4.2

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Un enfer de pierres blanchies par le soleil, de gros pavés coupants à perte de vue, accumulés en collines arides et parsemées de maigres touffes d'herbes tenaces. Voilà le spectacle qui s'offre aux yeux de Raymond.
Le ciel est bleu, désespérément. Pas la moindre trace ouateuse d'un nuage à l'horizon. Le soleil, au beau milieu de la voûte céleste, embrase l'air de ses puissants rayons. La sueur du pauvre vieillard n'a même pas le temps de couler sur sa peau qu'elle s'évapore, à peine née.

Assommé, il se déniche une petite place à l'ombre, dans un recoin rocheux. Et il constate que René et Agathe sont là. Son pote est en train de griller au soleil, les membres largement ouverts, comme le font les lézards pour contrôler leur chaleur interne. René ne contrôle probablement rien, mais l'astre du jour se charge de le cuire à point, et ce n'est pas la misérable chemise hawaïenne qu'il porte qui le protégera d'un monumental coup de soleil.
Raymond, se rappelant ses jeunes années passées en Turquie en compagnie des armées anglaises dans les Dardanelles, se dit qu'il faut le réveiller pour qu'il se mette à l'ombre, lui aussi.
Il jette un oeil sur Agathe. Elle ronfle comme un brasero, signe que l'alcool coule encore dans ses veines. Pour elle, la situation semble moins dangereuse. Enroulée dans son vieux manteau, si elle souffre déjà de l'oppressante chaleur, elle est tout de même mieux protégée du soleil que René. Sa jambe de bois dépasse de ses jupes.

  • Voilà un peu de nature au milieu de toutes ces pierres, marmonne Raymond.

Ecrasé par la pesanteur brûlante, il peine à se relever. Pour s'épargner tout geste inutile, il se contente de réveiller René par quelques menus coups de pied dans les côtes. Ce dernier rouspète un peu, machônne quelques mots pas aimables, puis ouvre un oeil hagard.

  • Bordel, je crève de chaud, Raymond. Baisse un peu le chauffage !
  • Je voudrais bien ! Regarde un peu autour de toi, plutôt, conseille Raymond.

L'autre se hisse sur ses coudes, puis lanc un coup de périscope.

  • Pfff... On dirait que Conardus a encore fait des siennes. Agathe est là, à ce que je vois ?
  • Oui, je suis là, désolée pour vous, messieurs, grince l'intéressée en se levant à son tour.

Le bout de sa jambe artificielle se cale dans un creux, et quand elle tente de faire ses premiers pas, elle manque se casser la fiole sur les pierres.

  • Tu commences mal ta journée, poupée, grommelle Raymond, ironique.
  • Ouais, mais je crois que j'suis pas la seule ! rétorque-t-elle. On qu'c'est qu'on est ?
  • Aucune idée, soupire Raymond. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'on est là, quelque part où il fait trop chaud pour moi !
  • On se croirait en Afrique du Nord, ou un coinceteau d'ce genre, remarque René. Tu crois que c'est Conardus qui nous a posés là ?
  • Possib'.
  • N'a pas laissé de message, le saligaud ? demande Agathe.
  • Que dalle...
  • Bon, on n'a plus qu'à se débrouiller tout seuls, donc ! fait René.
  • Exact. Si tu t'en sens le courage, monte donc sur cette colline et dis-nous ce que tu vois !

René jette un oeil en direction de ladite colline, estime mentalement la difficulté de la grimpette, puis prend son courage à deux mains.

  • Allez, comme au bon vieux temps !

Toujours vaillant malgré les ans, il grimpe. Elle n'est pas bien haute, cette éminence grise de poussière et de sable, mais elle est rude, accidentée, piégeuse. Pas étonnant, donc, qu'il lui faille plus d'une demi-heure pour arriver au sommet. Il ne l'admettra jamais, bien sûr, mais il est épuisé. Si ce satané soleil de plomb le permettait, sa chemise à fleurs serait trempée de sueur. Alors, il choisit une grosse pierre et s'asseoit pour reprendre son souffle. Il en profite aussi pour admirer le paysage.

  • Oh, putain de merde ! Mais qu'est-ce qu'on est venu foutre dans ce bled à la con ?
  • Je sais pas ce qui le met dans cet état, mais je pense qu'on ne va pas être déçus... fait Raymond, la main au-dessus des sourcils pour se protéger du soleil.

En fait, René ne voit que des montagnes grises à perte de vue, ravinées par les vents, parfois éventrées par quelques affaissements abrupts, laissant apparaître les strates cumulées par des siècles de sècheresse. Les pierres cuisent sous le soleil depuis toujours et la Vie s'est enfuie, épouvantée par cet enfer de rocailles et de sable.

  • René ? Raconte ! intime Raymond qui sent bien qu'il va devoir monter à son tour.
  • Y a rien à raconter, mon pote ! On est dans la merde, et jusqu'aux oreilles ! répond l'autre, furieux.
  • Tu crois qu'il a chopé un coup de soleil ? fait Agathe, soudain inquiète.
  • Possib'. Bon, je monte !

Et le voilà qui grimpe à son tour. Pour le même résultat  : ils sont deux à râler, maintenant .
Interdite, Agathe observe les deux vieux qui marchent de long en large, les mains dans le dos, l'air très énervé, puis dressant un doigt bien tendu vers le ciel pour remercier Conardus qui, selon eux, est forcément à l'origine de leur présence ici.

Vite excédée, elle resserre solidement les sangles de sa jambe de bois et attaque l'Everest à son tour. Quand elle atteint le sommet, elle admire le paysage qui est, en fait, à couper le souffle.

  • Je sais où qu'on est... fait-elle doucement.

A suivre...

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