Chapitre 4

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Chapitre 4 - La robe d'une reine

Ariena ferma les yeux, priant être dans un énième cauchemar, mais lorsqu’elle les rouvrit elle était toujours face à lui. Elle plongea son regard dans celui de son nouvel ennemi, cherchant l’espace d’un instant le réconfort que lui offrait celui de son ancien ami. Mais elle ne le trouva pas. Elle se perdit à le détailler furtivement. Il était devenu si beau et si hideux à la fois.

Il lui prit les mains pour l’aider à se relever. Elle se remémora lorsqu’il faisait ce même geste pour l’emmener jouer.

— Ariena, relève-toi ! lui cria-t-il en courant à grandes enjambées.

Dans les jardins, la neige tombait en silence, et la princesse venait de glisser sur une plaque de verglas.

La fillette, pas plus haute que trois pommes, leva vers lui un regard embué de larmes. D’une main, elle se frottait le genou meurtri ; de l’autre, elle ramassait en cachette une poignée de neige.

— Mais je me suis fait mal, Horios… C’est pas drôle, tu cours trop vite !

Le jeune prince fit demi-tour et revint vers elle à grandes foulées. — Donne-moi tes mains, je vais t’aider. Tu n’as rien ? Ça va ?

En guise de réponse, elle lui tira la langue et lui lança sa boule de neige en plein visage.

— Ne jamais baisser sa garde face à une demoiselle en détresse ! lança-t-elle, victorieuse.

Surpris, Horios secoua la tête, faisant voler les flocons collés à ses joues rougies par le froid. Ils éclatèrent de rire. Et main dans la main, ils reprirent leur course à travers les jardins enneigés du palais, perdus au milieu des flocons dans une insouciance d’enfant.

Ces mains n’avaient pas changé. Elles étaient toujours aussi douces et chaudes. Elle ne voulut pas les lâcher et osait espérer que ce contact allait les réveiller. Elle cherchait en lui le repère qu’il avait été lorsqu’ils étaient encore petits. Mais il se détourna, trop vite, et son espoir se brisa. En face d’elle, ce qu’elle voyait semblait factice. Il n’était plus qu’une coquille vide. L’ombre de lui-même rempli de haine et d’amertume.

Horios, que t’est-il arrivé ?

Il se tenait là, presque trop parfait. Sa silhouette élancée aux gestes mesurés dégageait une élégance dangereuse. Ses cheveux d’un noir de jais encadraient un visage devenu froid, et sa peau pâle accentuait l’éclat glacial de ses yeux argentés. Ils la transperçaient sans la voir. Plus rien n’y brillait, sinon une lueur lointaine et oubliée. Cette beauté n’avait plus rien de vivant. C’était un masque, une façade figée.

Il lui sourit et lui indiqua un coin de la pièce. Elle le suivit du regard et la vit. C’était une tenue, posée sur un mannequin. Non, c’était sa robe. Horios la prit par la taille. Ensemble, ils s’avancèrent vers le vêtement maudit.

– Je l’ai commandé spécialement pour toi, lui dit-il, dégageant une mèche tombée sur son visage.

Ariena eut envie de la détester, mais en réalité, elle n’avait jamais vu de parure aussi magnifique que celle-ci. Elle s’approcha, émerveillée, et caressa le tissu.

De la soie.

La douceur sur sa peau contrastait avec la rugosité des couvertures qu'elle avait connues ces derniers jours. C’était une véritable robe de princesse. Non, c'était celle d’une reine. Elle avait une longue traine blanche, un bustier agrémenté de légères volutes dorées et des manches tombantes telles un voile d’or constellé. Le décolleté était surmonté d’un incroyable collier d’or.

– Pour aller avec tes yeux, lui chuchota-t-il dans le creux de l’oreille.

Un instant, elle s’imagina la porter, mais rapidement, se remémora les raisons de cette création et elle fut prise de nausée. Porter cette robe, c’était capituler. C’était dire oui à la cage dorée, à l’amour défiguré et au royaume volé.

À côté du mannequin se tenait un grand miroir. Elle osa jeter un regard, pour ne voir que le reflet d’une jeune femme qui ne lui semblait pas familier. Elle-même semblait devenir une étrangère, l’ombre d’elle-même. À côté de lui, elle était si petite, si faible. Son visage était marqué par la tristesse des précédents jours et des nuits sans sommeil. Physiquement, elle ne pourrait jamais rivaliser contre lui.

Voyant l’éblouissement quitter le visage de la jeune femme pour devenir de plus en plus blême, Horios la prit par les épaules et la détourna de cette tenue d’apparat pour l’emmener vers les grandes fenêtres.

–Alors, que choisis-tu Ariena ?

Son regard se perdit vers ce monde extérieur, celui qu’elle n’avait jamais pu effleurer. Devait-elle définitivement renoncer à cette liberté qu’elle avait tant désiré ? C’était son rôle, elle était une reine désormais. Elle se devait de défendre son peuple face à la colère du futur régent.

Horios la força à se tourner vers lui, sortit de sa poche une petite boîte et l’ouvrit. Pas de genoux à terre. Simplement, il lui adressa une bague. Une somptueuse alliance d’un or pâle surmontée d’une énorme pierre précieuse rappelant le collier impérial. Mais que pensait-il ? Qu’il pouvait l’acheter avec quelques luxueux trophées ?

De nouvelles larmes montèrent aux yeux de la jeune femme, mais cette fois c’était de la colère. D’un geste vif, qui elle-même l’a surpris, elle frappa la boîte et l’anneau roula à terre.

– Tu peux m’adresser les plus beaux produits du pays, jamais tu ne pourras réparer ce qu’en moi tu as brisé. Si j’accepte de t’épouser, c’est uniquement par devoir, non par volonté et encore moins par envie, cracha-t-elle.

Il eut un léger mouvement de recul, car dans ses yeux il vit du feu. Mais il se ressaisit, il ne pouvait pas être effrayé d’elle. Elle était trop faible pour se soulever, il le savait. Il soutint son regard, et ce fut l’or contre l’argent.

– Et de quoi penses-tu pouvoir les protéger ?

– De ta monstruosité.

Il éclata de rire. Un rire franc qui sembla si sincère qu’il déstabilisa la jeune femme un bref instant. Il résonna dans sa mémoire comme un écho du passé. Pourtant le Horios d’hier était si loin de celui d’aujourd’hui.

– Soit, qu’il en soit ainsi. reprit-il un sourire au coin, dans un air de défi.

Des bruits s’élevèrent du rez-de-chaussée. Soudainement, leur duel fut interrompu. Un soldat entra à la hâte dans la chambre princière sans même s’annoncer.

–Mon seigneur, une attaque !

Il avait l’arme à la main et du sang tachait son armure.

– Où et qui ? demanda froidement Horios, surpris par cette nouvelle inattendu.

– Dans l’enceinte de la cour, les mercenaires n’ont pas encore été identifiés. Ils sont nombreux, mais reste en sou-effectifs face à notre armée et…

Horios leva un bras pour le faire taire.

– Réunit les autres et allez défendre notre territoire, lui ordonna-t-il.

Il se tourna ensuite vers Ariena.

– Tu vois ce qu’il t’attend dehors ? La liberté n’existe pas, lui adressa-t-il presque ravi de cette intervention inopiné. Ne bouges pas d’ici, je reviens très vite. Ajouta-t-il en lui faisant un baise-main sans la quitter du regard.

– Vous ! Rattachez-la et dépêchez vous de rejoindre vos compères ! enjoindra-t-il aux gardes qui l’avaient conduite jusqu’ici.

Horios parti sans même se retourner, et claqua la porte derrière lui. Les deux gardes s’approchèrent de la jeune femme, prirent ses poignées cette fois-ci et y enroulèrent des chaines. Cependant, elle n’entendit pas de cliquetis. Et lorsque les deux gardes quittèrent la pièce, les chaines tombèrent. Étais-ce à cause de ce voile qui leur obstruait la vision qu’ils n’avaient pas réussi à bien l’attacher ? Pour une fois, elle remercia silencieusement ses parents de l’avoir cachée.

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