02. Aide-toi, les assos t’aideront

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Miléna

— Miléna, réveille-toi, il y a quelqu’un dans la maison.

Vahik me secoue comme un prunier mais ce n’est plus nécessaire, je suis totalement éveillée. En moins de deux, nous sommes tous les deux debout, il attrape nos sacs dans l’armoire et me colle le mien dans les bras.

— Va t’enfermer dans la salle de bain, je vais voir ce que c’est, murmure-t-il.

— Vahik, non, non, n’y va pas. On a dit qu’on partait ! Viens avec moi, on s’en va, l’imploré-je en le retenant par la main.

— Ce n’est peut-être qu’un voleur. Et si ce n’est pas le cas, je te rejoins et on se tire.

Ses lèvres se posent sur les miennes et j’ai beau le retenir, il gagne la porte de la chambre sous mes yeux terrifiés.

— Miléna, allez, dépêche-toi !

Je ne peux pas bouger, je suis littéralement figée. Je ne veux pas qu’il y aille, je ne veux pas que tout ceci arrive. Je sais que ça va mal se finir. Il revient vers moi et me secoue pour me faire réagir quand la porte de la chambre s’ouvre avec fracas.

Je sursaute et pousse un cri en voyant un visage à quelques centimètres du mien. Le prêtre recule et fronce les sourcils tandis que je peine à masquer mes tremblements. Je ferme les yeux quelques secondes pour reprendre contenance, mais une fois de plus, la suite du cauchemar s’imprime dans mes rétines tel un film en haute définition. Juste punition pour avoir mis l’homme que j’aimais dans cette situation.

Je les rouvre brusquement lorsque le prêtre m’interpelle. Sa voix termine de me réveiller et son ton me ferait presque regretter de ne pas avoir dormi sous la pluie.

— Mais c’est quoi, ça ? Ne me dis pas que tu as dormi là ? Non, mais franchement, c’est pas possible, ça ! Allez, dehors ! C’est pas un dortoir pour réfugiés, ici ! Le camp, c’est là-bas, près du port, s’emporte-t-il. Go Away. Not place for you.

— Je suis désolée, bafouillé-je en français avant de me reprendre pour tenter d’atténuer un peu mon accent. Pardon, je m’en vais, je… Je cherchais juste un endroit sec et la sécurité, mon Père.

— Tu parles français, s’étonne-t-il en me regardant avec plus d’attention. Tu n’es pas afghane ou syrienne, toi. On n’en voit pas beaucoup des comme toi, par ici. Tu viens d’où ?

— Je viens d’Arménie, mais peu importe… Est-ce que vous savez où je pourrais aller ? Le camp…

— Oui, le camp, c’est bien là où il faut aller. Je ne peux pas accueillir tous les réfugiés, moi. Et là-bas, il y a la Croix Rouge et les autres assos. C’est elles qu’il faut solliciter. Ici, c’est privé. Juste pour les paroissiens, sinon on ne s’en sort pas. Alors, du vent. Et puis, l’Arménie, c’est pas si terrible que ça. C’est pas l’Afghanistan quand même ! Ça vaut mieux que la jungle ici !

Je lâche un rire qui n’a rien de joyeux en me levant pour sortir du confessionnal après avoir attrapé mon sac.

— Dans mon pays, votre Dieu aide tous ceux qui se présentent dans sa maison, mon Père, mais je comprends. Il m’a déjà lâchée là-bas, pourquoi pas ici. Je suis allée dans votre camp, hier, j’ai failli finir violée en moins de cinq minutes, vous savez.

— Ah ben, je ne peux pas aider tout le monde, moi. Il faut trouver d’autres compatriotes et ils pourront t’aider. Dieu, lui, est là pour le spirituel, pas pour vous trouver un endroit où dormir. Vous êtes des milliers et je suis tout seul. Tiens, voilà un peu d’argent pour t’acheter à manger, ajoute-t-il en vidant le tronc qui se situe sous la vierge Marie. Et que Dieu te vienne en aide.

— Merci, mais je ne veux pas d’argent, soupiré-je en reposant la monnaie à sa place. Je veux juste une main tendue, mon Père. Je… S’il vous plaît, j’ai compris que vous ne pouvez pas aider tout le monde, mais juste moi ? Je peux vous aider ici, faire du ménage, contre une nuit à l’abri ? Je…

Je suis surtout pathétique à quémander de la sorte. J’ai honte d’en être arrivée là, et je vois bien que ça ne lui plaît pas trop, d’ailleurs.

— Pour qui tu me prends ? Un exploiteur de femmes en détresse ? Essaie la Croix Rouge, c’est vraiment ta meilleure chance. Allez, je n’ai pas toute la journée, moi. Le camp, c’est ta seule solution, assène-t-il en me poussant gentiment mais fermement par les épaules.

Je soupire alors qu’il m’accompagne jusqu’au grand portail. Je ne pensais pas me faire mettre à la porte de la sorte, c’est fou. J’imagine qu’il doit souvent être sollicité par des migrants, et je peux comprendre son agacement, mais je n’ai rien fait d’autre que dormir et je n’arrive pas en groupe. Je suis totalement seule. Désespérément seule.

— La Croix Rouge, d’accord. Mais ils sont débordés aussi, non ? Je vous en prie, je ne demande pas grand-chose, mon Père… Je… Il n’y a pas une meilleure solution ?

— Ecoute, finit-il par dire, visiblement touché par mon désespoir. J’ai pas le temps de m’occuper de toi aujourd’hui. Mais si tu n’as rien trouvé, reviens me voir ce soir. J’habite à côté, au prieuré, mais pas un mot à d’autres. Si tu ne reviens pas seule, ma porte restera fermée, c’est clair ?

— Je vous le promets. Merci, merci mon Père. Vous êtes un homme bon.

Je n’abuse pas de ma chance et descends les marches de l’église pour me retrouver à nouveau sous la pluie. Quelle conne, j’aurais dû prendre l’argent. J’ai faim, j’ai soif, et je vais devoir passer la journée dehors. Encore.

Après quelques minutes à réfléchir à la teneur de ma journée, je me décide à faire le chemin inverse pour retourner au camp et tenter la Croix Rouge. Autant faire ce que le prêtre m’a conseillé, au moins en y retournant ce soir, j’aurai des arguments. Et qui sait, si son Dieu existe, peut-être même que je serai en compagnie d’autres Arméniens ce soir, dans ce camp qui me fait flipper.

Il fait toujours froid, il pleut, et sortir du centre ville n’a rien de plus agréable que d’y entrer. Je traîne la patte, j’ai mal au dos d’avoir dormi dans une position inconfortable, et j’y vais à petits pas. À quoi bon se presser, la journée ne passera pas plus vite pour autant.

Je vois le logo de l’association sur un bâtiment en tôle qui doit être une ancienne usine et m’y dirige alors qu’il y a pas mal de monde devant. Je ne sais pas trop où me diriger, si je peux entrer ou pas alors que la porte est ouverte, et je prends le temps d’observer le ballet de réfugiés qui entrent et sortent de là. Je prends ma chance en voyant une femme avec un manteau de la Croix Rouge sur le dos.

— Bonjour, excusez-moi, est-ce que vous pouvez me dire comment tout ça fonctionne, s’il vous plaît ?

— Vous parlez français ? C’est bien, déjà. Il faut juste faire la queue. Vous vous inscrivez là-bas, près de l’entrée et ensuite, vous pourrez avoir un peu à manger, prendre une douche si vous le voulez. On a de la chance, la mairie vient de remettre l’eau. Et puis, revenez me voir après, je vous donnerai un vrai manteau parce que là, vous allez mourir de froid.

— Merci, merci beaucoup Madame.

J’ai envie de la serrer dans mes bras en pleurant comme une enfant. C’est bête, d’autant plus qu’on parle de nourriture et d’une douche, mais bon sang, si ça peut me réchauffer et me permettre de reprendre du poil de la bête, je ne dis pas non. Je fais donc sagement ce qu’elle m’a dit, m’inscris et fais la queue jusqu’à entrer dans le hangar. J’essaie d’écouter les conversations des autres et regarder les visages autour de moi pour voir s’il y a des Arméniens, mais je n’en repère pas… Quelques Géorgiens, mais qui ont des têtes qui ne me rassurent pas, alors je préfère rester discrète. Je suis donc docilement ceux qui me précèdent et me retrouve dans la file d’attente pour manger. Vu le nombre de personnes, ça risque d’être long, mais au moins je ne suis pas sous la pluie et c’est mieux que rien. Je prends donc mon mal en patience en essayant de ne pas trop ressasser mon réveil brutal et ce fichu cauchemar. J’attends patiemment jusqu’à enfin me retrouver avec de la nourriture sous les yeux. Je crois que je pourrais manger n’importe quoi et je ne demande pas mon reste. Les pâtes sont chaudes, il y a un peu de viande, je crois, et un peu de sauce. Ce n’est pas grand-chose, mais ça me fait un vrai festin.

Je retourne ensuite voir la bénévole qui m’a orientée tout à l’heure afin de discuter un peu et essayer de voir comment me sortir de cette situation qui me désespère de plus en plus. J’attends qu’elle termine dans un mauvais anglais avec un jeune qu’elle essaie de dissuader de traverser la Manche. Quand enfin, elle se retrouve seule, je m’approche d’elle doucement.

— Ah vous revoilà, Mademoiselle. Vous aussi, vous allez traverser la Manche ? Vous savez que c’est dangereux ?

— Non, je ne crois pas. Je ne sais pas en fait, je n’ai aucune idée de quoi faire et où aller. Est-ce que vous pouvez me dire ce que je dois faire pour avoir un lieu où dormir ?

— Oh vous n’êtes pas au bon endroit, ma pauvre petite. Il faut appeler le 115, mais c’est compliqué. La veille hivernale est terminée et il n’y a plus beaucoup de places… Pourquoi vous êtes venue à Calais si c’est pas pour aller en Angleterre ? Et ce manteau, vous le voulez ?

— Je veux bien un manteau plus chaud, oui, s’il vous plaît. Et… C’était le plan de mon fiancé, soupiré-je. Mais je suis là, seule, alors… Le plan peut changer. Quand je vois les grillages autour du port, ça me paraît juste impossible de passer la Manche.

— Ce n’est pas impossible, mais vous risquez d’y laisser la vie… Je vous plains… Vous avez besoin d’autre chose ?

— Non, hormis un toit et un travail, souris-je en enfilant le manteau qu’elle me tend, mais ça je sais bien que ce n’est pas de votre ressort. Merci pour votre gentillesse, Madame, et bonne journée.

Je la salue d’un signe de tête et fais demi-tour pour profiter des sanitaires avant de regagner la rue. Une fois encore, la file d’attente est longue, mais je ne suis pas pressée de retrouver la pluie du Nord de la France. Appeler le 115, d’accord, pourquoi pas, mais comment ? Si le prêtre dit vrai et m’accueille ce soir, je pourrai lui demander de l’aide pour ça aussi, au moins il verra que je veux autre chose que profiter de sa bonté. Juste de celle de l’état français, quoi...

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