Lundi 30 Août
Benjamin et Nico arrivent un peu en avance au travail, comme ils font souvent lorsqu’ils souhaitent discuter.
« Alors comment s’est passée ta visite au musée ?
—Super, franchement c’était bien ! Bon, je ferais pas ça tous les week-ends non plus, mais une fois de temps en temps, oui. Et pour ce soir alors, Delphine va venir ?
—Hmm, faut que je te dise quelque chose. Il s’est passé des trucs ce week-end.
—Ah ouais ? Ne me dis pas que t’es plus avec elle !
—Non, non, c’est pas ça. C’est à propos de Dao.
—Dao ? C’est marrant que tu me parles d’elle, je voulais t’en parler moi aussi. Je crois que c’est fini avec Steve, elle ne lui a pas adressé la parole samedi, et lui, il ne la quittait pas du regard ! T’as des infos là-dessus ?
—Ouais… On peut dire que j’ai des infos… Accroche-toi bien !
—Eh bien, raconte !
—Dao vit avec moi.
—Mais qu’est-ce que tu me racontes là ? Comment ça elle vit avec toi ?
—Elle s’est installée chez moi.
—Oui c’est bon, ça j’ai compris, ce que je comprends pas c’est le comment du pourquoi ?
—C’est un peu compliqué, mais pour faire court, dans la nuit de vendredi à samedi, elle m’a appelé en pleurs. Ça n’allait pas du tout avec Steve. Elle voulait que je vienne la chercher, ce que j’ai fait. Du coup, elle a dormi chez moi, et de fil en aiguille, pour ne pas la laisser seule chez elle, je lui ai proposé de venir chez moi.
—Oh putain, j’hallucine ! Et tu m’as rien dit hier ! Mais... Delphine, elle en pense quoi ?
—Heu… Comment dire… Disons que je ne lui ai encore rien dit, du coup, elle en pense pas grand-chose pour l’instant.
—Oh putain ! T’es en train de te foutre dans la merde là ! Tu ferais mieux de lui en parler, parce que si elle le découvre par elle-même, elle risque de le prendre vraiment mal ! Y’a un autre truc que je comprends pas, depuis quand tu reparles à Dao ?
—En fait, pour Delphine, je sais que t’as raison, mais comme j’ai un peu peur de sa réaction, j’ai pas réussi à lui dire. Et pour Dao, on n’avait pas vraiment repris le contact, mais je pense qu’elle m’a appelée car j’étais venu la voir vendredi quand elle pleurait dans le couloir. Quelque part, ça la touché et elle a compris qu’elle pouvait toujours compter sur moi malgré tout.
—Ouais, ça se comprend, mais putain, excuse-moi de revenir dessus, mais dis-le à Delphine si tu veux pas la perdre ! Pour une fois que t’es amoureux…
—Amoureux ? Je suis pas sûr d’être amoureux…
—... C’est pas ce que tu disais ?
—Oui, je l’ai peut-être dit, mais en fait, je suis pas sûr que c’était de l’amour. Et puis, une relation de couple uniquement le week-end, c’est pas vraiment ce que je cherche.
—Tu vas rompre ?
—Je sais pas… En fait, je sais pas ce que je veux… Je l’aime bien… Mais c’est pas vraiment la relation que j’attendais.
—Oui, mais les couples, c’est jamais comme on se l’imagine de toute façon. Et toi en plus, tu as vachement idéalisé ça, du coup, c’est normal que tu sois un peu déçu. Mais tu ne vivras probablement jamais cette vie à deux que tu t’imagines. Ça s’appelle la vie réelle.
—Oui, je suis d’accord avec toi. Mais quand même, un couple qui ne se voit que le week-end, c’est pas vraiment un couple ! Ça ressemble un peu plus à un plan cul régulier. Et puis je me sens pas amoureux de toute façon, et tu me connais, je t’ai toujours dit que le jour où je franchirais le cap et que je me mettrais en couple, c’est que je serais amoureux et que sans sentiment je ne pourrais jamais rien faire.
—Il semblerait que tu n’as pas fait ce que tu disais puisque tu as franchi le cap, comme tu dis, avec Delphine.
—Justement, c’est parce que je l’ai fait avec elle que j’ai cru que je l’aimais. Et j’en suis pas fier, j’aimerais qu’à l’avenir mes actions correspondent un peu plus à mes dires.
—Ça veut dire que tu vas rompre avec Delphine et te remettre à attendre Kate, puisque tu crois que c’est elle l’amour de ta vie ? Pas sûr que ça soit la bonne solution.
—C’est peut-être pas la bonne solution, mais rester avec quelqu’un dont je sais ne pas être amoureux ne me convient pas non plus !
—Donc tu vas rompre ! Admets-le ! C’est ce que tu cherches !
—C’est ça le problème. Je suis sûr de rien, je sais juste que j’ai pas de sentiments pour elle, mais en même temps, je m’entends bien avec.
—Oh putain, t’es chiant ! Tu sais pas ce que tu veux !… Mais ? Je viens de penser à quelque chose, tu viens avec Dao ce soir ?
—Je voulais d’abord te demander avant.
—Oh oui, tu peux venir avec elle, y’a pas de souci. »
Les deux amis continuent leur conversation jusqu’à ce que l’heure d’aller travailler sonne. Nico ne lui a pas parlé de son aventure avec Dao, non pas qu’il veuille lui cacher, mais simplement parce qu’il ne s’est pas senti prêt à lui en parler. Déçu du comportement de Dao lorsqu’elle lui a fait la bise, il n’a pas envie d’approfondir ce sujet pour le moment.
Voilà, le trio est enfin reformé au sein de la brasserie ! Patrick ne manque pas de faire part de son ravissement. Il retrouve enfin une bonne ambiance auprès de ses jeunes collègues de travail qu’il affectionne. Mais cette bonne humeur retombe lorsque Steve prend son service, et ce, même si la petite bande essaie de faire fi de sa présence. Dans l’après-midi, alors que Nico est en train de servir des clients, il entend crier derrière lui. Il reconnaît la voix de Dao sans vraiment comprendre ce qu’elle hurle, hurlement aussitôt accompagné d’un énorme bruit de vaisselle brisée. Tous les clients, employés et promeneurs du centre commercial ont les yeux rivés vers elle, cherchant à comprendre ce qu’il se passe. Et tout ce qu’ils voient, c’est une jeune fille un peu hystérique insultant le jeune homme se tenant face à elle. Ce dernier tente de s’essuyer le visage à l’aide de son T-shirt avant de comprendre l’inutilité de son action, son vêtement étant tout aussi trempé que lui, si ce n’est plus. Aux pieds du garçon se trouve un tas de verres, tasses à café et bouteilles de soda brisés, le tout baignant dans une flaque formée par l’ensemble des liquides répandus sur le sol. Un serveur s’empresse de s’interposer entre les deux jeunes gens, tentant d’éloigner la jeune fille, pendant que le barman se précipite vers le jeune homme avec des torchons à la main, essayant de l’éponger. Ce dernier reste très placide face à la situation. Les plus vifs d’esprit ont compris que la serveuse vient de renverser son plateau sur son collègue. Nico accourt pour aider Benjamin à contenir Dao et l’entraînent dans les couloirs privés de la société, à l’écart des regards indiscrets des clients et surtout pour qu’elle ne soit plus face à la cause de son emballement. Très vite, débarque le directeur de l’établissement, il passe devant les trois jeunes gens et s’arrête quelques secondes, voyant que Dao semble encore très énervée et fermée à toute explication, il se rend à la brasserie pour recueillir des renseignements auprès des autres employés sur l’incident qui vient de se produire. Après plusieurs minutes, Dao ayant retrouvé un semblant de calme, le directeur la convoque dans son bureau. Il demande à Nico s’il veut bien faire office de représentant du personnel, ce qu’il accepte sans hésiter.
« Bon, je viens d’avoir la version de Steve et de Patrick sur l’incident, j’aimerais avoir la vôtre à présent, annonce le directeur d’un ton grave à Dao qui se tient assise face à lui, fixant le sol.
—Rien, on a rompu le week-end dernier, il n’a pas accepté la rupture et il m’a traité de “pute “. Du coup, je me suis énervée et lui ai renversé le plateau dessus…
—Écoutez-moi bien, je ne tolère pas ce genre d’attitude au sein de mon établissement, quels qu’en soit les motifs ! Vos problèmes personnels n’ont rien à faire sur votre lieu de travail !
—Oui, et bien, faudrait lui expliquer alors qu’il ne me parle plus au travail et surtout qu’il me doit le respect !
—Le comportement qu’il a eu à votre égard, je ne le cautionne pas, toutefois, vous n’auriez jamais dû agir de la sorte. Je suis là pour résoudre les problèmes qu’il peut y avoir au sein de mon équipe de travail, vous auriez dû venir m’en parler immédiatement comme l’ont fait vos camarades par le passé. Et bien que vous soyez une personne que j’apprécie, tant au plan professionnel que personnel, je ne peux laisser passer de tels agissements sans sanction ! J’espère que vous comprenez.
—Oui…
—Et la seule sanction prévue lorsqu’un employé s’en prend physiquement à un autre employé est le renvoi immédiat sans préavis.
—Quoi ? Vous allez me virer ? Hurle Dao en se levant et regardant droit dans les yeux son directeur. Tout ça à cause d’un connard ?
—Calmez-vous s’il vous plaît, je ne vous vire pas à cause de lui, mais à cause de votre comportement, et croyez-moi que j’aurais préféré l’inverse.
—Non, mais j’hallucine là ! Tout ça à cause de ce connard ! Dao sort du bureau en claquant la porte. Nico qui est resté sans rien dire jusqu’à présent décide d’intervenir à son tour.
—Excusez-moi, mais avec tout le respect que je vous dois, vous préférez licencier un bon élément et garder un menteur, voleur et drogué à la place ? C’est comme ça que vous gérez votre personnel ?
—Je ne vous permets pas de me parler de la sorte, vous êtes ici en tant qu’observateur. Jusqu’à présent vous avez été un employé exemplaire, veillez à le rester !
—Non, mais c’est juste que j’aimerais être sûr de bien comprendre la situation. Dao est virée et Steve n’a rien !
—Steve aura aussi une sanction, à la hauteur de sa faute.
—Oui, il aura juste une petite tape sur les doigts !
—Cessez votre insolence sur-le-champ si vous ne voulez pas avoir une sanction également.
—Mais je vous en prie, sanctionnez-moi ! Il semblerait que ce soit la politique de la maison, sanctionner les bons éléments.
—Écoutez-moi, sortez un moment, prenez une pause et fumez une cigarette. Nous reprendrons cette conversation lorsque vous serez calme, avant que vos mots ne dépassent vos pensées.
—Mais je suis calme, je vous en prie, poursuivons cette conversation de merde !
—Vous dépassez les bornes, je vais être obligé de vous mettre une mise à pied si vous continuez. Je vous aurai prévenu.
—Votre mise à pied gardez-là pour un autre bon élément, parce que moi je démissionne, et ma démission prend effet immédiatement ! Nico tourne les talons aussi sec et se dirige vers la porte pendant que le directeur tente de le retenir.
—NICO ! Restez-là ! Nous n’avons pas terminé ! » Il n’a pas le temps de finir sa phrase que le serveur a déjà claqué la porte derrière lui, à son tour. Il prend directement le chemin qui mène aux vestiaires afin de récupérer ses effets personnels avant de repartir vers le parking, sans passer par la brasserie. Une fois installé au poste de commande de son véhicule, il téléphone à Dao, après plusieurs sonneries, il est envoyé sur la boîte vocale. Sans laisser de message, il raccroche et éteint son mobile, puis il met le contact avant de rentrer chez lui, espérant y trouver Dao. Lorsqu’il franchit le seuil de sa porte, avant même de poser ses affaires, il se rend dans la chambre de Dao, où elle pleure, allongée sur son lit, la tête enfoncée dans son oreiller. Rassuré de la voir à la maison, il dépose ses sacs dans le salon et s’allonge au côté de sa protégée. Au contact de Nico, elle se rapproche et pose sa tête sur son épaule, un bras entourant la taille du jeune homme. Ils restent ainsi un long moment sans parler, jusqu’à ce que Dao prenne la parole.
« Qu’est-ce que tu fais déjà là ?
—J’ai démissionné.
—Quoi ? Mais pourquoi ?
—Apparemment, il préfère garder les mauvais éléments.
—T’as pas démissionné à cause de moi ?
—Non, à cause de ses choix. Pour moi, c’est un mauvais directeur et j’ai pas envie de continuer à travailler pour un mauvais directeur, c’est tout !
—Mais t’es con ! Ne pars pas à cause de moi. Tu vas faire comment sans boulot ? Putain de merde ! Tout ça à cause de ce connard !
—T’en fais pas pour moi, j’ai pas mal d’économie, et puis, je pense que je vais vite retrouver du boulot de toute façon… »
Dao n’insiste pas, de toute façon, elle n’a pas envie de parler. Perdue dans ses pensées, elle finit par s’endormir sur Nico, tandis qu’il médite de longues heures durant sur son impulsivité qui l’a conduit à la démission. Lorsqu’il rallume son téléphone, il constate que Benjamin lui a envoyé plusieurs messages. Ignorant ce qui s’était passé dans le bureau et pourquoi ni lui ni Dao ne sont revenus travailler, il demande à Nico de vite le recontacter. N’ayant aucune réponse, dans son dernier SMS, Benjamin lui demande simplement si leur rendez-vous de ce soir est maintenu. Pour le moment, le jeune homme n’a pas vraiment envie de répondre. Quant au dîner prévu au restaurant ce soir, il ne sait pas s’il va y aller, il décidera en fonction de Dao... Justement, quelques minutes plus tard, Dao est réveillée par la sonnerie du portable de Nico.
« Allô ?
—Putain Nico, pourquoi tu rappelles pas ?
—Je dormais, je viens de me réveiller.
—Putain, mais qu’est-ce qui s’est passé ? Le directeur nous a juste dit que Dao avait été licenciée et que tu étais en congé sans solde exceptionnel.
—Ah bon, il a dit ça ?
—Ouais, on n’a rien compris ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Il a rien voulu dire d’autre !
—J’ai démissionné.
—QUOI ? Non, mais arrête tes conneries ! T’as pas fait ça ? »
Nico commence donc à lui raconter le déroulement de sa conversation avec leur directeur. Dao écoute tout ce que son ami dit sans intervenir, en fumant une cigarette…
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