Vendredi 28 Mai
Dao se prépare pour aller travailler, et comme à son habitude, elle est en retard. Presque une semaine s’est écoulée depuis la dernière fois qu’elle a vu Nico en boîte de nuit, d’ailleurs elle n’a pas revu non plus Samir. Cette semaine a été difficile pour Dao, en vue des derniers examens qui approchent à grands pas, elle a passé beaucoup de temps à réviser. Elle ne peut pas se permettre d’échouer, car elle le sait, si elle subit un échec maintenant, elle devra mettre de côté ses études pour un temps. Les finances de ses parents et ses petits revenus ne suffisent plus en effet à pourvoir à ses dépenses. Et après tout les sacrifices qu’on fait ses parents, Gho et Srey-La, en travaillant dur dans leur petit restaurant de famille, elle n’a pas le droit de faillir.
« Salut Nöng Sâo, dis-moi, tu penses qu’un jour tu arriveras à l’heure au travail ? lui demande Nico dès son arrivée.
—Franchement, je pense pas ! Mais bon, on sait jamais, tout peut arriver dans la vie, regarde, y’a bien une fille qui t’a laissé son numéro la semaine dernière. Et peut-être même qu’un jour tu coucheras avec une fille ! Dao ponctue sa phrase en envoyant un clin d’œil à Nico.
—Peut-être que ce jour là est déjà arrivé, mais que… Nico vient d’être interrompu par la voix du directeur :
— Dao, je peux vous voir quelques instants s’il vous plaît ?
—Oui bien sûr, j’arrive de suite ! s’empresse de répondre Dao. Puis elle se tourne vers Nico et lui souffle à mi-voix : et merde, je vais encore me faire engueuler pour mon retard… »
Dao partie, Nico reprend son activité. Depuis le début de la semaine, il est perdu dans ses pensées. Cela n’affecte pas trop son travail car, après des années à servir les mêmes clients, il a pris des automatismes sur lesquels il peut compter en cas de baisse de régime. Ainsi, tout en servant mécaniquement les clients, il se remémore la conversation qu’il a eue avec Delphine dimanche dernier :
« Delphine, il faut que je te dise quelque chose…
—Ah non, ne me dis pas que t’es gay ! Je le prendrais mal si juste après avoir couché avec moi tu te rendais compte que tu préfères les hommes !
—Non non je te rassure c’est pas ça du tout ! Mais il faut que je te dise quelque chose… En fait, pour commencer, je suis, enfin, j’étais vierge.
—Oui, ça j’avais remarqué !
—Ah ! C’est pas très flatteur pour moi ça.
—Non ne le prend pas mal, c’était bien, mais j’ai bien ressenti ton manque d’assurance et d’expérience, mais c’était bien quand même, disons que ça faisait longtemps que je n’avais pas fait l’amour comme ça…
—Alors là, je sens bien que t’essaies de me rassurer, mais bizarrement, ça marche pas…
—Je m’exprime mal, si tu préfères, pour une première fois, c’était très bien, mais avec plus d’expérience, ça aurait été encore mieux. Et puis de toute façon, je t’ai rappelé, donc c’est bien la preuve que ça m’a plu, non ? Mais je peux te demander comment ça se fait que tu sois encore vierge ? Enfin, était ? T’es jamais sorti avec des filles ?
—Si bien sûr, je suis déjà sorti avec des filles, mais on n’a jamais été aussi loin… Peut-être à cause de moi… Mais en même temps, je vais pas te mentir, y’en a pas eu beaucoup non plus ! En fait, pour moi, la première fois c’est très important et je ne voulais pas le faire avec n’importe qui.
—Là tu vois, je suis flattée et surprise à la fois ! Pourquoi tu l’as fait avec moi ?
—En fait, je sais pas vraiment…
—Et d’un coup, je me sens moins flattée…
—C’est pas ce que je voulais dire, excuse-moi. Disons que pour ma première fois, je voulais être amoureux de ma partenaire et que ça soit réciproque bien sûr. Et tout comme tu n’as pas eu de coup de foudre pour moi, je n’en ai pas eu pour toi non plus. Attention tu es très belle, super belle même, et très sympa en plus. J’aimerais beaucoup mieux te connaître d’ailleurs !
—Oui c’est vrai qu’on n’a pas eu de coup de foudre mutuel, et j’aimerais quand même préciser que c’est pas mon genre de coucher dès le premier soir. Mais avec toi j’étais bien, t’es marrant, t’es sympa et t’as un côté rassurant… Et j’ai besoin de ça en ce moment !
—Mais en fait, ce que je voulais te dire, c’est que je suis déjà amoureux d’une fille…
—Woo ! Je t’arrête de suite, tu n’as pas besoin de me raconter tout ça ! Je vais t’expliquer quelque chose, on n’est pas un couple, on a juste couché ensemble ! C’est tout ! Rien de plus ! On s’est rien promis non plus. Et petit conseil d’amie, c’est pas le genre de truc qu’on dit à une fille après avoir passé une nuit avec elle !
—Je pensais que je devais être honnête avec toi et te le dire…
—Oui, honnête c’est bien, mais ne rien dire, c’est pas forcément mentir, puisqu’on n’est pas un couple… Et puis cette fille, elle t’aime ?
—Mmm… Je sais pas… Je pense pas…
—En gros, tu es en train de me dire que tu aimes une fille dont tu n’as absolument aucune idée des sentiments qu’elle peut avoir envers toi. Écoute, je veux pas m’immiscer dans ta vie privée, ça te regarde, mais si t’as plus envie de me voir, tu n’as qu’à me le dire ! Maintenant, si tu veux me revoir, je te le rappelle, on n’est pas un couple, et je n’ai jamais dit que je voulais m’engager dans une relation sérieuse, on peut très bien sortir ensemble sans qu’il ne se passe rien entre nous... À condition bien sûr que nos prochaines entrevues soient moins maussades et plus festives…»
Ce qu’elle venait de dire semblait convenir à Nico. La revoir, cela signifierait qu’elle n’était pas le “coup d’un soir “, mais juste une petite erreur, un dérapage entre deux amis qui ne se reproduira plus. Mais cela n’excuse rien, cela n’excuse pas sa trahison envers Kate, cela n’excuse pas sa trahison envers son idéologie… Le mal était fait et il ne pourra rien y changer, il doit l’accepter. C’est peut-être ce qui le rend mélancolique. Les dernières nuits, il avait pleuré en pensant à Delphine et Kate, sans vraiment comprendre pourquoi. Il n’a pas compris que son mal-être ne venait pas d’elles, il vient de lui tout simplement, de ses attentes utopiques, attentes irréelles, attentes de relations qu’inconsciemment il sait impossibles.
Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours été malheureux, tout du moins, il n’a jamais été heureux. Sa mère ne s’est jamais vraiment intéressée à lui et ne lui a jamais témoigné d’amour. C’est certainement à cause de cela qu’il s’attache très vite dès qu’une fille lui montre de l’intérêt. C’est ainsi qu’il est tombé amoureux de Kate, lorsqu’ils n’étaient que de jeunes éphèbes habitant dans le même immeuble et fréquentant les autres jeunes du quartier. À leur première rencontre, Nico fut de suite sous le charme, comme tous les autres garçons. C’est vrai qu’elle était déjà très belle, une peau naturellement mate, de longs cheveux noirs, des yeux couleur ébène qui pétillaient de bonheur, un sourire enjôleur et surtout une joie de vivre à toute épreuve. Elle ne se mettait jamais en colère en colère, rien ne pouvait la perturber et tout l’amusait. Tous les amis de Nico auraient aimé sortir avec Kate, mais aucun n’y est jamais parvenu. Au début, elle était froide et distante avec lui, tout comme sa mère ou ces filles populaires de son collège qui ne jugeaient et ne fréquentaient que les garçons beaux et habillés à la mode, une mode vestimentaire trop vite changeante et trop coûteuse pour que Nico puisse la suivre. Pourtant, sans qu’ils s’en rendent compte, les deux jeunes adolescents se sont rapprochés, ils ont appris à se connaître et à s’apprécier. Petit à petit, jour après jour, un manque grandissait dans le cœur de Nico, il pensait de plus en plus à elle et chaque fois qu’il la quittait, il n’avait qu’une envie, la retrouver, et plus il la voyait, plus le moment venu de la quitter lui faisait mal. C’est à cette période qu’il comprit qu’il était amoureux d’elle.
Avec le temps, Nico et Kate ont tissé un lien d’amitié très fort, avec une très grande complicité. D’un simple regard, sans même parler, ils arrivaient à se comprendre, ainsi il n’était pas rare qu’ils se mettent à rire en plein milieu d’une conversation entre amis et cela agaçait un peu les autres, car ils auraient aimé savoir pourquoi les deux amis rigolaient et auraient souhaité participer à leurs amusements. Ils se sentaient exclus du duo, et plus ils étaient exclus, plus Nico était content. Inconsciemment, il se disait que si leur relation était exclusive, alors elle ne pourrait pas s’ouvrir aux autres et Kate ne tomberait pas amoureuse d’un autre… Tout ne s’est pas vraiment passé comme il l’avait espéré.
Dao sort du bureau du directeur accompagné d'un jeune homme nommé Steve, un nouvel employé de la société. Bien que cela surprenne Nico et Benjamin, qui pensaient qu'un employé plus ancien aurait dû s'occuper de sa formation, c'est Dao qui aura cette responsabilité. Apparemment, le directeur a choisi de procéder ainsi.
L'arrivée de Steve est le sujet de toutes les conversations tout au long de la journée. Les collègues l'observent et lui posent des questions pour savoir s'il sera un bon collègue de travail, mais surtout, s'il pourra devenir un bon ami. Les avis sont partagés à ce sujet.
Dao semble bien apprécier Steve et la réciproque est de mise. Steve ne quitte pas sa formatrice et lui pose beaucoup de questions, très peu au sujet du travail, il a l’air plus intéressé par la jeune fille que le fonctionnement de l’établissement, et puis de toute façon, l’organisation n’est pas compliquée pour quelqu’un qui connaît son métier.
Nico, d’un œil protecteur, surveille sa petite sœur et la surprend à plusieurs reprises en train de rire de bon cœur avec le nouveau, ce qui l’agace profondément, il ne sait pas pourquoi, mais ça l’énerve. Il en devient même froid avec Dao, mais elle ne le remarque même pas, elle est bien trop occupée avec son nouveau compagnon pour remarquer quoi que ce soit. Benjamin quant à lui l’a bien remarqué, il cherche à comprendre pourquoi Nico réagit ainsi, mais Nico ne veut pas lui répondre. Il n’en sait rien lui-même, il n’aime pas ce rapprochement c’est tout ! Pourtant, ce n’est pas la première fois qu’il voit Dao s’amuser avec un homme, mais cette fois-ci c’est différent, il n’aime pas Steve.
À la fermeture de la brasserie, Nico surprend Dao en train de monter dans la voiture de Steve. Après avoir vu cela, Nico n’a vraiment plus envie de rentrer chez lui, seul devant sa télévision… Il prend son téléphone en main :
« Allô Benji ?
—Oh je te manque déjà ?
—En fait ouais. Je peux plus me passer de toi, même après avoir passé une journée de travail à tes côtés, il m’en faut plus tu vois !
—Oh, c’est mignon. On dirait presque une déclaration d’amour ! Alors tu voulais quoi, mon amour ?
—Tu fais quoi ce soir ? J’ai envie d’aller boire un verre !
—Ha ce soir, je suis désolé, mais Doéna est fatiguée, on va pas sortir !
—Je pensais plus à une sortie entre nous deux en fait, sans ta femme quoi !
—Ah, j’avais pas compris. Désolé, mais je vais rester à la maison avec elle. De toute façon moi aussi je suis un peu KO de la journée. Mais on peut remettre ça à lundi si tu veux ?
—OK ça marche, pas de souci. On voit pour lundi alors, bises ! À plus !
—Bises ! À plus, et bonne soirée ! »
Lundi, ce n’est pas lundi que je veux sortir, mais bien ce soir !
« Allô Kate ?
—Bin oui c’est moi, puisque tu téléphones sur mon portable, qui veux-tu que ce soit ?
—Ah ça va ! Commence pas ! Dis-moi, tu fais quoi ce soir ?
—Je vais manger avec Estelle, tu veux venir ?
—Ah tu manges avec Estelle… Nan c’est bon, je t’appelais juste comme ça !
—Arrête de mentir tu sais pas mentir ! Si tu m’appelles pour me demander ce que je fais ce soir, c’est que tu m’appelais pas juste “comme ça “ ! Ça va pas ?
—Non non ça va, c’est vrai que j’avais envie de te voir, mais, disons que j’aurai préféré un tête à tête, mais c’est pas grave !
—Donc tu viens !
—Heu non je viens pas. On n’a qu’à remettre ça à lundi.
Lundi, en même temps que je dois voir Benjamin…
—T’es sûr que tu veux pas venir ce soir ?
—Oui je suis sûr. Vous avez certainement plein de choses à vous raconter, je vais vous laisser entre filles.
—Comme tu veux, on se voit lundi au plus tard alors ! Bisous !
—Bisous. »
« Allô Nico ?
—Salut Delphine, tu fais quoi ce soir ? Ça te dit un resto ? »…
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