1.5

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Raymond se charge de trouver de quoi assurer un apéro à la hauteur de ses potes. Il connaît leur endurance, et il sait qu'ils ne se contenteront pas d'un rien. Aussi cherche-t-il LA bouteille, celle qui les mènera au paradis des pochetrons, au moins pour quelques heures.

René, lui, grand habitué du salon de son ami, fait quelques allers-retours depuis le vaisselier mentionné plus haut et la grande table. Ce n'est pas une simple affaire, mais il finit par exhumer une coupelle de cacahuètes encore présentables et une poignée de gâteaux salés. Bien secs, les gâteaux... Mais il estime qu'ils suffiront, à condition de les laisser s'imbiber assez longtemps dans un alcool fort, ce qui ne manque pas chez Raymond.

Conardus, enfin, joue le général en campagne à la tête d'une escouade de robots qui s'activent à rendre un semblant d'ordre à la maison.

Et tout cela se fait dans un tintamare ponctué de meubles qui raclent les parquets, de verres qui s'entrechoquent et de commentaires que je ne mettrais pas en évidence ici, de peur de heurter les plus sensibles. Les voisins profitent malgré eux du spectacle mais Raymond s'en tamponne les flans.

D'autant plus qu'il constate avec effroi, quoique plongé à mi-corps dans son placard à boutanches d'exception, que les stocks sont déserts. Ne reste plus rien, pas même une bouteille vide !

  • Bordel ! On se croirait dans les coffres du ministère des finances !
  • Qu'est-ce que tu racontes ? fait Conardus.
  • Je dis qu'on a rien à boire, les gars !
  • Pas possib' ? s'étrangle René. T'as regardé partout ?
  • Si un jour, on m'avait dit que j's'rais à sec !
  • On peut sauter dans ma navette et on fait une virée rapide à New-York, si tu veux ? propose l'alien.

Raymond s'affale dans son fauteuil préféré. Préféré parce que c'est le seul qu'il possède.

  • La vache... qu'est-ce qu'on va d'viendre ? répond Raymond d'un ton lugubre.

René s'approche, propose maladroitement quelques cacahuètes, mais son pote repousse l'offre d'une moue désabusée.

  • Tu sais quoi, René ?
  • Dis toujours, soupire l'autre.
  • On est dans la mouise...

L'ambiance vire rapidement au désastre, et les propositions de Conardus sont sans effet.

  • J'en veux pas, d'leur bibine de fillette, à tes ricains ! Ils connaissent rien à Bacchus, ces cons-là.

La sentence est tombée. Têtu comme un âne, Raymond se cabre et bloque toutes les solutions possibles.

  • Faut attendre six heures du mat', c'est tout !
  • Mais ça fait presque une nuit entière ! proteste René. Si on va chez moi, j'trouverai bien un fond de Pastis.
  • Que dalle ! On attend, et à six plombes, on ira se refaire un palais chez Finfin, point barre !

Les trois énergumènes se rassemblent autour de la table, déçus. Déconfits, même.

  • Putain, le monde se barre vraiment en sucette, se lamente René.
  • Mouais... fait Raymond d'un ton absent.
  • Pour un peu, j'f'rais bien une petite prière à l'aut', là-haut ! Avec un peu de chance, on nous entendra, fait René en levant les yeux au ciel.
  • Laisse les emplumés dans leur basse-cour, veux-tu ? rétorque Raymond avec rudesse. Avec eux, y a jamais rien de gratos. Te rendent un service de merde, un jour, et tu te retrouves à l'aut' bout du monde pour leur arranger un truc qui les emmerde !
  • Euh... Vous parlez de qui, là ? intervient Conardus, vivement intéressé.
  • Z'avez pas de dieux, sur vot' planète à la noix ? fait René.
  • Des dieux ? pouffe l'alien. Me dites pas que vous en êtes encore là !

Le ton ne plaît pas aux deux terriens, et la conversation s'engage sur les chemins obscurs de l'ignorance et de la bêtise. Assez vite, le ton s'envenime entre René et Conardus, pendant que Raymond regarde ailleurs, les yeux rivés vers la rue endormie.

  • Bougre d'ignare nucléaire, et comment que tu penses être venu au monde, hein ? tempête René.
  • Sûrement pas grâce à ton dieu de mes fesses !
  • N'ajoute pas le blasphème à la connerie, hein !
  • Je blasphème pas ! J'te dis que mes réacteurs sont plus efficaces que les promesses jamais tenues de ton dieu, c'est tout !

Raymond s'emmerde. Il n'écoute même plus ses potes qui finiront peut-être par s'étriper, comme le font tous les êtres pensants dès qu'ils parlent de bonté et de tolérance. Il observe le ciel qui s'encombre rapidement de nuages bas, parfois illuminés par quelques brefs éclairs.

Puis une foudre claque tout près, dans un vacarme de fin du monde. Les trois compères sursautent de concert pendant que d'autres éclairs déchirent la nuit. L'orage est arrivé juste au-dessus de la maison, à toute vitesse.

  • L'est pas tombée loin, hein ? fait René pour rompre le silence. Tu vois où ça mène de dire des conneries ? ajoute-t-il à l'attention de Conardus. Tu nous l'as vexé, maintenant !
  • Qui ça ? Ton dieu ? ricane l'alien. Tant qu'il se limite à ça, on risque pas grand-chose, admets...

Nouvelle foudre qui s'abat sur une ligne électrique. La maison est instantanément plongée dans le noir, à la grande terreur de René qui prédit déjà la fin des temps ! Conardus se tait, ne sachant plus que dire à son ami qui roule des yeux inquiets. La pluie tombe à seaux, maintenant ; le ciel illumine le salon à grands coups de gigawatts gaspillés.

Un ange passe. D'ailleurs, il semble même qu'il envisage de taper l'incruste chez Raymond...
Raymond, stupéfait, distingue une silhouette épaisse à la porte du jardin ! Tout de suite après, ils entendent grincer ladite porte sur ses gonds rouillés.
Les trois ahuris se consultent du regard, presque apeurés.

Puis on frappe à la porte de la maison. Quelques coups rapides, suivis de trois derniers plus lents.
Comme au théâtre...



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