4.6

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Maintenant que les trois vieux sont sous bonne garde, le chef s'approche. Les pouces coincés dans son large ceinturon en cuir, le buste gonflé en avant, il dévisage les trois vieillards sans rien laisser paraître de ses sentiments. Quand il arrive tout près d'eux, il repousse d'un geste hautain les trois soldats qui retournent dans le rang sans rien dire.

  • Tum... tres senis sub solis ? (1)

Les interpellés le regardent sans comprendre, bien entendu. De toute façon, René et Raymond attendent des actes. Ils s'attendent même au pire, pendant qu'Agathe fait une drôle de tête. Peut-être que de lointains et mauvais souvenirs lui reviennent ?

  • Ben quoi, la vieille ? T'as vu la Vierge ou quoi ? fait Raymond entre ses dents.
  • Vrai qu'elle a l'air bizarre, mamy, confirme René.
  • Ils ont fumé toutes les moquettes du coin ? fait Agathe en leur jetant un regard éperdu.
  • J'sais pas, ma belle. Je crois plutôt qu'on vient de mettre les pieds dans un bon gros cauchemar, dit René. Trois lascars qui se pointent pour nous mettre une rouste sans seulement nous dire bonjour, je pense qu'on peut prévoir du vilain, tu vois ?
  • Des terroristes ? hasarde Raymond.
  • Au moins des débiles profonds, déguisés en primates antiques, armés jusqu'aux dents et animés de méchantes intentions, je dirais.

Ils n'ont pas le temps d'en dire plus. Le chef vient de leur filer un grand coup de pied dans les côtes, puis il se met à parler à toute vitesse de sa grosse voix. Le problème est qu'il parle dans une langue qu'ils ne connaissent pas.
Pendant qu'ils se frottent les côtelettes, les deux amis optent pour un mutisme bien visible, histoire de ne pas irriter un peu plus le méchant bonhomme, et attendent la suite.

Ils sont bien inspirés puisque, rapidement, le type les délaisse et se plante devant Agathe. Il penche la tête de côté pour mieux voir cette jambe de bois qu'il prenait pour un gourdin. Il s'approche de plus près et soulève sans vergogne ses jupes. La pauvre Agathe ne fait pas un geste, de peur de se prendre un coup de rapière. Quelques secondes passent en silence, que le type rompt en reprenant ses commentaires incompréhensibles.

René écoute. Raymond aussi, tout en se curant les ongles.

  • Bon, je voudrais pas déranger, fait-il peu après, mais on peut savoir de quoi il parle, ce con-là ?

Agathe, sans quitter le type des yeux, tourne légèrement la tête vers les deux vieux, et déclare d'une voix un peu tremblante :

  • On dirait qu'il parle en Latin !
  • Tu m'en diras tant ! s'exclame René. C'est pour ça que je comprends rien, alors que je suis parfaitement poli de la glotte !
  • Et toi, tu parles aussi en Latin ? s'étonnne Raymond.
  • Moi, tu sais, du latin je ne connaissais que le Paradis, c'ui d'Paris by night !
  • On est vraiment tombés sur des fêlés, conclut René. Punaise, je crois qu'ils vont nous faire des misères, ceux-là !
  • Vae victis (2), donc, fait Raymond d'une voix morne.

L'officier a entendu les derniers mots du vieux, et contre toute attente, semble apprécier. D'ailleurs, il appelle un de ses sbires pour lui dire de les noter sur une tablette en cire. Puis, il donne quelques ordres.
D'un coup, ça s'agite dans le détachement qui, jusque là, en avait proprement profité pour se reposer un peu ! Les types cernent immédiatement le trio antique et les contraignent à les suivre.
Oh ! Pas très loin : directement dans une infâme carriole tirée par deux chevaux et qui ressemble fermement à une cage, encombrée de quelques hommes faméliques et en haillons. Les soldats poussent René en premier dans celle-ci, sans tenir compte de ses protestations. Raymond est jeté encore plus rudement au fond de la cage. Agathe, allez savoir pourquoi, est installée dans une autre charrette, un peu plus luxueuse. Puis, sans autre explication, la colonne entière reprend la route.
Dans la poussière, bien sûr.

A suivre...

(1) Voici une traduction très approximative de ce que le chef vient de dire !
Un truc qui dirait à peu près ceci : Alors... trois vieux sous le soleil ?

(2) Malheur aux vaincus !

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