heureux.

C'est une serveuse qui vient rompre le charme en débarrassant nos tasses. Bien qu'elle ait tout fait pour être discrète, elle fait revenir Solène à la réalité. Ma chérie comprend qu'on vient de se montrer tactiles devant tout le monde pendant deux heures. Je souris, elle rougit. Elle me tapote le torse.

— Ce n'est pas drôle. Ne souris pas. Arrête de rire. Je ne sais plus où me mettre maintenant. C'est malin.

Je ne peux m'empêcher d'exposer toutes mes dents à la lumière. La plupart des gens autour de nous rient aussi devant la vaine tentative de Solène de me gronder. Elle me pointe du doigt. Je saisis son visage entre mes mains et recommence à l'embrasser.

— Arrête. Arrête tout de suite de rire. Ce n'est pas bien ce que tu as fait. Tu devrais avoir honte.

Je ne prends pas ses menaces au sérieux et retente de l'embrasser. Mon bonheur est si grand que je me sens courageux et entreprenant.

— Non. Si tu continues, je fugue.

J'approche mon visage du sien en souriant, heureux. Nullement effrayé par ses menaces, je m'apprête à dévorer de mes lèvres le visage de ma madone.

— Si tu veux m'embrasser, va falloir venir me chercher.

Solène saute de mes genoux, cours vers la glace et recule d'un mètre sur la glace. Je me lève et pose le pied sur la surface glissante. J'essaye d'avancer. Elle recule juste un peu au fur et à mesure que je progresse, pour paraître à ma portée. Elle me fait refaire le tour du terrain en riant de cette manière. Jusqu'à ce que je me lance d'un grand coup, parviens à l'attraper et nous tombons tous les deux les fesses par terre. Elle éclate de rire. Je l'embrasse de nouveau.

Solène me permet de la suivre dans la plupart de ses activités extérieures. Aujourd'hui, il y a un gala, organisé par sa mère. Elle doit la remplacer publiquement. Solène porte une jolie robe noire très serrée mettant ses merveilleuses formes en valeur. Elle a mis un collier et des boucles d'oreilles, de jolis bracelets. J'ai enfilé un beau costume. Les dames ont toutes mis de beaux vêtements. Elles présentent des chiffres et des photos, les bébés nés cette année. Les femmes enceintes qui vont bientôt accoucher, le nombre de garçons et de filles. La proportion de Deltas, d'Epsilons, de Gammas et de Zêtas. Le nombre de filles et de garçons promus cette année. Ceux qui le seront l'an prochain. C'est pompeux et élogieux envers Sophie.

Pourtant, d'année en année, ce chiffre diminue. Il y a moins d'enfants. Moins de garçons. Il y a de plus en plus de Zêtas en proportion. De moins en moins de Deltas. Cela, elles ne le disent pas. Je m'ennuie. Je fais bonne figure pour Solène. Je regarde autour de moi. De tous les reproducteurs présents, je suis le seul qui semble ne pas avoir de problèmes pour marcher et bouger. Les belles dames leur ont mis des beaux vêtements, mais en privé, ils doivent ne pas être traités correctement. Je suis le seul à regarder avec amour sa propriétaire.

D'un autre côté, Solène est un rayon de soleil de beauté au milieu de ces femmes aigries. J'ai surpris un des reproducteurs à scruter trop attentivement sa chute de reins quand elle passait entre les tables. Je me suis rapproché de lui et lui ai dit que s'il continuait, je lui ferais bouffer la table pour qu'il baisse le regard. Les douces courbes dorsales de Solène sont à moi. Il a ri.

— Doucement gamin. Laisse moi me rincer l'œil. T'as un bol monstre. Tu ne dois avoir aucun mal à la féconder celle-là. Laisse moi au moins le plaisir des yeux. C'est le seul qui me reste.

Il a raison. En lui choppant le cou, j'ai vu les marques de brûlures du collier. Mais ce n'est pas une raison pour reluquer ma Solène. Enfin, les discours barbants se terminent. La musique commence. Je sais danser. J'entraîne mon ange sur la piste. J'ai tant d'enthousiasme à la secourir loin des mégères qu'elle rit.

— Excusez le. Il ne tient pas en place et a des fourmis dans les jambes.

Je l'ai enfin dans mes bras. La musique est douce. C'est un slow. Tant pis pour la timidité de Solène. J'entoure sa taille d'un bras pour la plaquer contre moi, ma main placée très bas sur ses reins. Je saisis son autre main. Je la mets au défi du regard de me retirer la main. Nous dansons.

— Si je te marche sur les pieds, ça sera de ta faute.

Je souris. Elle accepte la proximité en public. Je me rapproche encore. Nos visages sont l'un contre l'autre. Je m'amuse à lui souffler dans le cou et lui faire des petits bisous volés. Mes bêtises la font rire et se détendre. Solène déteste ses galas. Elle me l'a dit avant de venir. Je vois les gens autour de nous un peu jaloux. Les femmes de la tendresse que je lui apporte. Les hommes de la douceur dont elle fait preuve envers moi et de ma main flattant sans honte le bas de son dos.

Les danses s'enchaînent pour mon plus grand bonheur, Solène reste sur la piste avec moi. Elle se doit de rester tard vis-à-vis de sa mère. Danser est un bon passe-temps pour éviter les discours des mesquines. J'aime sentir son corps en mouvement contre moi. On est très proche l'un de l'autre. Je promène mes mains sur elle. Mes lèvres dans son cou ou sur ses épaules. Je crois que toute la salle a compris combien j'ai envie d'elle. Alors qu'elle part quelques minutes aux toilettes, l'homme avec qui j'ai échangé des mots tout à l'heure se rapproche.

— Profite gamin. Profite. Ça ne durera pas. Un jour, elle voudra un enfant et tu lui refuseras. Ou bien, tu lui feras, devras la quitter et seras attribué à une mégère. Profite. Profite un maximum. Bientôt, le rêve s'effondrera.

Solène revient. Je continue de la câliner, mais ne peux m'empêcher de repenser au ton triste et résigné de l'homme. Ses mots m'ont fendu le cœur et me le serrent de manière inexplicable. Comme un mauvais pressentiment.

Depuis le gala, je ne me sens pas bien. Je suis tracassé. Les mots de l'homme me trottent dans la tête. Il n'y avait aucune méchanceté dans ses propos, juste du désespoir. Je ne vois plus les choses de la même manière. Je commence à trouver injustes les punitions que subissent certains reproducteurs.

Alors qu'on était au parc en train de promener, j'ai vu une femme faire courir son reproducteur derrière son vélo. Le pauvre avait du mal à tenir le rythme. Il transpirait à grosses gouttes. Il a fini par tomber dans les pommes. J'ignore ce qu'il avait fait, mais rien ne justifie une telle punition. Le reproducteur a fait une insolation et été déshydraté. Sa propriétaire l'a frappé pour qu'il se relève.

Il a fallu que plusieurs femmes autour prennent la défense du pauvre homme pour que la femme cesse de le frapper. Il était à bout de force. Sa propriétaire le traitait de faible et d'incapable. Il se faisait insulter. Dans son état, il lui était impossible d'effectuer le devoir de procréation. Nos propriétaires doivent prendre soin de nous. Pour que nous soyons en forme pour les féconder. Elles doivent nous punir si on est désobéissants, mais doivent rester juste. Ce que subit ce reproducteur n'est pas acceptable et correct.

Je réalise que ce qu'on nous apprend à l'école est loin de la vérité et du quotidien vécus par les reproducteurs. Solène est douce. Elle n'est pas comme les autres femmes que je croise. Peut-être parce que je suis son premier reproducteur. Je m'aperçois que beaucoup de femmes se défoulent sur leurs reproducteurs à la moindre contrariété, sans raison valable.

Comme cette femme qui a giflé son reproducteur alors qu'elle avait cassé son talon. Il l'a rattrapée à temps et empêchée de tomber au sol. Toutefois, il a reçu une gifle et des insultes, alors qu'il n'y était absolument pour rien. Ce qui m'a le plus choqué, c'est l'air résigné du reproducteur. Il semblait en avoir l'habitude.

L'indifférence générale aussi m'a mis mal à l'aise. Solène a détourné les yeux, ne voulant pas voir. C'est la première fois que l'attitude de Solène me gêne. Bien sûr que ce qui se passe entre cette femme et ce reproducteur est privé, mais quand même. Se taire, c'est accepter ce genre de comportement. Je ne peux pas faire le moindre reproche à Solène. Pourtant, depuis le soir de gala, je ne la vois plus avec les mêmes yeux. Je ne vois plus le monde qui m'entoure avec les mêmes yeux.

Les paroles de ce pauvre reproducteur m'ont mis une claque imaginaire, enlevé la poudre aux yeux. La plupart des femmes n'ont aucun respect ni aucune compassion pour leurs reproducteurs. Ils sont à leurs yeux que de simples objets, ayant moins de valeur qu'un chien ou un chat. Je pense même que si les femmes pouvaient se passer de nous pour se reproduire, il n'y aurait plus aucun reproducteur sur la terre. J'ai de la chance. Solène est bienveillante, peu sont comme elle. Peu de femmes prennent soin de leur reproducteur.

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