3.3

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(Manque la transition)


C'est une grosse bouteille, inhabituelle par sa forme et par son poids. Elle ne correspond à aucun des volumes usités de nos jours. Assez grossière, à la surface inégale, elle est longue, ventrue.

A sa base, une rondelle de bois est collée. Visiblement très ancienne, elle donne un certain style à l'ensemble. Entre l'écorce et le verre, une surface de bois est visible, poussiéreuse, abimée, éraflée. Les trois vieux n'y prêtent pas attention. Pour eux, ce ne sont que des traces du passé, des marques sans intérêt. Pourtant, Conardus se trouve vite intrigué.
Une observation un peu plus attentive révèle, selon lui, que ce n'est pas ce qu'ils imaginent.

Il remarque des signes récurrents, ce qui ne peut en aucun cas être dû à de petits accidents du hasard. Il en conclut vite qu'il s'agit peut-être d'une forme ancienne d'écriture. Un truc oublié par le commun des mortels. Il pianote sur son avant-bras, scanne les signes et demande une traduction, ce qui va demander quelques instants.

En attendant d'en savoir plus, il scrute avec attention les signes. Il les prend alors pour des glyphes, pensant immédiatement à des symboles égyptiens rudimentaires. Mais il sent qu'il ne s'agit pas de ça. Dubitatif, il poursuit ses investigations.

La traduction n'est pas encore faite, mais son pupitre portable imprime déjà un petit document précisant qu'il s'agit d'une langue morte : c'est encore plus ancien que l'araméen. L'alien est tout énervé, du coup ! Il sent qu'il va faire dans le sensationnel ! Mais il tente de contenir l'enthousiasme qui l'envahit, parce que c'est pas tous les jours qu'il peut faire preuve d'érudition auprès de ses potes. Et, là, il sait qu'il tient l'occasion de les surprendre, voire de les émerveiller...

  • Patientons un peu pour tout savoir ! annonce Conardus, l'air réjouit.

Puis l'alien se dit qu'il ferait bien d'inspecter la bouteille de près. Alors, il l'attrape et l'observe à contre-jour. Une lampe suffit pour lui révéler qu'elle n'est pas en verre. Elle ressemble vaguement à du cristal, pourtant, quand il frappe un couteau dessus, elle ne tinte pas comme le ferait tout cristal.
Les premiers résultats de ses recherches arrivent : la rondelle de bois est en olivier, et elle aurait un peu plus de 2000 ans.

  • Une sacrée relique ! s'exclame-t-il. Agathe, tu as mis la main sur un drôle de machin !

L'intéressée ne répond rien, déjà à moitié out. René ronchonne un peu qu'il aimerait bien passer aux tests, genre solutions buvables, mais Conardus fait mine de ne rien entendre. Les résultats crépitent sur son ordi-bras. Et la fête continue, pense-t-il !

Le récipient n'est pas en verre, ni en cristal. Si cela n'a rien d'extraordinaire, la suite des révélations ne manque pas de le surprendre. Au point qu'il doute des résultats.

  • Mon central vapeur d'analyses doit déconner... fait-il en lisant les résultats. On va refaire une série de controles, hein ?

Comment expliquer, sinon, qu'elle est en partie faite d'une matière totalement inconnue dans ses innombrables bases de données ? Ses ordinateurs sont formels, comme en attestent les nouvelles analyses. Stupéfait de sa découverte, Conardus veut en faire part à ses compagnons. C'est une découverte exceptionnelle, et qui mériterait un rapport immédiat à ses responsables, quitte à provoquer la destruction de la planète Terre, dès que le message serait parvenu au fin fond de la galaxie ! Heureusement, Conardus n'y songe pas une seconde. Trop absorbé par cet objet insolite, il songe seulement à poursuivre ses investigations. Et les surprises continuent d'affluer : la bouteille sous ses yeux serait une impossibilité chimique, unique en son genre.

Les molécules qui composent la chose seraient, tout simplement, incompatibles les unes avec les autres !

- Hé, les gars ! Surtout, touchez à rien pour le moment !

- Tu rigoles ? bave René d'un air mauvais.

- Ouais, et puis quoi encore ? On va pas perdre notre temps pour que tu joues au professeur Géotrouvetout ! Rends-nous cette boutanche, tout de suite ! clame Raymond qui s'impatiente.

- Non, les amis, pas maintenant. La prudence exige un peu de patience, parfois.

- Et mon cul, c'est du poulet ? grogne René qui fait un geste pour se saisir de la bouteille.

Mais Conardus est plus rapide que le vieux. Il se retourne brusquement, protégeant celle-ci comme un trésor.

- J'ai besoin d'un peu de temps pour vous confirmer tout ce que je vois tomber sur mon ordi-bras ! les supplie-t-il.

Les trois autres se consultent du regard, hésitent, puis consentent d'un hochement de tête. Soulagé, l'extra-terrestre leur vote un léger sourire et replonge dans ses recherches. Il convoque quelques robots qui apparaissent au beau milieu du séjour, sous les yeux ébahis des trois vieux. Ils ne comprennent rien de ce que l'alien leur ordonne de faire, mais les voilà qui s'agitent et clignotent de partout, signe d'une intense activité électrique chez tout robot qui se respecte.

Conardus s'installe dans le fauteuil de Raymond, sans tenir compte des protestations de celui-ci. Trop occupé par la lecture des nombreux rapports qui tombent à rythme soutenu, il oublie ses amis, la soirée sympa, et même la vioque qu'il envisageait de s'embroquer de première sur la table de la salle à manger !

- Mais c'est pas croyable, ça... marmonne-t-il à sa seule intention. Je dirais même impossible. C'est prétendre unir matière et anti-matière, l'eau et le feu, la Gauche et la Droite, une tapette et une brouteuse de gazon ! Normalement, ou ça s'autodétruit, ou ça fait péter tout l'Univers, cette merde !

Il attrape soudain la bouteille et la place au coeur d'un de ses robots qui s'ouvre comme un frigo, petite lumière blafarde incluse. L'engin se met à trembler, comme une essoreuse, cette fois-ci. René qui regarde d'un oeil curieux, imagine que la bouteille va tourner vinaigre et il meurt d'envie de la récupérer avant toute catastrophe.

- Un olivier vieux de deux millénaires... Déjà, faudrait que je sache de quelle région du monde il arrive, ce machin-là ! dit Conardus.

Le robot cesse sa danse. Tous se figent, obnubilés et inquiets de la suite. Conardus s'impatiente, Raymond menace de péter une durit, René renifle de mécontentement. Agathe s'endort sur sa chaise.

Le savant lit les données qui s'affichent sur un écran qui flotte dans l'air, quelques centimètres devant lui. Surpris comme jamais, il pose délicatement la bouteille sur la table, et relit plusieurs fois les données, marchant de long en large dans la pièce.

- Tout concorde, c'est incroyable ! murmure-t-il. Vous savez quoi, les amis ? On vient de mettre la main sur un truc absolument phénoménal ! Je sais pas d'où ça vient, mais cette bouteille va avoir une carrière internationale sous peu, voire intergalactique !

Il trépigne comme un enfant, se sent des ailes lui pousser dans le dos, lui qui n'y laisse croître que des écailles en cas de biture ! Heureux comme jamais, il bondit de petits sauts en petits sauts entre les meubles, se sent l'envie de chanter à tue-tête ! Les autres le regardent sans rien dire.
Puis, se reprenant, il se dit qu'il est largement temps de leur révéler ses découvertes. Ils ne vont pas en revenir, se réjouit-il. Ils vont tomber des nues, tomber de leur chaise, tomber sur le cul, se gratter la tête au point d'en devenir chauves !

L'instant est rarissime, alors il veut ménager ses effets... Il se calme, s'obligeant à rester maître des légers tremblements qui lui parcourent l'échine. Il s'approche de la baie vitrée, regarde vers la rue endormie, admire les étoiles qui brillent de tous leurs feux, comme pour célébrer avec lui l'importance du moment. Sans se retourner, il déclare lentement :

  • Mes amis, commence-t-il avec solennité, ce que je vais vous annoncer va faire de nous des célébrités mondiales ! Je voudrais vous donner la primeure de la nouvelle qui va révolutionner l'Histoire des Hommes. Ce qu'Agathe vient de nous offrir est tout simplement la clé qui va ouvrir au genre humain les portes du Paradis. La longue route du repentir d'Adam et Eve prend fin ce soir !

Pas un bruit dans la maison. Conardus est satisfait de son petit laïus. Il est maintenant persuadé que son petit auditoire est subjugué, prêt à tout entendre. C'est bien ce qu'il veut, parce que ce qu'il va leur dire relève du divin. Il n'a plus qu'à porter l'estocade pour sidérer ses potes. Il se retourne lentement, sûr de les voir pendus à ses lèvres...

Et là, les bras lui en tombent !


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