Chapitre 3

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Chapitre 3 - Une liberté volée

Alors que son regard divaguait, s’échappant de la triste réalité, un coup à la porte la sortit brusquement de sa rêverie lointaine. Sans attendre de réponse, une servante entra.

— Ma Dame, Monsieur souhaite vous voir.

La femme était petite, coiffée d’un bonnet gris duquel quelques mèches brunes s’échappaient. Elle portait une robe de la même couleur qui semblait usée et rafistolée à certains endroits.

– Il dit que c’est pour ce soir, annonça-t-elle, les yeux rivés sur le sol.

C’était la règle.

Aucun domestique ne devait regarder la princesse dans les yeux. Et ce, depuis toujours. Seuls quelques gardes rapprochés du roi et son unique nourrice avaient eu ce privilège.

Ariena remarqua que son visage était marqué par deux profondes cernes. Ses joues étaient creusées. Il était impossible de lui donner d’âge. La princesse s’interrogea, les domestiques du palais étaient-ils bien traités ?

Puis le sens des paroles lui revint comme un coup de poignard. Il allait donc le faire. Elle était trop faible pour répondre, trop anéantie pour résister. Peu lui importait : son royaume n’était plus et elle ne pouvait lutter contre un inconnu.

En quittant la pièce, la femme céda la place à deux gardes. Ils avaient les yeux bandés. C’était la règle.

Ces tissus qui couvraient leur regard ne l’avaient jamais effrayée, mais elle s’était toujours demandée comment ils faisaient pour s’orienter. En réalité, leur vision voilée les empêchait seulement de distinguer les traits d’une enfant trop précieuse pour être montrée. Il ne les portaient pas en permanence, seulement en sa présence.

Elle tenta de s’asseoir au bord du lit, mais sa jambe engourdie la trahit. L’un des gardes s’avança et sortit une lourde clé. D’un simple cliquetis, il fit tomber la chaîne à ses pieds. Le vertige la prit aussitôt, et elle retomba sur le matelas. Cela faisait trop de jours qu’elle n’avait pas quitté ce lit. Les deux hommes l’encadrèrent et la soulevèrent pour la mettre debout. Jamais, sous le règne de ses parents, un soldat ne s’était permis de poser la main sur elle. Mais aujourd’hui, même ces murs lui semblaient étrangers.

En la traînant presque, ils sortirent de la petite chambre et longèrent un long couloir éclairé par de multiples chandeliers d’où la cire coulait. Ils empruntèrent le grand escalier pour descendre au niveau des chambres royales. Ils la menèrent jusqu’à cette porte familière, celle où elle avait passé de longues heures à rêvasser, mais aussi celle où elle s’enfermait lorsqu’elle était triste ou en colère de ne pas pouvoir aller au-delà du palais. Sa propre chambre. Jamais elle ne s’y était sentie écrouée. Pourtant, plus que jamais aujourd’hui, c'est ce qu’elle ressentait.

Dans la pièce, Horios était présent, puissant, dressé devant l’immense fenêtre qui surplombait un balcon donnant sur les jardins royaux - ceux qu’ils avaient pendant si longtemps parcourus ensemble. Lorsqu’ils entrèrent, il se tourna vers elle et, d’un simple geste, les deux gardes la lâchèrent. Ariena tomba à genoux, épuisée par les quelques pas qu’elle avait faits.

Il s’approcha doucement vers elle et entama un discours qu’il avait certainement préparé.

– Nous sommes les derniers héritiers de deux lignées sacrées. Ensemble, nous pouvons unir les royaumes et mettre fin à la guerre, entama-t-il un sourire mauvais aux lèvres, que préfères-tu ? L’exil ? Le chaos ?

Elle fut happée d’une tristesse violente. De quelle guerre parlait-il ? Celle qu’il avait choisi de provoquer sans la moindre once de pitié ? Détruire un peuple entier pour obtenir sa clémence et sa soumission ? La guerre et la haine n’apportaient jamais rien de bon. Et il en était la preuve incarnée.

— Je préfère être libre, murmura-t-elle.

Il s’approcha d’elle, envahissant son espace et s’agenouilla pour lui relever le menton. Ariena ne cilla pas et plongea son regard dans le sien. Dernier acte de résistance dont elle était capable.

— Et moi, je préfère que tu sois en vie. Le monde dehors ne te fera pas de cadeaux.

Et elle le crut, n’ayant jamais quitté sa Tour d’argent qui l’abritait. Elle ne serait jamais libre.

Adolescente, elle s'était réfugiée dans la lecture. Cet univers de textes et d’images lui avait permis de découvrir la vallée de Valmère sans sortir du château. Elle connaissait même le territoire d’Umya duquel elle avait appris chaque recoin pour impressionner Horios. Et cette forêt, toujours et encore, était au centre de nombreux récits et fables tantôt mystique, tantôt menaçante. Elle avait passé des journées entières dans la bibliothèque royale à lire des écrits sur les légendes de la forêt.

Durant toutes ces années, ses parents l’avaient empêchée de quitter le palais. Pourtant, elle souhaitait tellement arpenter les chemins tracés qu’elle s’était inventé à travers les textes. Ils la disaient spéciale. Mais face à Horios, elle se demandait s’ils ne s’étaient pas simplement trompés. Elle avait s éprouvé de la colère et de l’incompréhension envers le roi et le reine pour l’avoir gardée enfermée pendant toutes ces années. Pourtant, elle savait que c’était pour sa sécurité. Ou bien était-elle juste trop naïve pour y croire.

Un jour, elle était tombée sur un vieux livre à la couverture cossue orné de dorures. Il portait le titre suivant Manuscrit des Anciens. En l’ouvrant, elle avait plongé dans des textes aux multiples graphies relatant les mythes et légendes de Valmère et d’Umya, celles que l’on conte aux enfants le soir pour les endormir. C’est ainsi qu’elle avait compris.

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