Vendredi 03 Septembre

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Cinq jours se sont écoulés depuis la démission de Nico, qui n’a toujours pas décidé de reprendre malgré les conseils de ses amis, tels que Patrick, Benjamin, Doéna, Kate et même Dao. Ils sont unanimes, il devrait profiter du fait que son directeur n’ait pas encore validé sa démission impulsive pour reprendre son poste. Cependant, la fierté de Nico, couplé avec le fait qu’il n’a aucune envie de travailler avec Steve, l’empêche de le faire. De plus, il a d’autres préoccupations en ce moment, notamment Delphine... Elle ignore encore tout, et en général, c’est le vendredi qu’elle appelle Nico, c’est-à-dire aujourd’hui. Cette semaine, il a eu beaucoup de temps libre pour réfléchir, il en est venu à la conclusion qu’il devait tout lui dire, du moins presque tout. Il ne juge pas nécessaire de lui raconter ce qui s’est passé la première nuit avec Dao, surtout que ça ne s’est produit qu’une fois. Le seul aspect dont il soit satisfait, c’est d’avoir enfin parlé de Delphine à Dao. Elle n’a rien dit quand il lui a annoncé, mais a fait une remarque légèrement humoristique en disant : « Alors j’étais pas ta première... » Cette phrase avait quelque peu mis les deux colocataires mal à l’aise, car à part à ce moment précis, ni l’un ni l’autre n’avaient jamais reparlé ni fait allusion à cette nuit-là. Depuis qu’elle est au courant, Nico a remarqué qu’elle est un peu plus distante, ne se colle plus contre son corps, et même lorsqu’ils regardent la télévision, elle prend bien garde à ce qu’ils ne rentrent pas en contact. Parfois, Nico regrette de lui avoir dit, mais il ne pouvait pas lui cacher éternellement, sa conscience ne le supportait plus. Sentant l’oppression de l’attente de l’appel de Delphine, et profitant de l’absence de Dao partie faire quelques courses, il décide de prendre les devants et de téléphoner en premier.

« Allô ?

—Coucou Delphine, tu vas bien ?

—Oui et toi ?

—Oui, oui ! Dis, j’ai un truc à te dire, t’as un peu de temps là ?

—Oui c’est bon, je ne suis pas trop occupée. Qu’est-ce que t’as à me dire ?

—Bon… Par où commencer… J’ai démissionné !

—Quoi ? Mais pourquoi ? T’étais bien là-bas, pourquoi t’as fait ça ? On t’a proposé un meilleur poste ?

—Heu, non, on m’a rien proposé. En fait, j’ai démissionné pour manifester mon mécontentement face à une injustice !

—N’importe quoi ! Heureusement que t’es pas bouddhiste, tu te serais immolé ! Non, mais sérieusement, quelle injustice ?

—À cause du renvoi injustifié d’un autre employé.

—Ils ont viré Benjamin ?

—Non, pas lui.

—De qui tu es assez proche pour démissionner par simple solidarité ?

—C’est pas important de savoir qui, c’est pas par rapport à mes liens d’amitié que j’ai agi comme ça, mais parce que c’était injustifié, c’est tout !

—Et les autres ?

—Quoi les autres ?

—Les autres, ils ont démissionné ?

—Heu… Non…

—Ne soit pas surpris de ma question, je me disais juste que si tu avais démissionné pour une bonne raison, certainement que d’autres auraient suivi. C’est pas le cas ?

—En fait, non, je suis le seul !

—Mouais, enfin bon, on en parlera plus longuement plus tard !

—J’ai autre chose à te dire…

—Ah oui ? Vu le ton de ta voix, ça n’a pas l’air d’être une bonne nouvelle non plus. Au lieu de faire le “Good news, Bad news [1]“ toi tu préfères jouer au “Bad news, Bad news “ ! Alors, c’est quoi l’autre “Bad news “ ?

—Comment dire… J’ai un colocataire.

—Un colocataire ? Qui ça ?

—Dao…

—Non, mais c’est une blague ? Pourtant on n’est pas le premier avril ! Et depuis quand ?

—Heu… Cette semaine.

—Cette semaine ? Et je présume que l’employé mystère pour qui tu as démissionné par solidarité, c’est elle ?

—… Ouais…

—Tu couches avec ?

—C’est quoi cette question ?

—Je sais pas, je te demande juste si tu couches avec la fille que t’as rejointe après un coup de fil à cinq heures du mat la semaine dernière, celle pour qui tu as démissionné et celle qui vit avec toi ? C’est une question légitime, je pense.

—Non je couche pas avec !

—Ouais, c’est ça, prends-moi pour une conne ! Tu sais quoi, j’ai déjà connu ça avec mon ex et j’ai pas envie que ça recommence. Alors t’es gentil, oublies mon numéro ! » Delphine raccroche sans accorder un droit de réponse à Nico.

Oh putain, elle l’a mal pris ! J’aurais peut-être dû ne pas tout dire d’un coup… Merde ! Eh bien, voilà, il semblerait que ça soit un nouveau départ. J’ai plus de travail et plus de copine, c’est une nouvelle vie qui commence… En espérant qu’elle soit meilleure que la précédente…

« T’as des nouvelles de Nico ? Demande Patrick à Benjamin.

—Ouais, un peu.

—Alors, il compte revenir quand ?

—Il n’a toujours pas l’intention de revenir. Pas tant qu’il y aura Steve.

—Il est vraiment bête, Steve, c’est juste une question de temps, mais il va être viré c’est sûr. C’est dommage que Nico ne soit pas plus intelligent pour le coup. Parce que franchement, c’est une bonne place ici, y’a pas beaucoup d’endroits dans la restauration où tu as tous tes soirs et tous tes dimanches de repos. Avec en plus le treizième mois ! Il va regretter d’être parti.

—J’ai bien essayé de le raisonner, mais j’ai pas réussi.

—Oui moi aussi je lui ai téléphoné mardi dernier…

—Franchement, je comprends qu’il soit en colère pour le renvoi de Dao, mais en même temps, c’était un peu justifié. Y’a quelque temps elle s’est déjà prise un avertissement verbal à cause de son comportement et de ses retards, et là, elle renverse un plateau sur Steve. Franchement, même si j’adore Dao, et bien je trouve normal qu’elle reçoive une sanction. Le licenciement, c’était peut-être un peu fort par contre…

—Met-toi à la place du directeur, il n’a pas vraiment le choix. Oublie un instant qu’il s’agit de Dao et de Steve, les faits se résument comme ça : un employé attaque physiquement un autre employé, sur leur lieu de travail et pendant leurs heures de travail. Il aurait pu se brûler ou se couper avec les morceaux de verres. Franchement c’est grave ce qu’elle a fait !

—Ouais… T’as pas tort ! »

« Allô Nico ?

—Comment tu vas Kate ?

—Ça va, mais dis-moi, tu cherches du travail ?

—Heu, ouais, bon j’ai pas commencé à chercher, mais dans l’absolu oui !

—Bon, j’ai une bonne nouvelle pour toi ! Y’a Laurent qui ouvre un resto bientôt et il cherche deux serveurs ! C’est cool non ? Tu vas pouvoir bosser avec Dao !

—Houlà ! Tu vas un peu trop vite pour moi ! Allons-y par étapes, t’es toujours en contact avec Laurent toi ?

—Oui, on s’appelle de temps en temps… Enfin, il m’appelle de temps en temps.

—Ha, je savais pas. Et donc il ouvre un resto ?

—Ouais, en fait c’est son père qui lui paie, mais ça sera lui le patron, j’ai pas très bien compris le concept, genre hamburgers, c’est tout ce que j’ai retenu.

—Il prend un fast food en franchise ?

—Non, non, c’est pas un fast food, il t’expliquera. Je lui ai donné ton numéro et il va t’appeler, je lui ai même parlé de Dao.

—Mouais, et il cherche deux serveurs alors ?

—Oui, mais je t’ai dit, j’ai pas tout écouté, je suis au travail alors tu comprends…

—OK, il m’appelle quand ?

—Je sais pas il m’a pas dit. Je dois te laisser, mais tiens-moi au courant !

—Oui OK, merci et gros bisous.

—Bisous ! »

Nico attend le retour de Dao pour lui annoncer la bonne nouvelle. Ces derniers jours, elle n’avait pas vraiment le moral et ne parle que d’une chose : partir, changer de vie, aller en Thaïlande découvrir ses origines. Mais elle n’a plus d’argent, Steve et la drogue ne lui ont rien laissé. Elle pourrait demander à travailler au restaurant de ses parents, mais elle a honte, honte d’avoir échoué ses examens, honte de s’être fait licencier, honte de s’être laissée manipuler et honte d’avoir dépensé ses économies pour de la drogue. Même si ses parents ne savent rien, elle refuse de se présenter devant eux tant qu’elle n’aura pas purifié son karma ! Elle a peur que sa ma mère puisse voir dans son halo ses mauvaises actions. Bien que Dao se dise non-croyante, une petite part d’elle croit aux histoires que sa mère lui conte sur Bouddha, le karma, la réincarnation des âmes, les auras, les esprits, les génies et autres êtres mystiques. Sa mère prétend même avoir un don, celui de lire dans l’aura des gens. En fonction de la couleur de cette-ci, elle peut déceler leurs actions récentes ont été bonnes ou mauvaises, mais elle précise toujours qu’une aura sombre ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une mauvaise personne, seulement que cette personne a récemment commis des actions négatives importantes et que tant qu’elle n’accomplit pas de meilleures actions, son halo restera sombre. Lorsqu’elle a rencontré le père de Dao, il avait une aura blanche, elle comprit de suite qu’il était une bonne personne, le halo des mauvaises personnes n’est jamais autant clair. Elle lui avait également expliqué que nous ne sommes pas jugés sur un seul acte, mais sur l’ensemble de nos actes tout au long de notre vie, et que c’est cet ensemble qui influe sur notre prochaine réincarnation. Aujourd’hui, elle a peur de la couleur de son aura. Elle se souvient bien lorsque sa mère lui avait dit que son aura avait changé, qu’elle s’était quelque peu ternie, c’était quelque temps après les premières expériences sexuelles de Dao. Ce jour-là, Dao a eu très peur que sa mère comprenne et le dise à son père. Ce serait une grande honte pour lui d'apprendre que sa fille s'adonne à un tel comportement, même si les Thaïlandais et les Cambodgiens ont une vision plus ouverte de la sexualité. Les rumeurs et les apparences sont extrêmement importantes dans leur culture. La sexualité est considérée comme quelque chose d'intime, réservé aux couples. Heureusement, ce jour-là, sa mère n'a rien ajouté et ne lui a posé aucune question.

Par peur de les décevoir, Dao n’a pas révélé à ses parents qu’elle a raté ses examens, alors leur dire qu’elle s’est fait licencier est impensable pour elle. Elle souhaite éclaircir son aura avant de leur faire face. Actuellement, elle utilise souvent le téléphone pour communiquer avec eux, car sa mère ne peut rien constater de son halo à travers cet outil.

Lorsqu’elle rentre des courses, Nico s’empresse de lui parler de l’appel de Kate et de l’ouverture prochaine du restaurant de Laurent. Dao ne semble pas spécialement contente de l’apprendre. Elle se dit que Laurent, en tant qu’ami de Nico, n’a aucune obligation de l’embaucher elle, en plus, dans le cas où il serait tout de même d’accord, est-ce que ses besoins correspondent à ses attentes. N’ayant pas fini ses études, elle a besoin d’un temps partiel avec des horaires flexibles, rien ne garantit qu’il pourra lui proposer ce type de contrat. De toute façon, tant que Nico n’aura pas vu Laurent et qu’il n’en saura pas plus, cela ne sert à rien de s’emballer. Elle n’est pas vraiment d’humeur optimiste en ce moment.

[1] Bonne nouvelle, mauvaise nouvelle

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